Mattea Meyer contre Philippe Nantermod
Faut-il un taux mondial pour l'imposition des entreprises?

L'une est co-présidente du PS, l'autre est vice-président du PLR. Toutes les deux semaines, Mattea Meyer et Philippe Nantermod s'écharpent sur un thème d'actualité. Premier épisode sur l'imposition des entreprises.
Publié: 04.06.2021 à 13:03 heures
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Dernière mise à jour: 05.06.2021 à 10:11 heures
Sermîn Faki et Adrien Schnarrenberger

«Les paradis fiscaux comme la Suisse»: la phrase lâchée par Joe Biden dans un récent discours devant le Congrès n’est pas anodine. La nouvelle administration américaine montre les dents à l’égard de tous les pays à la fiscalité attrayante. Les Etats-Unis estiment qu'aucun pays ne devrait taxer les entreprises à moins de 21%. Une proposition qui a redonné de l’élan aux discussions autour d’un seuil minimal d'imposition sur les sociétés.

Faut-il une entente à l’échelle mondiale? Aujourd’hui, les disparités sont grandes. Dans l’Union européenne, les entreprises sont taxées en moyenne à hauteur de 24,5%, soit près du double de la moyenne suisse. A l’exception de certains endroits comme Dubaï ou les Bermudes (pas d’impôt), le canton de Zoug détient la palme de la plus faible imposition: 11,9%.

Alors, faut-il une imposition commune pour éviter la concurrence entre États? Le débat a été réalisé tout au long de la semaine sur WhatsApp. C'est parti!


Soyons honnêtes. Joe Biden a raison: la Suisse est un paradis fiscal. L'imposition moyenne effective a baissé dans les vingt dernières années de 23% à 17,3%. Et les forfaits fiscaux ne sont même pas pris en compte! Sur notre continent, il n'y a que quelques pays d'Europe de l'Est et des îles Britanniques qui ont une imposition plus basse que les cantons de Zoug ou Lucerne.

La Suisse devrait vraiment interrompre cette course dévastatrice à l'imposition la plus basse. Plutôt que d'utiliser des subterfuges fiscaux pour attirer des grosses entreprises, nous devrions mettre notre énergie pour créer un système global d'imposition. Tu serais partant?

Le dumping est un acte de tricherie, de concurrence déloyale. La Suisse est un vrai pays, avec des vraies infrastructures, des autoroutes, des écoles, des hôpitaux. On les finance avec des impôts justes et équitables. Ce n’est ni de la triche, ni du dumping. Juste de la bonne gestion.

Ce n’est pas notre faute si d’autres États, comme les USA, se sont transformés en panier percé à force de dépenser toujours plus de richesses qu’ils n’en produisent. Par exemple, la France n’a pas eu de budget équilibré depuis... 1974.

Les entreprises bénéficient d'employés qualifiés, de trains ponctuels, d'hôpitaux de pointe... Mais elles paient une part beaucoup plus faible de leurs profits pour cela qu'il y a vingt ans. A l'époque, l'imposition était de plus de 20%. Depuis, la pression fiscale a baissé sur les entreprises alors qu'elle a augmenté sur les salaires et les rentes. C'est ni juste, ni équitable.

Ces firmes font voyager leurs profits de pays en pays pour contourner l'imposition. Notre seule réponse est d'instaurer des minimas fiscaux internationaux.

On ne parle pas que des multinationales, mais de toutes les entreprises! Avec RFFA [Blick: réforme fiscale et financement de l'AVS], l'impôt des personnes morales est le même pour tous. Pour les PME comme pour les grandes compagnies. Ces entreprises font notre force. Les taxer davantage ne servira qu'à augmenter les dépenses publiques, déjà bien assez élevées.

Ce n'est pas pour rien que ce sont des Etats mal gérés et déficitaires qui exigent un impôt minimum mondial. Ils sont aux abois. Mais le problème est chez eux, pas chez nous.

Voyons! Nous savons tous que les PME paient leurs impôts pendant que les gros groupes rivalisent d'ingéniosité (et d'avocats onéreux) pour ne presque rien payer. Et ça se fait sur notre dos à nous toutes et tous! Si l'on parvient à taxer correctement ces entreprises, cela permettrait de faire baisser la pression fiscale sur les revenus de la population normale.

C'est un procès d'intention gratuit puisque les statuts fiscaux spéciaux ont été abolis. Et cette distinction multinationales/PME, c'est de l'esbroufe. Dans ma région, deux multinationales donnent du travail à 250 PME et créent ainsi des milliers d'emplois. Il faut arrêter de jouer cette opposition artificielle entre le sympathique petit et le cruel grand. Et, surtout, ce n'est pas le sujet. Joe Biden veut augmenter les impôts de toutes les entreprises. De Novartis comme de mon coiffeur.

Parle-en à ton coiffeur: pour lui, ce n'est pas l'imposition de ses gains le problème, mais les loyers. Et avec ta position, il n'y a aucune amélioration en vue.

L'exemple de la France montre bien à quel point la fraude fiscale est problématique: les entreprises délocalisent leur siège dans des pays où l'imposition est la plus petite possible, comme la Suisse. Les recettes fiscales ne sont pas simplement déplacées, elles sont amenuisées. Au bout de la chaîne, cela ne sert que les gros actionnaires qui en ont le moins besoin. 🙄

Mon coiffeur te répondra que tu tires bien en corner. Mais que cela n'a rien à voir: toutes les entreprises ont des charges qui dépassent leurs impôts. Et alors?

En France, les entrepreneurs fuient ce qui est devenu un enfer fiscal. Et malgré cela, les recettes publiques n'ont jamais diminué, comme la dette d'ailleurs. Je doute qu'augmenter encore les impôts améliore la situation d'un pays qui a 10% de chômeurs.

Et c'est là toute la question: veut-on suivre les pays mal gérés qui veulent maintenant imposer à tout le monde un taux d'impôt minimum, ou garde-t-on notre modèle à succès?

«Modèle à succès»?! Voir des cantons se tirer la bourre pour proposer les impôts les plus bas, c'est destructeur. Prends le canton de Lucerne, qui a fait plonger la taxation. Que s'est-il passé après? Des réductions de primes-maladie ont dû être biffées parce qu'il n'y avait plus assez d'argent dans les caisses publiques 🤦‍♀️

Il en va de même dans le monde entier: le dumping fiscal amenuise les recettes fiscales et prive les gens de leurs moyens de subsistance. Les pays les plus pauvres perdent 200 milliards de dollars par an parce que les entreprises ne paient pas leurs impôts. C'est largement plus que toute l'aide au développement!

Cela doit cesser.

C'est vraiment une obsession, cette guerre contre les multinationales... Oui, la Suisse est un modèle de succès. On excelle dans tous les domaines: qualité de vie, formation, infrastructures, pouvoir d'achat, santé, emploi, sécurité. Tout cela, avec une fiscalité attractive. La preuve que c'est possible.

On ne vole personne. Notre système est seulement plus compétitif, tant mieux. A l'inverse, les États aux finances trouées comme des paniers percés veulent nous faire les poches pour mettre en oeuvre les projets pharamineux de leurs dirigeants socialistes. Permets-moi de m'y opposer...

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