Michael Hermann, politologue
«Plus que l'immigration, c'est la croissance qui inquiète les Suisses»

La question migratoire continue de diviser en Suisse, montre le dernier «baromètre des opportunités». Mais les préoccupations se tournent surtout vers les loyers et la saturation des infrastructures. L'UDC se trompe-t-elle de cible? Interview de Michael Hermann.
Publié: 10.09.2024 à 05:33 heures
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Dernière mise à jour: 10.09.2024 à 06:48 heures
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Sophie Reinhardt
Les partisans du Centre, des Vert’libéraux et du PLR, sont devenus plus critiques sur la question de l'immigration ces dernières années, analyse Michael Hermann.
Photo: Keystone

Les Suisses se montrent critiques face à la gestion de l’immigration dans notre pays, montre le dernier «Baromètre des opportunités». Blick a demandé au politologue Michael Hermann, également partenaire du projet de recherche, de se pencher sur les résultats.

Michael Hermann, aujourd’hui, la population estime qu’il est plus urgent d’agir pour endiguer l’immigration qu’il y a quelques années. Comment expliquez-vous cela?
La croissance démographique préoccupe la Suisse, je n’ai encore jamais vu un scepticisme aussi répandu. La critique de la dynamique actuelle de l’immigration est présente dans presque dans tous les milieux. Contrairement à nos pays voisins, ce qui inquiète ici n’est pas tant la crainte des cultures étrangères ou la concurrence sur le marché du travail. Ce que l’on observe, c’est plutôt un malaise lié à la croissance: l’infrastructure de transport saturée ou les préoccupations concernant l’espace résidentiel et naturel.

Plus une personne se situe à droite de l’échiquier politique, plus elle estime qu’il est important de limiter l’immigration. Les sympathisants de l’UDC sont-ils les plus touchés par les effets négatifs de l’immigration?
Non, ils ne le sont pas. Mais la question migratoire est la principale raison pour laquelle on vote UDC. Ce sont ceux qui ont le plus de mal avec une Suisse qui s’ouvre et qui se tourne vers l’international. Au fil des années, l’UDC n’a pratiquement rien changé à sa position sur la question de l’immigration. Contrairement aux partisans du Centre, des Vert’libéraux et du PLR, qui sont devenus plus critiques.

L’analyse montre que la population préfère une immigration réduite à une forte croissance économique. Comment expliquez-vous cela?
Les gens ne sont plus prêts à tout sacrifier au nom de la croissance économique. Cependant, ils sont tiraillés sur cette question. Nous devons surtout comprendre qu’aujourd’hui, nous ne ressentons que les effets négatifs de la croissance. Les douleurs d’une croissance freinée ne seront ressenties que lorsque nous y serons confrontés.

C’est frappant, les Suisses s’inquiètent surtout du coût des loyers et de l’encombrement des transports, des problématiques liées à la croissance démographique. Mais pas de la surpopulation étrangère ou de la criminalité, des thèmes souvent mis en avant par l’UDC. Celle-ci se trompe-t-elle de cible?
Non, car le parti mise sur ces deux perspectives. Avec l’initiative pour la durabilité, il essaie justement de s’adresser aux autres critiques. Selon le texte de l’initiative, la population résidente permanente ne doit pas dépasser dix millions de personnes avant 2050.

Le sondage ne portait certes pas sur cette initiative populaire de l’UDC. Mais comment évaluez-vous ses chances sur la base du sondage actuel du «baromètre des opportunités»?
Vu l’ambiance actuelle, l’initiative a de bonnes chances d’être acceptée.

La croissance démographique et ses conséquences devraient également être un sujet de discussion pour les Vert-e-s. Est-ce tabou, parce que l’UDC a déjà investi le terrain?
Chez les Vert-e-s en particulier, la tradition humanitaire est très fortement ancrée. C’est pourquoi ce sujet est toujours délicat pour eux. Par ailleurs, je constate que la croissance démographique suscite aussi des discussions au sein du PS. Même là, l’enthousiasme pour la libre circulation des personnes n’est plus aussi marqué.

Une majorité des sondés s’est prononcée en faveur d’une taxe sur l’immigration. Pensez-vous que ce sujet sera sérieusement débattu sur la scène politique prochainement?
Oui, la population a le sentiment de payer le prix pour quelque chose dont d’autres profitent. Et elle veut donc obtenir une sorte de compensation. Cependant, la réponse des sondés serait peut-être différente s’ils réalisaient que cela pourrait menacer la libre circulation des personnes, et par exemple, des secteurs comme les soins.

L’étude conclut que la Suisse, en tant que pays d’immigration, a besoin de réformes. Où voyez-vous un potentiel de majorités politiques pour des mesures concrètes?
Globalement, la population veut que la politique agisse. Cependant, elle voit encore bien plus de besoins d’action dans les domaines de la santé, des retraites et de l’énergie que dans celui de l’immigration. Les résultats du «baromètre des opportunités» sont néanmoins un signal à l’UE. Si elle ne fait pas un geste envers la Suisse, cela compliquera les accords. Nous devons toutefois être conscients que la pénurie des logements ne sera pas résolue, même avec une gestion modérée de l’immigration. Ce qu’il faut, c’est une véritable offensive de construction.

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