Moniteurs d'auto-école vaudois sous pression
«Si trop de mes élèves loupent leur permis, je perds ma licence»

Le Canton de Vaud veut augmenter le taux de réussite au permis de conduire. Pour ce faire, il retirera les licences des moniteurs en cas d'échecs trop importants de leurs élèves, a appris Blick. Une décision qui suscite la grogne pour beaucoup d'entre eux.
Publié: 12.06.2022 à 08:53 heures
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Dernière mise à jour: 12.06.2022 à 09:28 heures
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Jocelyn Daloz

Imaginez si un enseignant se voyait retirer son diplôme si trop de ses élèves échouaient à la maturité… Cela pourrait devenir une réalité pour les moniteurs d’auto-école vaudois depuis le 1er avril. Si plus de 50% de leurs élèves ratent leur permis, les conséquences pourraient être lourdes: exclusion du logiciel du service des automobiles et de la navigation (SAN), voire perte de leur droit d’enseigner. Une première phase pilote a été lancée en ce sens par l’État de Vaud.

La décision déconcerte au plus haut point de nombreux moniteurs d’auto-écoles. L’un d’entre eux dénonce auprès de Blick une décision qui le frappe directement au porte-monnaie: «J’ai perdu près de 1600 francs de chiffre d’affaires au mois de mai», nous confie-t-il sous couvert d’anonymat. Pourquoi? Parce que les auto-écoles ne peuvent pas contrôler quand un élève décide de s’inscrire à l’examen.

Si le moniteur refuse d’y aller avec un aspirant qu’il n’estime pas prêt, ce dernier n’a qu’à tenter sa chance auprès d’un autre, nous explique-t-il. Entre prendre le risque de plomber ses statistiques ou son compte bancaire, le moniteur d’auto-école est pris entre le marteau et l’enclume. «Si trop de mes élèves ratent leur permis, je perds ma licence? Pour moi, c’est une menace qu’ils (le service des automobiles, ndlr.) font planer sur nos têtes, de l’intimidation», estime ce Vaudois.

Le Canton de Vaud veut que les candidats soient mieux préparés pour passer l’examen de permis voiture (B), le taux de réussite ne dépassant actuellement pas 56%.
Photo: Keystone
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«Mon stress professionnel a augmenté de 150%»

Ce stress se sent également dans le procès-verbal d’une séance d’information, organisée par le SAN, que Blick s’est procuré: les questions des moniteurs se sont majoritairement orientées vers cette nouvelle régulation et sur les outils statistiques.

L’un d’entre eux parle d’épée de Damoclès: «Lorsque nous refusons de présenter nos élèves, nous les perdons… cette réunion vient de faire augmenter de 150% mon niveau de stress professionnel». Le SAN estime ce cas de figure peu probable, invoquant le fait qu’un élève pas prêt ne remplacera pas facilement son professeur. Un moniteur avec qui nous avons parlé nous cite toutefois plusieurs exemples de personnes qui l’ont lâché depuis avril parce qu’il refusait de les accompagner à l’examen. D’autres s’inquiètent parce qu’ils ne peuvent pas tout maîtriser, notamment le niveau de stress des élèves lors de l’examen.

Certains n’ont pas peur

Tous ne partagent pas les mêmes craintes. Thierry Pittet, directeur de l’école Auto-Moto-Ecole Pittet, estime qu’il peut répondre aux attentes du SAN. Ses 26 moniteurs disposent d’une application maison pour évaluer la progression des élèves. «Nous n’avons pas changé notre manière de travailler. Certains jeunes de mon équipe m’ont fait part de leurs inquiétudes, mais je leur ai dit de faire confiance à nos méthodes.»

Il comprend toutefois les craintes de ses confrères: «On est forcément un peu impuissants. Les élèves nous préviennent parfois au dernier moment qu’ils se sont inscrits, d’autres le font avant même de suivre des cours. Les élèves ne se rendent pas forcément compte de leur niveau.»

L’objectif: remonter du bas du classement

Le Canton de Vaud veut que les candidats soient mieux préparés pour passer l’examen de permis voiture. Les statistiques dans le document transmis aux moniteurs ne sont pas roses: le taux de réussite à l’examen de permis voiture (B) ne dépasse pas 56%. Pour la première tentative, il n’est que de 50,4%. Le Canton espère augmenter les capacités du service aux autos: si le taux de réussite à la première tentative atteignait 60%, le SAN pourrait augmenter ses disponibilités de 1000 tentatives par an. Or, la pression augmente, puisqu’entre 2019 et 2021, le nombre d’examens a augmenté d’un quart.

Interrogé, le chef du service Pascal Chatagny estime en outre que «certaines et certains moniteurs d’auto-école présentent à l’examen pratique de conduite des candidates et candidats qui n’ont visiblement pas la formation suffisante». Conséquence: ce phénomène surchargerait inutilement le service.

Interpellé sur les sanctions envisagées, Pascal Chatagny relativise: pour l'heure, pas question d'employer ce terme! La première phase du projet ne serait qu'une période d'observation, à l'issue de laquelle le dialogue sera cherché avec les moniteurs qui n'ont pas atteint leurs quotas. «Le SAN poursuit donc une campagne d’information et de sensibilisation qui ne prévoit pas pour l’heure une quelconque sanction du type 'retrait du droit d’enseigner la conduite'», argue le service cantonal.

Une déclaration qui entre toutefois en contradiction avec le document transmis aux moniteurs de conduite: la présentation précise clairement qu'un bilan sera tiré en 2023 pour la période d'avril à décembre 2022: «Ce second décompte servira de base aux mesures à prononcer. Les personnes concernées seront informées par écrit de la mesure envisagée et pourront se déterminer par écrit avant que le SAN ne rende sa décision.» Nous avons confronté Pascal Chatagny à ce document. Celui-ci précise après coup que des mesures ne peuvent être exclues si la situation devait perdurer.

Il assure comprendre les inquiétudes des moniteurs d’auto-écoles, mais ajoute que la plupart d’entre eux entrent déjà dans les clous. Quant au phénomène des élèves qui insistent pour passer le permis sans être prêts, il estime que c’est aux auto-écoles elles-mêmes de sensibiliser leurs élèves: «L’élève n’est pas forcément en mesure de savoir si son niveau de formation est suffisant ou non, cependant sa monitrice ou son moniteur l’est.»

Et si on subventionnait les cours de conduite?

Pour Thierry Pittet, on ne prend pas forcément le problème par le bon bout: «on investit énormément d’argent dans des glissières de sécurité et pour limiter les dégâts des accidents. Alors que si on aidait financièrement les jeunes à être mieux formés en amont, on aurait une circulation routière plus civique.» Un but auquel aspire également le Canton. Pour l’instant, aux frais des élèves et des moniteurs.

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