«Nous nous sentons abandonnés!»
Une famille suisse pourrait perdre sa maison au profit de touristes

Dans la ville de Parpan, dans les Grisons, la famille Weber tremble. Elle a peur de ne plus trouver de toit. La raison: la transformation de résidences principales en résidences secondaires. Explications.
Publié: 31.03.2023 à 10:30 heures
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Dernière mise à jour: 31.03.2023 à 11:39 heures
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Dorothea Vollenweider

La famille Weber est désespérée. Depuis le début de l’année, Tanja Weber, son mari Markus et leurs trois enfants cherchent un nouveau logement dans la localité grisonne de Parpan. Ils ne se font plus d'illusion: ils savent qu’ils ne pourront plus rester longtemps dans leur logement actuel.

La maison dans laquelle ils vivent actuellement va être vendue. En cause: les touristes. En effet, il est fort probable que de nouveaux appartements de vacances y soient bientôt construits. «Et nous ne trouvons pas de nouveau logement», se désole cette maman de 32 ans.

Depuis douze ans, Tanja vit à Parpan avec sa petite famille. Ce village de 260 âmes situé près de Lenzerheide est une destination de vacances très prisée. Avec ses pistes de ski et de ski de fond, la localité coche beaucoup de cases pour de nombreuses friands de sport d'hiver.

Depuis douze ans, Tanja Weber, 37 ans, vit à Parpan avec son mari Markus et leurs trois enfants.
Photo: Thomas Meier
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Les enfants sont très attachés à cette localité.
Photo: Thomas Meier

Mais pour les Weber, l’enjeu est bien plus important. Il s’agit de leur foyer, s'insurge la mère de famille. Ses enfants sont très attachés à cet endroit, ils vont à l’école dans la localité. Tous leurs amis habitent dans la région. Et les petits font partie du club de ski.

Le mari de Tanja travaille pour la commune et est pompier volontaire. Quant à elle, elle est employée par le service de soins à domicile pour enfants. «Nous sommes extrêmement bien intégrés ici et ne voulons pas partir», martèle-t-elle.

Pas de vie en ville

Un autre élément complique encore leur situation. Deux des trois enfants sont malades. Ce qui impose certaines contraintes quant à leur lieu de domicile. L'un des petits souffre d’un problème pulmonaire, tandis qu'un autre lutte contre de très fortes allergies. Des troubles qui les affectent au quotidien. «L’altitude leur fait du bien à tous les deux», assure Tanja Weber. Ils ont donc beaucoup de mal à s’imaginer vivre dans une ville comme Coire. Elle ne se voit pas devoir prendre une décision qui péjorerait la santé de ses enfants.

Pourtant, la maison dans laquelle ils vivent a été mise en vente l'année dernière. Plusieurs visites ont eu lieu.
Photo: Thomas Meier

La maison dans laquelle ils vivent a été mise en vente l’année dernière. Plusieurs visites ont déjà eu lieu. L’agent immobilier s'est monté très clair: il n’a pas laissé beaucoup d’espoir à la famille. «Il nous a glissé que nous devions nous attendre à ne plus pouvoir vivre ici très longtemps», explique Tanja Weber. Les différents acheteurs potentiels qui se sont présentés à la visite ont, eux aussi, été très francs. Ils auraient généralement exprimé la même intention: construire des appartements de vacances ou des maisons individuelles.

Les locatifs sont une denrée rare

Entre-temps, le bien immobilier a disparu du marché. La maison a-t-elle trouvé preneur? «Le bailleur n'a pas voulu nous donner d’informations précises», assure Tanja Weber. Elle se sent complètement impuissante et ne peut rien faire d'autre qu'attendre.

En se renseignant auprès du registre foncier, Blick apprend que, pour l’instant, aucun changement de propriétaire n’a été fait. Conclusion: la maison appartient toujours au propriétaire actuel. Ce qui ne suffira pas à redonner espoir à la petite famille. Car c’est la deuxième fois qu'elle doit faire face à cette situation. Un véritable cauchemar, se désole la trentenaire.

«Nous avons nos racines ici et ne voulons pas partir», assure la mère de famille.
Photo: Thomas Meier

En effet, elle et les siens avaient déjà dû s’atteler à la lourde tâche de chercher un nouvel appartement en novembre 2015... pour se voir forcés à déménager à l’été 2016. A l’époque déjà, ils avaient dû plier bagage parce que leur maison devait céder la place à des appartements de vacances. Une mauvaise expérience qui les a marqués.

Une faille dans la loi

Que se passe-t-il à Parpan? La localité semble cruellement manquer de logements abordables. Les appels d’offres sur le marché concernent presque exclusivement des appartements de vacances. Prix pour un 4,5 pièces: 2,2 millions de francs.

Mais on ne trouve quasiment aucun bien immobilier à louer. Un problème bien connu de nombreuses localités de montagne en Suisse. Certes, les immeubles d’habitation ne manquent pas. Mais ils ne comptent presque que des appartements de vacances. On n'y aperçoit un peu de vie qu'en période de fêtes, comme à Noël, ou pendant les vacances scolaires. Le reste du temps, les volets restent désespérément clos.

Et, en parallèle, les locaux et les travailleurs, bien qu'essentiels à la vie de la région, ne trouvent plus de toit. Sans parler des pertes que subit le commerce local. Lors des saisons creuses, il n’y a pas un chat dans ces villages de montagnes.

Comment cette situation est-elle possible? Elle est permise par une faille juridique. En effet, les communes ayant un taux de résidences secondaires de 20% ou plus ne peuvent plus construire de nouveaux logements de vacances. Le hic? La transformation de résidences principales en résidences secondaires n'est pas pour autant proscrite.

Selon l’Office fédéral du développement territorial, la commune grisonne de Churwalden, dont fait partie la localité de Parpan depuis 2010, a une part de résidences secondaires de 62,7%. Ce qui signifie qu’aucune nouvelle résidence secondaire ne peut être construite. Mais rien n'empêche les transformations.

Les changements d’affectation aggravent le problème

Cette lacune dans la loi a des conséquences. Le taux de logements vacants à Churwalden a baissé de 2,29 à 0,74% au cours des cinq dernières années. Concrètement, cela signifie qu’en 2022, 19 logements étaient vides. Depuis, il y en a certainement moins.

La présidente de la commune de Churwalden, Karin Niederberger-Schwitter, est consciente du problème. «Il est vrai que plus un lieu est touristique, plus la pression sur la réaffectation des résidences principales augmente», concède-t-elle à Blick. Mais il ne s'agit pour elle que d'une conséquence logique de l’initiative sur les résidences secondaires.

La famille se sent abandonnée

Mais les locaux chassés par les touristes n'ont que faire de ces explications. Karin Niederberger-Schwitter compte-t-elle faire quelque chose pour éviter leur départ? La présidente de commune assure que Churwalden a reconnu très tôt la nécessité d’agir. Elle aurait pris des mesures il y a une dizaine d’années déjà. «A l’occasion de la révision du plan local d’urbanisme, des règles ont été introduites concernant la disponibilité des terrains à bâtir», promet-elle.

Celles-ci permettent de lutter contre la thésaurisation des terrains à bâtir et de créer des résidences principales. «Ainsi, exactement 54 logements principaux ont été érigées au cours des trois dernières années», explique fièrement la présidente de la commune. Durant cette période, le nombre d’habitants dans la commune de Churwalden a augmenté de plus de 100 personnes.

Aucune mesure supplémentaire n’est ainsi à l’ordre du jour. Les familles telles que les Weber devront donc s’accommoder de leur sort. «Nous nous sentons abandonnés, se désole la mère de famille. Cela nous donne l’impression que les touristes sont les bienvenus, mais pas nous.» Pour elle et les siens, il ne reste plus qu’à se serrer les coudes et à faire face courageusement à ce nouveau coup de massue.

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