«Nous serons le parti des 5%»
Le discours anti-citadins passe mal au sein de l'UDC

La rhétorique agressive de Marco Chiesa contre les «parasites des villes» hérisse les poils des élus citadins de l’UDC. En procédant ainsi, le parti risque de devenir un «marché de niche», s’inquiètent-ils.
Publié: 03.08.2021 à 09:18 heures
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Dernière mise à jour: 03.08.2021 à 09:47 heures
Ladina Triaca

À l'occasion de la Fête nationale, le président de l'UDC Marco Chiesa a allumé un feu d'artifice rhétorique. Sa cible: les citadins. «La gauche caviar et les Verts moralisants veulent depuis les villes nous dire comment les campagnards devraient penser et vivre», a-t-il avancé

Fait intéressant: alors qu'à l'époque, la direction centrale de l'UDC envoyait des propositions à ses politiciens à travers le pays pour les impliquer dans la rédaction d'un discours commun du 1er août, peu étaient dans la confidence de cette attaque en règle contre les citadins. Le texte passe d'autant plus mal auprès des élus du parti en zone urbaine.

«364 jours par an, mais pas le 1er août»

C'est le cas du conseiller national Lukas Reimann, qui n'a pas goûté au timing de la joute verbale. «On peut se tirer dans les pattes 364 jours par année, mais en tout cas pas le 1er août», estime le Saint-Gallois de 38 ans. La Fête nationale est sacrée à ses yeux: c'est le jour où l'on célèbre la cohésion nationale.

Lukas Reimann, qui vit à Wil (SG), n'a pas goûté aux mots de son président.
Photo: Keystone
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Au-delà du jour choisi, Lukas Reimann n'est pas non plus convaincu par la stratégie de l'UDC, qui a mis ce «bashing» des citadins au centre de son approche des élections fédérales de 2023. De plus en plus de gens vivent en ville, relève-t-il. «Si nous nous concentrons sur notre électorat rural et conservateur, nous serons un jour le parti des 5%!»

Aux yeux du juriste, qui a accédé au Conseil national à 25 ans en 2007, il aurait été bien plus malin et judicieux de trouver des personnalités au sein du parti aptes à gagner des électrices et électeurs dans les villes. «Un modèle aurait pu être le Premier ministre britannique Boris Johnson, explique Lukas Reimann. Il a montré à Londres que l'on peut avoir du succès en milieu très urbain avec une politique conservatrice.»

«Je représente tous les habitants»

Raphael Lanz gère une ville un poil plus petite que Londres. Le maire de Thoune et élu UDC au Grand Conseil bernois n'en est pas moins inquiet du choix de son parti. «Plus l'on accentue le fossé entre ville et campagne, plus il sera dur de le refermer par la suite», analyse-t-il.

En tant que maire, il représente «toutes les Thounoises et Thounois». Et ce n'est pas juste de définir la politique des gens vivant en ville à partir des besoins de la population campagnarde. Beaucoup de familles bourgeoises bénéficient par exemple de crèches pour leurs enfants, afin que les deux parents puissent aller travailler. «On peut trouver cela bien ou pas, mais c'est la réalité de la société d'aujourd'hui dans nos villes.»

L'élu de l'exécutif thounois analyse la stratégie, erronée selon lui, de l'UDC à l'aune du marketing. «Si vous êtes chef d'entreprise, vous n'avez aucun intérêt à limiter votre marché. Sauf si vous voulez créer un produit de niche», explique-t-il. Et cela ne peut pas faire le jeu de l'UDC. «Nous sommes le parti du peuple, pas le parti d'une niche.»

Critique des élus UDC urbains

L'indignation est vive dans les rangs du «parti du peuple». Les représentants UDC en milieu urbain n'ont que peu goûté aux mots de Marco Chiesa. C'est le cas d'Eduard Rutschmann, président de la section UDC de Bâle-Ville. «Je ne soutiendrai pas une campagne qui s'en prend à la population urbaine», prévient-il. Et ce même s'il dit comprendre le courroux des «paysans» de Bâle-Campagne qui ne peuvent presque plus accéder à la ville avec leur voiture.

Même son de cloche du côté de l'UDC de la ville de Lucerne. Dieter Haller, président, estime qu'il faut mener une même politique tant en campagne qu'en ville. «Ne serait-ce que par tactique électorale». L'agglomération lucernoise compte deux fois plus d'habitants que toute la région de l'Entlebuch, entre Lucerne et l'Emmental. «En augmentant notre électorat de 2% en ville, cela aurait déjà un immense effet», note-t-il.

Parmelin veut un dialogue

Ces critiques trouvent un soutien tout en haut du parti. Le conseiller fédéral Guy Parmelin a lui-même appelé la population au «dialogue» lors de ses discours du 1er août. «Le contact entre les villes et les campagnes est important. Cela manque.» Fêter ensemble, par exemple le 1er août, permet de bâtir des ponts entre les citoyens urbains et ceux plus ruraux, assure le ministre de l'Économie. Les pontes de son parti voient les choses différemment.

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