Nouveau logiciel de visualisation
L’espace comme si vous y étiez

Vous avez toujours rêvé d'explorer l'espace? Grâce à un nouveau logiciel de visualisation développé par l'EPFL, vous pouvez désormais le faire sans avoir à quitter la Terre. Blick a eu la chance de pouvoir tester ce dispositif en avant-première.
Publié: 17.10.2021 à 06:04 heures
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Dernière mise à jour: 18.10.2021 à 19:52 heures
Le logiciel «VIRUP» affiche des milliards de données pour créer des représentations virtuelles de l'univers.
Photo: Hadrien Gurnel / eM+
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Louise MaksimovicJournaliste Blick

Vous flottez dans les airs et vous montez de plus en plus haut dans l’espace. La terre est juste sous vos pieds et devient de plus en plus petite au fur et à mesure que vous vous élevez. Autour de vous: des étoiles à perte de vue qui forment la Voie Lactée. À votre droite: la Lune. Vous tournez la tête de l’autre côté et apercevez la Station Spatiale Internationale. Un bond vous transporte sur Mars, puis près de chacune des autres planètes du système solaire. Vous vous éloignez toujours plus de notre soleil et vous voilà en train de flotter au milieu d’autres dizaines de milliards de galaxies. Vous tenez l’univers dans vos mains, et la Terre n’est déjà qu’un lointain souvenir.

Ce que je viens de vous raconter n’est pas un rêve sous LSD ou le dernier clip promotionnel de la NASA (quoique). Il s’agit d’un espace virtuel en 3D créé par un nouveau logiciel élaboré par des chercheurs et ingénieurs de l’EPFL, «VIRUP» (Virtual Reality Universe Project). J’ai eu la chance de pouvoir tester ce dispositif au laboratoire de muséologie expérimentale (eM+) du campus. Pour vivre cette expérience en immersion totale, j’ai dû enfiler un casque de réalité virtuelle («VR» pour «Virtual Reality», en anglais).

Voici un casque de réalité virtuelle. À droite, une des images que l'on peut voir en immersion grâce à «VIRUP».
Photo: keystone-sda.ch

Une fois bien équipée, j’ai pu me déplacer dans un espace virtuel en 3D, créé à partir d'une grande quantité de données astrophysiques, issues d’observations et de simulations. Mon corps était évidemment sur Terre, mais, grâce au casque, je voyais autour de moi des planètes, des étoiles, et des galaxies au milieu desquelles je pouvais me déplacer. Un voyage tout à fait vertigineux.

Un logiciel super puissant de visualisation de données

Comment ce nouveau logiciel fait-il pour créer un univers aussi immersif et réaliste? La réponse se trouve au cœur de sa conception. Pour produire de tels espaces en 3D, complets et détaillés, les chercheurs et ingénieurs qui ont travaillé sur ce projet ont utilisé de puissants algorithmes pour parvenir à afficher en temps réel des milliards d’objets spatiaux (étoiles, planètes, galaxies, etc.).

Vous avez bien lu, on parle ici de milliards d’informations. Pour vous donner une idée, la carte de l’espace la plus complète réalisée jusqu’à aujourd’hui, et publiée en 2020, comptait quatre millions de points de données.

Un projet intergalactique

Les informations utilisées pour produire les environnements virtuels de «VIRUP» proviennent soit d'observations faites par des satellites dans l'espace et des télescopes sur Terre, soit de calculs numériques réalisés par les chercheurs.

Parmi les huit banques de données dont sont issues les informations que traite «VIRUP», les plus importantes sont:

  • le Sloan Digital Sky Survey (SDSS), qui comprend plus de 4 millions de galaxies;
  • les données de la mission européenne Gaia qui comptent 1,5 milliard de sources lumineuses dans la Voie lactée;
  • la mission européenne Planck dont le satellite mesure les premières lumières après le Big Bang;
  • l'Open Exoplanet Catalog, qui rassemble diverses sources de données sur les exoplanètes.

Les informations utilisées pour produire les environnements virtuels de «VIRUP» proviennent soit d'observations faites par des satellites dans l'espace et des télescopes sur Terre, soit de calculs numériques réalisés par les chercheurs.

Parmi les huit banques de données dont sont issues les informations que traite «VIRUP», les plus importantes sont:

  • le Sloan Digital Sky Survey (SDSS), qui comprend plus de 4 millions de galaxies;
  • les données de la mission européenne Gaia qui comptent 1,5 milliard de sources lumineuses dans la Voie lactée;
  • la mission européenne Planck dont le satellite mesure les premières lumières après le Big Bang;
  • l'Open Exoplanet Catalog, qui rassemble diverses sources de données sur les exoplanètes.
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Le rêve d’une vie

À l’origine de cette innovation dans le domaine de la visualisation de données dans l'espace se trouvent l’astrophysicien Yves Revaz et l’ingénieur Florian Cabot.

Yves Revaz crée des simulations sur ordinateur pour représenter l’espace depuis 20 ans. Sa spécialité: la naissance et l’évolution de galaxies. Il y a plus de 15 ans, il réalise un premier film à partir de simulations. «Mais il manquait quelque chose pour s’immerger totalement dans ces données», explique le chercheur. «Avec mes collègues, nous avons vu avec l’essor de la réalité virtuelle une possibilité d’aller plus loin dans nos simulations. Il y a quatre ans nous avons donc eu l’idée de l’utiliser pour créer des simulations d’univers totalement immersives», se souvient-il.

Il aura fallu deux ans de travail à Florian Cabot pour réussir à concevoir le logiciel de visualisation de données astrophysiques «VIRUP». En plus de l'affichage en temps réel de milliards de données, l’autre défi de la création du logiciel était de pouvoir offrir une expérience d’immersion agréable et fluide pour les utilisateurs: «Dans un film standard, on compte 24 images par seconde, alors que pour la réalité virtuelle il faut en compter au moins 90.» En dessous de 90 images par seconde, on risque tout simplement d’avoir la nausée ou de se sentir mal en portant le casque de réalité virtuelle.

Des galaxies à perte de vue, issues de la banque de données du Sloan Digital Sky Survey (SDSS) et affichées par «VIRUP» sur un écran panoramique à 360°.
Photo: Hadrien Gurnel/EM+

Partager la carte de l’univers avec la Terre entière

Pourquoi créer un tel logiciel? Pour Yves Revaz et son équipe, le but était double: «Nous voulions un outil qui nous permette d’analyser nos propres données et qui nous aide à mieux visualiser nos simulations. Mais nous souhaitions aussi créer un outil pour pouvoir partager cette connaissance de l’univers avec le grand public», précise l’astrophysicien.

«On commence à peine depuis quelques années à avoir une compréhension de notre univers. On s’est dit qu’il fallait partager cette connaissance, car peu de personnes sont vraiment au courant de ses différentes échelles et arrivent à comprendre et à se représenter à quel point la Terre est ridicule par rapport à l’univers. Nous nous sommes demandé comment partager cette connaissance au mieux», raconte Yves Revaz.

Je ne sais pas vous mais, avant de pouvoir enfiler ce casque de VR, j’étais effectivement bien incapable de me représenter la place réelle de la Terre dans l’immensité de l’univers (et pourtant mes deux parents sont astrophysiciens, c’est dire...).

Les univers virtuels créés par «VIRUP» peuvent être projetés sur des écrans panoramiques à 360° comme ici à l'eM+.
Photo: Hadrien Gurnel/EM+
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Données gratuites mais expérience payante

Depuis mardi, n’importe qui peut donc télécharger «VIRUP» sur son ordinateur depuis le site dédié de l’EPFL. Le logiciel est gratuit et en «open source»: tout le monde peut accéder et modifier son code (son mode d’emploi, si vous voulez). Pour l’instant, la page web et sa notice de téléchargement sont en anglais, mais les captures d’écran et les images explicatives permettent de suivre pas à pas le processus. Un mode d’emploi en français devrait bientôt être disponible.

Une fois que vous avez téléchargé le logiciel et que vous l'avez ouvert sur votre ordinateur, vous pouvez accéder aux différentes scènes. Quid de l’immersion, me direz-vous? C’est là que nous touchons aux limites matérielles de l’expérience immersive que le logiciel est censé offrir. À moins de disposer d’un casque de réalité virtuelle chez soi et d’un ordinateur suffisamment puissant pour afficher les scènes en VR, il faudra vous contenter d’images et de représentations en deux dimensions (des images d’une exhaustivité et d’une qualité inégalées jusque-là, certes, mais toujours en 2D sur votre écran). Le matériel nécessaire pour se balader dans l’espace depuis son canapé représente la coquette somme de 3000 francs, casque et ordinateur compris.

Questionné sur les limites matérielles de l’expérience immersive pour tous, Yves Revaz remet la situation dans son contexte: «Pour moi le but de l’expérience ne se trouve pas là. Cette technologie doit plutôt servir à créer un pont entre les scientifiques et le public. C’est pour ça que nous allons organiser des démonstrations publiques lors des portes ouvertes de l’EPFL mais aussi au Laboratoire d’Astrophysique du campus (LASTRO). L’idée est que les gens viennent tester cette technologie d’immersion dans les meilleures conditions matérielles possibles et qu’ils soient guidés en parallèle par les scientifiques qui peuvent leur expliquer ce qu’ils voient».

En attendant avril 2022

La réalité virtuelle n’est pas la seule technologie qui permet de s’immerger dans les environnements virtuels de «VIRUP». Yves Revaz et Florian Cabot ont travaillé avec Sarah Kenderdine, la directrice du laboratoire de muséologie expérimentale (eM +) de l’EPFL, et Hadrien Gurnel pour mettre sur pied d’autres dispositifs immersifs.

En plus de la VR, les environnements virtuels de «VIRUP» peuvent être projetés sur des écrans panoramiques, des dômes comme dans les planétariums, et sur de grands écrans. Certaines projections peuvent être observées avec des lunettes 3D pour permettre une expérience immersive plus conviviale: la limite du casque de réalité virtuelle étant qu’une seule personne peut l’utiliser à la fois.

Pour tester ces dispositifs, il vous faudra patienter jusqu’aux prochaines portes ouvertes de l’EPFL, et jusqu’à la prochaine exposition du campus dédiée à l’astrophysique: «Cosmos Archaeology: Explorations in Time and Space». Elle s’ouvrira le 8 avril 2022 aux EPFL Pavilions. Le spectacle a lieu en ce moment au dôme Synra du Musée de la science de Tokyo, et se tiendra à Dubai en octobre dans le cadre du EPFL’s Virtual Space Tour.

La réalité virtuelle n’est pas la seule technologie qui permet de s’immerger dans les environnements virtuels de «VIRUP». Yves Revaz et Florian Cabot ont travaillé avec Sarah Kenderdine, la directrice du laboratoire de muséologie expérimentale (eM +) de l’EPFL, et Hadrien Gurnel pour mettre sur pied d’autres dispositifs immersifs.

En plus de la VR, les environnements virtuels de «VIRUP» peuvent être projetés sur des écrans panoramiques, des dômes comme dans les planétariums, et sur de grands écrans. Certaines projections peuvent être observées avec des lunettes 3D pour permettre une expérience immersive plus conviviale: la limite du casque de réalité virtuelle étant qu’une seule personne peut l’utiliser à la fois.

Pour tester ces dispositifs, il vous faudra patienter jusqu’aux prochaines portes ouvertes de l’EPFL, et jusqu’à la prochaine exposition du campus dédiée à l’astrophysique: «Cosmos Archaeology: Explorations in Time and Space». Elle s’ouvrira le 8 avril 2022 aux EPFL Pavilions. Le spectacle a lieu en ce moment au dôme Synra du Musée de la science de Tokyo, et se tiendra à Dubai en octobre dans le cadre du EPFL’s Virtual Space Tour.

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En attendant les portes ouvertes et l’exposition dédiée à l’EPFL, vous pouvez toujours embarquer dans un voyage interstellaire le temps de cette vidéo de 20 minutes réalisée à partir des environnements virtuels de «VIRUP». Cette version au format 360° sur YouTube vous permet également de vous déplacer dans la vidéo avec votre souris.

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Était-ce vraiment le bon moment?

En pleine crise sanitaire et climatique, on peut se demander s'il n’aurait pas mieux valu dédier les efforts de la science à d’autres sujets que la cartographie de notre univers si vaste et inaccessible. Yves Revaz comprend tout à fait l'interrogation, il ne pense pas que cela diminue l’intérêt du projet: «On peut effectivement se dire qu’on a suffisamment de problèmes urgents à traiter sur Terre et qu’on n’a pas besoin d’aller chercher vraiment au-delà, ce qui est tout à fait vrai. Mais je suis intimement convaincu qu’en tant qu’astrophysicien on répond à des questions philosophiques. Il se trouve que, pour une raison que l’on ne comprend pas tout à fait bien, l’homme a toujours voulu savoir ce qu’il y avait au-delà de la Terre.»

Le chercheur voit même un lien entre le partage de cette connaissance et la crise sanitaire actuelle, qui a vu l’émergence de théories du complot notamment sur l’apparition du Covid-19. «Je pense que c’est important de partager cette connaissance aussi parce qu’il faut lutter contre l’obscurantisme. Il est important que le grand public puisse avoir accès à la science et être confronté à la démarche scientifique. Cette dernière repose sur le fait d’établir des lois à partir d’observations et d’analyses, et je pense qu’elle permet d’atteindre une forme de vérité, ou en tout cas une vision très proche de la réalité des choses», estime l’astrophysicien.

Si Yves Revaz admet ne pas encore avoir réfléchi à des applications concrètes de «VIRUP» dans la vie quotidienne ou dans l’industrie, les possibilités d’utiliser ce logiciel dans d’autres contextes existent. «Dès que l'on a affaire à un système complexe où il faut traiter de grosses masses de données, 'VIRUP' pourra être utile. Je pense notamment à des applications dans d’autres domaines de l’astrophysique comme l’étude des plasmas, mais on peut aussi penser, pourquoi pas, à la climatologie, ou encore au domaine médical. D’ailleurs parmi les personnes qui ont testé l'immersion et regardé les vidéos réalisées à partir des simulations de 'VIRUP', beaucoup ont comparé les structures en filament des galaxies dans l’univers aux réseaux de neurones du cerveau», note le chercheur.

Vers l'infini, et au-delà

Les potentiels de développement de «VIRUP» sont encore importants. Le prochain challenge des chercheurs sera de réussir à proposer des simulations qui évoluent en temps réel. Pour l'instant VIRUP propose une simulation à un instant donné, et les images et immersions qui sont proposées au grand public sont celles de notre époque, soit 14,5 milliards d'années après le Big Bang.

À l'avenir, les responsables du projet aimeraient pouvoir fournir des simulations qui se mettent à jour en temps réel et à n'importe quel moment depuis le Big Bang. Pour cela, il faudra utiliser de nouvelles technologies suffisamment puissantes pour mettre à jour les simulations 90 fois par seconde.

Yves Revaz et Hadrien Gurnel précisent également que le but de partager le logiciel est de pouvoir offrir à des associations d'astronomes amateurs et à des planétariums des ressources pour leurs activités.

Les potentiels de développement de «VIRUP» sont encore importants. Le prochain challenge des chercheurs sera de réussir à proposer des simulations qui évoluent en temps réel. Pour l'instant VIRUP propose une simulation à un instant donné, et les images et immersions qui sont proposées au grand public sont celles de notre époque, soit 14,5 milliards d'années après le Big Bang.

À l'avenir, les responsables du projet aimeraient pouvoir fournir des simulations qui se mettent à jour en temps réel et à n'importe quel moment depuis le Big Bang. Pour cela, il faudra utiliser de nouvelles technologies suffisamment puissantes pour mettre à jour les simulations 90 fois par seconde.

Yves Revaz et Hadrien Gurnel précisent également que le but de partager le logiciel est de pouvoir offrir à des associations d'astronomes amateurs et à des planétariums des ressources pour leurs activités.

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Est-ce qu'Yves Revaz n’a pas peur que l’expérience crée des crises existentielles? D’un rire, le scientifique dissipe mes doutes: «Je pense que c’est bien si cette expérience génère une réflexion profonde. Je ne sais pas si cela peut provoquer des crises existentielles, mais un certain vertige, oui c’est sûr. Notre cerveau fonctionne sur le rythme du quotidien et lorsque l'on est confronté à des temps et des distances qui nous dépassent, cela peut effectivement nous questionner. On peut se demander ce qu’il y avait avant le Big Bang, si l’univers a toujours existé… C’est vrai que ce sont des questions qui donnent le tournis. Après, on peut aussi se dire que cela peut aider les gens à prendre du recul et à voir les choses différemment. Ces dernières années nous avons été très marqués par la personnalité de Donald Trump, pour prendre un exemple au hasard. Comme président des États-Unis, il donnait l'impression de se sentir tout puissant, et cela me fait doucement rigoler parce qu’à l’échelle de l’univers, son 'pouvoir' ne représentait absolument rien. C’est un message que j’aime bien faire passer: à l’échelle de l’univers, nous et nos égos ne représentons pas grand-chose».

Selon les dires du chercheur, toutes les personnes qui ont vécu l’expérience d’immersion, et j’en fais partie, en sont ressorties avec «des étoiles plein les yeux» (au sens propre comme au figuré). Au milieu d'un quotidien au rythme effréné, dans lequel nous sommes saturés de stimulations, prendre de la hauteur dans l'immensité silencieuse du vide intersidéral est une pause plus que bienvenue.

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