Offertes par un homme à ses fils
Ils auraient réduit quatre jeunes femmes en esclavage dans le Jura bernois

Un clan familial kosovar aurait maltraité quatre femmes, forcées à travailler pendant seize ans dans le Jura bernois. Le père aurait fait venir les adolescentes pour les marier à ses fils. Le Tribunal régional de Moutier se penchera sur le dossier dès le 7 novembre.
Publié: 02.11.2022 à 17:46 heures
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Dernière mise à jour: 03.11.2022 à 16:22 heures
Nicolas Lurati, Luisa Ita, Michael Sahli

En plein cœur de la Suisse et durant seize ans, quatre jeunes femmes auraient été réduites en esclavage, violentées et violées. Sans que personne s’en aperçoive. Du lundi 7 au vendredi 11 novembre, un père et ses quatre fils — présumés innocents — comparaîtront devant le tribunal régional de Moutier (BE). Pour chacun de ses enfants, Albrahim F.* aurait fait venir depuis les Balkans des adolescentes âgées de 14 à 17 ans en tant «qu’épouses». C’est dans le Jura bernois que les quatre prévenus les auraient maltraitées et forcées à travailler au domicile du clan.

La première victime présumée est arrivée en Suisse en 2003, en provenance d’Albanie, à 17 ans. Le mariage aurait été arrangé avec ses parents à elle, à qui Albrahim F.* aurait promis une vie meilleure pour leur fille. Selon le même schéma, ce dernier aurait acheté une autre jeune fille, de 14 ans cette fois, en versant la somme de 300 euros à la famille — pauvre — de celle-ci, avancent les enquêteurs.

Isolées, battues, violées et menacées de mort

Mais la promesse d’un quotidien plus radieux s’est vite transformée en cauchemar. Selon l’acte d’accusation, le patriarche, aujourd’hui sexagénaire, aurait explicitement demandé à ses fils de violenter leurs «femmes» tant psychiquement que physiquement. Résultat, elles auraient été régulièrement battues, humiliées, menacées de mort, isolées et violées.

Le chef de famille et ses fils nient avoir commis des actes illicites et soutiennent que les quatre femmes, séquestrées, violentées et violées selon le Ministère public, étaient consentantes.
Photo: DR

Les témoignages contenus dans le document d’une trentaine de pages font froid dans le dos. Albrahim F. est notamment accusé d’avoir frappé sa belle-fille jusqu’à ce qu’elle saigne et de l’avoir étranglée des deux mains alors qu’elle était enceinte. Chaque soir, l’une des victimes présumées aurait aussi été forcée à laver les pieds de son beau-père et de son beau-frère.

Aujourd'hui, les quatre victimes présumées ont été placées en lieu sûr par la justice, se réjouit Dominic Nellen, avocat de deux des quatre femmes, joint par Blick. Quid de la dizaine d'enfants mis au monde durant cette décennie? Pour des raisons de sécurité, l'homme de loi n'en dira pas davantage.
Photo: Luisa Ita

Durant toutes ces années, les jeunes femmes n’auraient presque pas été autorisées à quitter l'appartement. Leurs familles, restées au pays, n’auraient quasiment reçu aucunes nouvelles. Du matin au soir, elles auraient été obligées à travailler sans être rémunérées. L’une d’entre elles ne parle toujours aucune langue nationale et séjournait de manière illégale sur le territoire suisse.

Le droit coutumier médiéval albanais en cause?

Elles sont désormais placées en lieu sûr. «Elles sont bien protégées par la justice», se réjouit Dominic Nellen, avocat de deux d'entre elles, joint par Blick. Quid de la dizaine d’enfants mis au monde durant cette décennie de l'horreur? Pour des raisons de sécurité, l’homme de loi n’en dira pas davantage.

Ses clientes seraient gravement traumatisées. «Elles sont arrivées alors qu’elles étaient encore mineures, amorce-t-il. Pour traverser la frontière, elles ont dû marcher toute la nuit dans la forêt. Et, dès leur arrivée, elles ont été violées par leur mari respectif. Ces femmes sont brisées.»

Comment expliquer une telle violence? Pour Dominic Nellen, la réponse est à chercher du côté du «Kanun», le droit coutumier médiéval albanais, toujours appliqué par certains clans dans les Balkans. Avec, comme dans le cas d’espèce, un leader qui donne des ordres.

Les accusés nient toute culpabilité

Si les quatre jeunes femmes ont réussi à se sortir de cette situation, c’est notamment grâce aux autorités bernoises. «Les services sociaux ont commencé à s’intéresser de plus près à la famille et ont par exemple demandé qu’elles suivent des cours de langue et s’efforcent à chercher un emploi.» Un premier pas vers la liberté: «Les fonctionnaires ont remarqué qu’il y avait quelque chose d’anormal et des abus.»

C’est en 2019 qu’elles ont finalement réussi à s’enfuir. Un service d’aide aux victimes a été impliqué, note le Ministère public.

A ce stade, aucun des accusés n’a passé plus d’un jour derrière les barreaux. Au grand dam de Dominic Nellen. «Ils nient avoir commis des actes illicites et soutiennent qu’elles étaient consentantes», déplore l’homme de loi.

Les quatre prévenus devront répondre de traite d’être humains, de mariage forcé, de coups et blessures, de contrainte, de viol et d’actes d’ordre sexuel avec des enfants. Les peines pourraient être lourdes. L’avocat de l’un des fils indique à Blick qu’il plaidera l’acquittement. Egalement contactés, les autres conseils des accusés n’ont pas donné suite à nos demandes d’interview ou n’ont pas souhaité faire de commentaire.

*Prénom d’emprunt

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