Petchi au Tessin
Le «rustico» à un franc, un rêve qui a tout du cauchemar

Il y a trois ans, la commune de Gambarogno a proposé à la vente ses «rustici», des mayens typiquement tessinois, pour seulement un franc pièce. Si des centaines d'intéressés se sont manifestés, personne n'a sauté le pas. Blick vous révèle pourquoi.
Publié: 09.07.2022 à 14:04 heures
Myrte Müller

Ce super deal avait fait la une des journaux du monde entier. Rappelez-vous: le maire d’un village sicilien promettait des maisons… pour un seul euro! En contrepartie, il fallait s’engager à rénover rapidement les bâtiments délabrés. Objectif de l’opération: redonner vie à ce village médiéval situé au cœur de la province de Trapani.

C’était il y a un peu plus de 14 ans. L’initiative s’est répandue comme une traînée de poudre dans tout le pays. Aujourd’hui, 61 villages répartis dans 15 régions italiennes proposent des centaines de maisons à un euro. Le marché est en plein essor.

Flairant le bon plan, la commune tessinoise de Gambarogno s’était également lancée. Elle aussi possède un vieux hameau désert qu’il s’agit de faire revivre. Nommé Monti di Sciaga, ce dernier est situé au-dessus de la commune de montagne d’Indemini, à 1300 mètres d’altitude. Il bénéficie d’une excellente exposition sud et même d’une petite vue sur le lac. Un véritable joyau pour qui aime le romantisme, l’isolement et la nature.

Les «rustici» en ruine se trouvent au-dessus d'Indemini.
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Pas un seul «rustico» vendu

C’est en 2019 que la version suisse de cette offre détonante a été lancée à grand renfort de publicité: un «rustico» — un mayen typiquement tessinois — pour un franc! De nombreuses personnes intéressées se sont depuis manifestées. Mais jusqu’à présent, aucune maison n’a été vendue. Et pour cause.

On ne peut pas comparer les logements italiens à un euro avec les rustici de Monti di Sciaga, avance Pierluigi Vaerini à Blick. «Les vieux 'palazzi' en Italie se trouvent généralement au centre des villages et ont donc accès à l’électricité, à l’eau et au gaz.»

Les rustici, en revanche, sont isolés sur une montagne, en dehors de la zone constructible. «Il faut bien 45 minutes de marche pour arriver au hameau. Car il n’y a pas de route pour y monter», explique l’élu local et président de l’association des Amis d’Indemini. Mais ce n’est pas tout. «La reconstruction d’un seul rustico coûte rapidement 200’000 francs, rebondit le policier à la retraite. Franchement, je me demande si nous allons y arriver.»

Un vieux serpent de mer

Depuis les années 1970, on parle de reconstruire le hameau. A l’époque, une trentaine de rustici et 20 hectares de terrain appartiennent à la Comunità Montana SA. Mais l’argent manque. Dans les années 1990, Indemini rachète les maisons et développe un projet agricole. Manque de bol: celui-ci échoue en 2002 face à l’assemblée communale.

La commune maintient toutefois ses ambitions. Elle commande une étude de faisabilité à un architecte. Il y a deux mois, elle a déposé auprès du canton des demandes de permis de construire pour huit rustici qui ont un impact sur le paysage. «Nous sommes optimistes», affirme toutefois le président de la commune Gianluigi Della Santa, qui glisse avoir reçu des signaux positifs de la part du canton.

Mais Berne a aussi son mot à dire. Et avec le recours de l’Office fédéral du développement territorial (ARE) déposé en mai 2022, le rêve du rustico risque de s’effondrer définitivement. Car l’action n’est pas dirigée contre les demandes de permis de construire, mais contre l’inventaire du hameau, condition préalable à la réaffectation des rustici. La commune s’est replongée dans l’inventaire en 2018, mais l’ARE n’en a pas été informé.

La Confédération bloque le projet

«Lors de l’examen d’un autre permis de construire de la commune de Gamborogno, nous sommes tombés sur le nouvel inventaire», éclaircit Thomas Kappeler. «Nous avons alors vu sur les images satellites dans quel mauvais état se trouvaient les rustici». Selon le chef de la section Droit de l’ARE contacté par Blick, les maisons en ruine ne peuvent en fait plus être reconstruites. Cependant, peut-être qu’une visite des lieux avec toutes les parties concernées pourrait encore changer la donne, confie Thomas Kappeler, .

Une chose est d’ores et déjà sûre: pour l’instant, le recours bloque tout. Et pourrait même être porté devant le Tribunal fédéral. Ce qui signifierait encore davantage de paperasses et de tracasseries en tout genre. C’est ainsi que les rustici deviennent de plus en plus chers avant de pouvoir être vendus pour un franc.

(Adaptation Antoine Hürlimann)


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