Piégés par des promoteurs sans scrupules
Cinq couples valaisans arnaqués par des promoteurs immobiliers racontent leur calvaire

Avoir la fibre écologique peut parfois coûter très cher. Les cinq couples qui ont confié la construction de leur maison, halle ou chalet à un duo de promoteurs sans scrupules sévissant en Valais se sont tous fait flouer. Témoignages.
Publié: 01.05.2024 à 11:59 heures
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Dernière mise à jour: 01.05.2024 à 12:20 heures
Christian Rappaz

Le Traquenard, c’est le nom du bar sédunois choisi comme point de ralliement des victimes connues d’une des plus importantes escroqueries immobilières de ces dernières années en Valais. Hasard ou moquerie de la vie, c’est aussi le nom qualifiant le mécanisme parfaitement rodé et huilé utilisé par Y. R.* et R. K.*, autoproclamés constructeurs d’immeubles, pour appâter leurs clients. Notamment ces cinq couples que nous avons rencontrés et qui souhaitaient résider dans une bâtisse estampillée CECB (Certificat énergétique cantonal des bâtiments, une norme qui évalue la qualité de l’enveloppe et le bilan énergétique global ainsi que les émissions de CO2 du bâtiment).

Ce label donne droit à une subvention intéressante. Autant dire que la construction proposée par les deux associés aux innombrables faillites, basée sur une structure avec des panneaux en bois massif, un système de récupération des eaux de pluie, un chauffage à pellets et des panneaux photovoltaïques, attire le chaland à tendance verte. Tous parlent d’ailleurs d’un concept séduisant. Mais sur le papier seulement. «Au lieu de se réjouir, de se laisser gagner par l’euphorie de réaliser le projet d’une vie, on a surtout pleuré», confessent les victimes.

«On a honte d'avoir été un pigeon»

Il y avait sûrement une façon légale de mettre un terme à l’arnaque, mais, comme le confie Gilles Chatriant, «quand on est pris dans un tel tourbillon d’embrouilles, c’est dur de s’afficher, de dénoncer, d’assumer publiquement qu’on s’est fait rouler. Alors on s’isole, on a honte d’avoir été une pive, un pigeon à ce point.» Et puis le degré de mépris des règles les plus élémentaires de la construction dont ont fait preuve ces deux hommes apparaît clairement une fois le mal fait. «Dès que les choses tournent mal, ils inventent des excuses bidon, ne se présentent plus aux rendez-vous de chantier puis disparaissent carrément des radars.»

Manou Leiggener et Isabelle Fournier ont lancé l'alerte.
Photo: Sedrik Nemeth
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Une version confirmée par tout le monde. Une anecdote citée par une des personnes trompées résume bien le degré d’incompétence de ces pseudo-promoteurs: «Alors que les portes du garage avaient été livrées depuis longtemps, les ouvriers tardaient à les monter. Et pour cause: ils ont fini par avouer avoir regardé des tutos sur internet mais n’avoir pas compris comment il fallait faire.»

Contacté, R. K. rejette non seulement toutes les accusations en bloc mais se montre de surcroît compatissant avec... lui-même. «Je suis dans une m…, vous ne pouvez même pas imaginer.» Tout est dit.

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Manou Leiggener et Isabelle Fournier / Perte: entre 150'000 et 200'000 francs


«Le cauchemar dans lequel nous a plongés la construction a-t-il eu raison de notre couple, après neuf ans de vie commune? On dira que les problèmes, qui n’ont jamais cessé de s’enchaîner depuis le printemps 2021, y ont largement contribué. Par contre, la sévère dépression dont a été victime Manou, qui l’a éloigné du travail pendant cinq mois, a bel et bien été déclenchée par les angoisses et les soucis que cette déprimante situation a générés.

Tout a commencé par la faillite de la société avec laquelle nous venions de signer un contrat d’entreprise générale pour la construction d’une villa dont le prix ne devait pas excéder 790'000 francs. Le temps que l’un des associés, R. K., reprenne l’affaire en main via une autre société, le terrassement avait pris quatre mois de retard. Mais ensuite, on allait voir ce qu’on allait voir, promettait l’autoproclamé directeur des travaux. Et on a vu, ça, c’est sûr. 

«Sans aide, on ne s’en sortira pas»

On a même bu le calice jusqu’à la lie, comme on dit. Jusqu’à il n’y a pas longtemps, on croyait que ce n’était que sur les télés étrangères qu’on voyait ce genre d’histoire. La nôtre est bel et bien arrivée en Suisse, en Valais. Pour la faire courte, on dira que de malfaçons en accidents en série, des infiltrations d’eau en particulier, en passant par les fausses promesses et les mensonges à répétition, le chantier a fini par s’arrêter il y a bientôt deux ans, suite à la faillite de la société de R. K. 

Conséquence, aujourd’hui, nous sommes contraints de commander une expertise complète pour connaître précisément l’état du bâtiment et estimer le coût de sa finition. A la louche, on parle de 150'000 à 200'000 francs. Peut-être plus. Mais notre crédit est pratiquement épuisé. Et les intérêts courent, même si la banque a temporairement et gentiment suspendu les versements. À la suite d'un premier article, une vague de solidarité se met en place. Autant l’avouer: c’est la seule chose qui peut nous sauver. Sans aide, on ne s’en sortira pas.»

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Christophe et Kristel Spitz / Perte: 100'000 francs

Très affecté par la cascade de problèmes, Christophe et Kristel Spitz ont pu terminer le chantier grâce à l’indéfectible soutien d’un de leurs amis. «Sans lui, je crois que nous ne nous en serions pas sortis.»
Photo: Sedrik Nemeth

«Comme nous avions la volonté de bâtir une maison la plus naturelle possible, le concept de construction CLT (Cross Laminated Timber, bois lamellé-croisé, ndlr) que nous a présenté Y. R., un associé de R. K., avec un bagout impressionnant nous a vite séduits. Le contrat d’entreprise générale à 635'000 francs TTC fraîchement signé, le chantier a démarré début 2022. Les travaux avançaient bien, la relation de confiance aussi. Même la faillite de la société d’Y. R. est passée un peu inaperçue, R. K. ayant pris le relais via son entreprise personnelle. Jusqu’à ce jour de début 2023 où le chantier s’est brusquement arrêté, sans qu’on sache réellement pourquoi. R. K. ne venait plus et ne répondait pas au téléphone, excepté lorsqu’on l’appelait avec un numéro qu’il ne connaissait pas.

«Ça a été un cauchemar pendant un an et demi!»

Par bonheur, la régie qui gérait l’immeuble où nous résidions a prolongé notre bail de deux mois. Pour ne pas nous retrouver à la rue, nous avons finalement pris possession de la maison début juin, alors que les isolations étaient encore apparentes, que la ferblanterie n’était pas posée et que les aménagements extérieurs n’étaient pas réalisés. Je ne vous dis pas les insomnies, les crampes d’estomac, les prises de tête avec ma femme et même les longues séances de pleurs dans la cuisine. Sans le soutien psychologique et salvateur d’un spécialiste, j’aurais vraiment eu du mal à m’en remettre.

Au-delà des 100'000 francs que nous avons dû rajouter pour terminer les travaux, au-delà de l’hypothèque légale que nous avions déposée, c’est notre rêve que ce type a brisé. Jamais nous n’avons pu nous réjouir. L’accouchement s’est fait dans une grande douleur, si je peux me permettre la comparaison. Cela a été «cauchemar en chantier» pendant un an et demi. R. K. a été d’un bout à l’autre dans le déni et n’a jamais rien assumé. Pire, lorsque nous sommes rentrés de vacances, en juillet, nous avons trouvé une lettre de trois lignes dans notre boîte nous informant qu’il avait fait faillite. Les personnes de ce genre ne se rendent pas compte du mal qu’elles font.»

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Joël et Juliette Vouillamoz / Perte: 230'000 francs

Juliette et Joël rêvaient de construire une halle un peu atypique pour leur entreprise, qui allie architecture et matériaux de la région. Pour la réaliser, ils sont eux aussi passés par mille difficultés. Avec, à la clé, un important surcoût.
Photo: Sedrik Nemeth

«Les embrouilles ont commencé le jour même de la signature, à son bureau, en avril 2022. Lorsque nous sommes arrivés, non seulement notre dossier était incomplet, mais en plus il contenait des pages d’autres constructions. Son imprimante était en panne aussi. Il nous a dit être débordé mais qu’il mettrait tout cela en ordre. Ce qu’il n’a visiblement pas fait puisque l’autorisation de construire dont il avait fait la demande est arrivée avec beaucoup de retard. Grâce à une météo clémente, le chantier a enfin pu commencer début 2023.

A ce moment-là, j’ai accouché prématurément, à 31 semaines, d’une petite fille pesant 680 grammes. Je suis restée deux mois auprès d’elle au CHUV alors que Joël, qui a une société de transports, faisait des allers-retours quotidiens. Autant dire que nous ne pouvions pas trop nous occuper du chantier. Heureusement, le terrassement s’est bien passé. C’est après que cela s’est gâté. Dès l’installation de la structure en bois, gorgée d’eau par la pluie. Nous tentions de discuter avec les ouvriers, mais ils ne parlaient pas le français. Nous avons cependant compris qu’ils travaillaient auparavant dans l’agriculture et ne connaissaient pas grand-chose à la construction.

«On aurait pu finir en faillite»

Puis les premières factures sont arrivées: 70'000 francs pour le maçon contre 40'000 francs prévus par R. K., 70'000 francs pour l’électricité au lieu de 30'000 francs et 130'000 francs pour le sanitaire au lieu de 60'000 francs. On souhaitait demander des explications à R. K., lui dire aussi qu’il y avait de grandes infiltrations d’eau sous les panneaux solaires. Mais il ne répondait plus au téléphone. Ni à ses ouvriers d’ailleurs. Lorsqu’on retenait des paiements, il nous faisait de l’intimidation. Puis, un jour, il nous a informé en deux lignes que sa société était en faillite et qu’il était ruiné. Nous avons mandaté un architecte et engagé des entreprises pour terminer la halle. Elle nous a finalement coûté 1 million. Si Joël n’était pas un peu dans le bâtiment, on aurait pu finir en faillite.»

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Gilles Chatriant et sa fille Maureen / Perte: entre 150'000 et 200'000 francs

Après moult péripéties, le père et sa fille ne sont pas encore au bout de leurs peines. «Le terrain, et la maison avec, a commencé à s’affaisser. Il a fallu remettre le plancher à niveau à l’aide d’un cric. Millimètre par millimètre.»
Photo: Sedrik Nemeth

«Autant le dire tout de suite: on est dégoûtés! Cette construction était le projet d’une vie. On l’a rêvée ensemble, mais elle est rapidement devenue un boulet. Papa a perdu beaucoup de poids et beaucoup d’argent. Je le soutiens moralement autant que je peux, je le vois souvent démuni et je crains sincèrement pour sa santé. Pensez, à peine le contrat signé avec une société vaudoise portant sur une construction à 510'000 francs, terrain non compris, que celle-ci a fait faillite, quatre mois plus tard. Nous lui avions déjà versé 51'000 francs pour des précommandes.

C’est à ce moment-là que R. K. est entré dans le processus. Nous lui faisions confiance. On ne pouvait pas le tenir pour responsable du retard de quatre mois dans la livraison de la structure en bois. En revanche, c’est lui qui a décidé de poser cette dernière directement sur le radier. Sans hors-gel. «C’est garanti», affirmait-il.

Sauf qu’il a beaucoup plu la semaine suivante, le terrain s’est affaissé et, avec lui, le plancher. Quand nous sautions dessus, la maison rebondissait. Carrément! Il a fallu le remettre à niveau à l’aide d’un cric. Millimètre par millimètre. C’est à ce prix que nous avons pu sauver la structure. Pour consolider le tout, nous avons dû planter des piliers en béton à 3 mètres de profondeur.

«Nous avons hâte de sortir enfin de ce cauchemar»

Ces travaux de sous-fondations ont coûté 31'000 francs. Incapable d’assumer quoi que ce soit, R. K. ne répondait plus au téléphone. Nous étions épuisés. Ensuite, il y a eu de gros problèmes avec les équerres parasismiques. Un ami spécialiste de la construction m’a mise en garde quant à leur mauvaise qualité. En réalité, elles ne répondaient tout simplement pas aux normes exigées.

Espérons qu’il n’y a pas de familles qui vivent sans le savoir avec du matériel bas de gamme de ce type sous leurs pieds. Aujourd’hui, il reste 35'000 francs de crédit, mais on estime à 200'000 francs le montant nécessaire pour terminer la construction. On se débrouillera, car nous avons hâte de sortir enfin de ce cauchemar.»

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Thomas et Anne-Catherine Schwery / Perte: 119'000 francs

Un incendie, deux inondations et des dizaines de nuits d’insomnie plus tard, Thomas, Anne-Catherine et leur petit Lucas peuvent enfin profiter de la villa qu’ils ont terminée à leurs frais.
Photo: Sedrik Nemeth

«Les travaux devaient commencer en octobre 2021, dans la foulée de la signature du contrat d’entreprise générale avec la société de R. K. Après les premiers coups de pelle, les terrassiers ne sont plus venus. Pour quelle raison? Mystère. On a eu beau insister auprès de notre constructeur, nous n’avons jamais eu de réponse concrète. Du coup, la structure en bois n’a pas pu être installée avant l’hiver. Le début des ennuis, en fait. Afin de la protéger des éléments, il avait été demandé à R. K. de conserver cette dernière à l’abri. Ce qui n’a visiblement pas été le cas.

«Il y a eu un incendie et on a dû finir la maison nous-mêmes!»

Une fois montée, on distinguait nettement des traces d’eau et de brûlures du soleil. L’équipe de R. K. a poncé tous les murs intérieurs, mais ce n’était pas suffisant et ils ont dû finalement être sablés. De plus, il y a eu de gros problèmes d’étanchéité avec, à la clé, une infiltration d’eau dans la maison. A l’heure où nous devions prendre possession des lieux, en octobre 2022, tout était encore en chantier et la bâtisse n’était pas du tout habitable. Encore moins avec l’arrivée d’un nouveau-né. Il n’y avait ni eau ni électricité. Heureusement, nous avons été hébergés par la famille.

Le 7 novembre, pour couronner le tout, l’équipe de R. K. a accidentellement mis le feu à la façade sud, menant à l’explosion de la baie vitrée du salon. Finalement, nous avons emménagé en mai 2023. L’aménagement extérieur n’était pas réalisé et il y avait un panneau de bois en guise de baie vitrée. Peu après, la société de R. K. a déposé le bilan. Depuis, nous avons été contraints de refaire l’escalier extérieur, car ce dernier, en bois, n’avait été ni traité, ni recouvert et a donc été attaqué par des champignons.

Au final, nous avons eu plus de 100'000 francs de surcoût. Sans compter nos heures, week-ends compris, entre prise de PV et contact avec les entreprises pour faire avancer les travaux. Et on ne parle pas de nos nuits d’insomnie et de nos angoisses. Deux années de cauchemar que nous avons heureusement pu traverser en restant très unis et solidaires.»

*Noms connus de la rédaction

Cet article est publié dans l’édition du 1er mai de l’Illustré

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