Procès du tueur de Samantha
«A quelles pulsions vous êtes-vous livré sur cette pauvre enfant?»

Le corps sans vie de Samantha avait été retrouvé en janvier 2018 dans une roselière sur la rive sud du lac de Neuchâtel, deux mois après sa disparition. Lundi, le procureur a requis la prison à vie pour assassinat contre Richard G., son tueur. Récit d’un procès glaçant.
Publié: 13.09.2021 à 21:27 heures
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Dernière mise à jour: 13.09.2021 à 23:03 heures
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Amit JuillardJournaliste Blick

Dans la salle d’audience, un portrait d’une Samantha rayonnante et douce s’assoit sur une chaise destinée au public. Ses proches l’entourent. Qui peut imaginer leur douleur et leur chagrin? Personne, sans doute. Dans leurs mains, un mouchoir effacera des larmes plusieurs fois durant ce procès. Procès auquel la mère de la victime n’assiste pas. Terrassée.

«Elle a failli se donner la mort plusieurs fois, témoigne la grand-mère de Samantha, première à s’exprimer ce lundi matin à Granges-Paccot (FR). Quelques fois, la première année, on ne la trouvait pas le soir. On la retrouvait dans le cimetière, couchée sur la tombe. Elle est dans un tel état qu’elle ne veut plus rester où elle habite. Il y a trop de souvenirs. Elle me dit «j’ai plus rien après». Ma fille est détruite.» Un col blanc dépasse d’une tenue noire endeuillée.

Victime nue de la taille aux pieds

Samantha, Genevoise de 19 ans, est retrouvée morte le 17 janvier 2018 par des promeneurs dans une roselière sur la rive sud du lac de Neuchâtel, à Cheyres (FR). Elle est nue de la taille aux pieds, ligotée avec des serre-câbles aux poignets, aux genoux et aux chevilles. Blessée à la tête. Son soutien-gorge est coupé net sur le devant. Elle avait disparu depuis le 22 novembre 2017. Son corps en décomposition ne permettra pas aux légistes d’établir la cause exacte de sa mort. Ni si elle a subi des actes d’ordre sexuel alors qu’elle était inconsciente.

Dans les 48 heures, Richard G., 21 ans à l’époque, qui travaille comme aide-cuisinier et loge à un restaurant non loin de là, est arrêté. Il passe rapidement aux aveux. C’est lui qui l’a tuée. Le Tribunal pénal de l’arrondissement de la Broye doit notamment définir le mobile du féminicide et trancher: s’agit-il d’un froid assassinat ou d’un meurtre résultant d’une discussion qui a mal tourné?

Victime et bourreau se connaissaient depuis leur enfance au Lignon, quartier populaire de Genève. Durant l’adolescence, ils étaient devenus amis. Ensemble, pour se faire de l’argent, ils effectuent des «combines» pour se faire du cash. Il revend par exemple des bijoux en or que Samantha s’était procuré. Elle lui fournit du haschich. Ils s’entraident financièrement. Par le passé, elle lui devait 6’000 francs.

Mensonges autour d’un héritage

Entre le 31 mai 2016 et le 8 novembre 2017, Richard G. lui remet une somme totale de quelque 10’000 francs. Samantha lui fait croire qu’elle en a besoin pour régler des formalités liées à l’héritage de sa mère prétendument décédée. Elle promet de lui remettre environ un tiers de la somme de 1,3 million lorsqu’elle la touchera.

Le 30 mai 2017, elle lui annonce qu’elle ne recevra finalement que 500 francs symboliques. Dans les jours qui suivent, ils échangent plusieurs messages et évoquent différentes façons de se faire de l’argent: la bourse, le trafic de drogue ou le cambriolage d’un «vieux» du village de Cheyres.

La dernière trace d’un échange à propos de l’héritage fictif date du 6 juin 2017, selon l’acte d’accusation. C’est le premier mobile possible et le prévenu assure une nouvelle fois devant la présidente Sonia Bulliard Grosset avoir fait venir Samantha ce soir-là pour en discuter.

Des fantasmes extrêmes

A en croire les messages échangés — et reproduits dans l’acte d’accusation — la relation entre les deux jeunes adultes était ambiguë, selon les termes du Ministère public fribourgeois. A plusieurs reprises, entre le printemps et l’automne 2017, Richard lui fait des avances. A plusieurs reprises, il lui propose de se mettre en ménage. Si elle ne le repousse pas, elle demande du temps.

En confiance, il finit par lui parler de son fantasme: les pieds des femmes. «Mais vraiment, mon kiffe sa serais de me mettre un pieds d une fille dans le cul parce que sa doit être trop sentimental question sensation» (sic), ose-t-il dans un message le 3 avril, avant de lui confier qu’il s’est déjà introduit divers objets dans le rectum.

Elle lui demande s’il a «craqué», espère que c’est une blague. Il lui dira que c’est une connaissance qui s’est emparée de son téléphone pour se venger. Sauf que les recherches internet de Richard semblent confirmer le fantasme: «comment reproduire un pied de femme» ou encore «un énorme plug anal lui ouvre entièrement le cul». Au fil des semaines, il tente plusieurs fois de la convaincre de lui envoyer des photos de ses pieds. Ce qu’elle finira par faire, contre une rémunération de 200 francs.

Le récit d’une sordide exécution

La thèse de l’amoureux éconduit: pour le procureur général adjoint Raphaël Bourquin, le mobile est là. Pour lui, impossible que le prévenu ait encore été fâché pour cette histoire d’héritage, alors qu’il avait découvert le pot aux roses en mai. Dans son réquisitoire, «un des plus terribles de ma carrière», il décrit l’exécution froide et préméditée durant plusieurs jours d’un tueur qui appâte sa future victime «avec une histoire de shit à transporter». «Il avait esquissé sur papier un plan de l’endroit où il comptait l’emmener, avec une heure arrivée à gare et sur la plage. […] Et, on l’a vu ce matin, sans horaire de retour.»

Que se passe-t-il exactement ce soir-là? L’histoire est sordide. Selon le récit de l’accusé, il se rend d’abord seul à la plage entre 19h et 21h, où il boit du whisky coca et fume un ou deux joints. L’état physique de Richard G., qui consommait quotidiennement ces substances, «n’a pas été fortement altéré», selon l’acte d’accusation. Dans le sac du tueur, un maillet en plastique et des ligarex. Il ira chercher Samantha à la gare vers 23h15 avant de l’emmener à la plage, où il avait laissé son sac. «Durant tout ce temps, il a surtout pu constater que personne n’empruntait ce chemin, analyse Raphaël Bourquin. A mon avis, il a bu et fumé non seulement pour se mettre en condition mais pour voir si l’endroit était tranquille.»

L’épouvantable agonie de Samantha

Pour une raison qui reste à établir, Samantha tourne les talons afin de prendre le dernier train et rentrer à Genève, décrit l’acte d’accusation. Richard G. la poursuit, le maillet dans la poche kangourou de son pull. Une fois derrière elle, il la frappe à l’arrière de la tête. Elle s’écroule dans l’eau dans un cri de douleur. Elle marmonne quelques instants. Il la ligote. «Il faut être sacrément préparé pour effectuer tous ces gestes dans l’eau», estime le procureur. Puis, «afin d’éviter de se faire surprendre», répète deux fois Raphaël Bourquin, il la tire hors de l’eau et l’adosse, inconsciente, à un arbre «et va se faire un verre».

«A mon avis, c’est à ce moment-là qu’il y a eu un acte d’ordre sexuel», lance-t-il. Accusation que Richard G. a nié quelques heures plus tôt ce lundi. Ce dernier reste environ deux heures sur les lieux cette nuit froide de novembre. «Il n’a pas une seule fois vérifié si elle respirait, reprend le procureur, et n’a rien entrepris pour venir en aide.» Puis, il l’abandonne dans les roseaux «à l’abri des regards», toujours inconsciente. Il fait entre 5 et 8 degrés. «Il part alors qu’il pense qu’elle est encore vivante». Puis revient sur les lieux pour lui mettre une taie d’oreiller sur la tête. Ici aussi, plusieurs versions s’affrontent: pour le Ministère public, le tueur procède ainsi pour «étouffer les éventuels râles». Richard G., lui, raconte qu’il a couvert son visage par marque de respect, comme lorsqu’on drape le corps d’une personne décédée.

Un tueur «machiavélique»

Le procureur, qui privilégie la thèse de la lente agonie et de l’hypothermie, souligne à plusieurs reprises les versions différentes livrées par Richard G. au cours de l’enquête, ses «mensonges», «ses explications confuses qui mettent en doute sa crédibilité». Mais aussi son absence de scrupules. Notamment parce que Richard G. écrira un message à 3h45 sur le portable de Samantha, qu’il versera 500 francs sur le compte de sa victime le lendemain et qu’il continuera sa vie comme si de rien n’était, travaillant à quelques encablures du corps de sa victime durant près de deux mois. «En un mot: machiavélique», résume Raphaël Bourquin.

A l’absence de scrupules et de circonstances atténuantes s’ajoutent, selon le procureur, l’égoïsme, la perversité et l’inhumanité de l’acte. Le procureur requiert par conséquent une peine privative de liberté à vie pour assassinat. Il retient aussi la commission d’actes sexuels et la pédopornographie, puisque Richard G. était en possession de plusieurs centaines d’images qui tombent sous le coup de la loi.

Une âme «aussi noire que l’enfer»

Avocat des parties plaignantes, Giorgio Campa lui emboîte le pas et pousse aussi pour la peine maximale dans une plaidoirie puissante et théâtrale. «Qu’avez-vous fait subir à Samantha, Richard G., ce 22 novembre? Quels sévices abominables? A quelles pulsions vous êtes-vous livré sur cette pauvre enfant?» Selon lui, cela ne fait aucun doute: le tueur «voulait l’assommer, l’attacher, abuser d’elle et assouvir ses fantasmes abominables». Le fait d’un homme dont l’âme est «aussi noire que l’enfer», qui espérait que le corps ne soit jamais retrouvé.

Vient le tour de Telmo Vicente, avocat du prévenu. «Il est indéniable que Richard G. a commis un acte grave. Il doit être puni sévèrement. Mais ce n’est pas le fait d’un monstre dénué de considération morale ou d’un désaxé. C’est le fait d’un jeune adulte esseulé, abandonné, dont l’esprit était embrumé par un fort sentiment de trahison.» Il relève aussi les addictions «nombreuses et nocives» de Richard G., perturbé par le cancer de son père et la rupture avec son ex. «Il est pleinement responsable, ce qui justifie une importante peine. Il l’accepte. Quand bien même il ne souhaitait pas sa mort, il sait qu’elle est intervenue par sa faute. Il n’a jamais prémédité la mort de Samantha.»

Telmo Vicente souligne encore que le prévenu a pleinement collaboré avec les enquêteurs et balaie la possibilité que son client ait commis des actes d’ordres sexuels, son ADN n’ayant pas été retrouvé sur le corps de la victime. Le bénéfice du doute doit lui profiter. Il privilégie par ailleurs la thèse de la noyade, puisqu'«aucune lésion ne relève de l’hypothermie». Résultat, il plaide pour une peine moins lourde, pour homicide involontaire, voire meurtre.

Le verdict est attendu mercredi en fin de journée.

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