Propos sur les réseaux sociaux
Une affaire de racisme ébranle des étudiants de l'Ecole hôtelière de Lausanne

Un étudiant de l'Ecole hôtelière de Lausanne a tenu des propos racistes sur les réseaux sociaux et dans le groupe WhatsApp de sa volée, qui réunit plus de 250 de ses camarades. Selon l'école réputée dans le monde entier, le cas a été réglé.
Publié: 29.07.2021 à 17:16 heures
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Antoine HürlimannResponsable du pôle News et Enquêtes

«Renvoyez-moi ces gens pour ne pas dire [émoticone de singe] en Afrique.» Ce commentaire raciste, publié sur Facebook en réaction à l’interview de plusieurs membres de la famille d’Adama Traoré, un jeune français mort à la suite de son arrestation par les gendarmes et érigé depuis en symbole de la lutte contre les violences policières, a mis le feu aux poudres à l’Ecole hôtelière de Lausanne (EHL).

Derrière ces mots insupportables écrits en avril, un étudiant de l’école réputée dans le monde entier. Plusieurs de ses camarades, tombés sur ce commentaire public, se sont alors indignés. «Ces propos sont intolérables et m’ont révulsée, confie ce mercredi à Blick une étudiante. Le pire étant sans doute qu’il multipliait les prises de position du genre.»

Plusieurs étudiants affirment avoir signalé le cas à l’EHL, dans la foulée. Mais ils ignorent si cette démarche a été suivie d’effets, assurent-ils. «Dans un premier temps, on nous a expliqué que cette personne avait déjà été rendue attentive à son comportement sur les réseaux sociaux mais que, comme il ne s’en était pas pris directement à quelqu’un de l’EHL, l’institution ne pouvait pas agir, détaille une source. On nous a ensuite dit que des mesures allaient être prises et depuis plus rien, comme si l’affaire avait été oubliée. Comment une école qui accueille des élèves des quatre coins du monde peut-elle tolérer en son sein un élève ouvertement raciste?»

Plusieurs étudiants ont signalé le cas à l’école. ils disent ignorer si leur démarche a été suivie d'effets.
Photo: Keystone

«Ce n’était pas sympa pour les singes»

Retour en avril. Après avoir averti l’institution, et pour que tout le monde soit au courant de l’affaire, des EHLiens partagent des captures d’écran des propos litigieux dans un groupe WhatsApp réunissant plus de 250 élèves. Ce coup de projecteur sur ces saillies racistes suscite un tollé: des dizaines de personnes montent alors au créneau. Le principal intéressé ne fait pas profil bas pour autant. «Je m’excuse, [mes propos] n’étaient pas sympathiques pour les singes, même les singes ne jettent pas de projectiles sur les voitures de police», tente-t-il de justifier sur le groupe, aggravant son cas. Un message qui, une fois encore, provoque l’ire de ses camarades.

L'auteur des propos racistes anime par ailleurs un profil Instagram pour le moins... surprenant.
Photo: Keystone

L’auteur ne s’arrête pas en si «bon chemin». Dans une longue diatribe contre ceux qui l’accusent de ne pas respecter les valeurs de l’école, il prétend «avoir eu une discussion avec la direction»: «Et qu’ont-ils dit? Je suis libre de dire ce que je veux et je suis désolé de vous l’annoncer mais je donne une bonne image de l’EHL dans le monde professionnel». Il enchaîne, et ce n’est pas piqué des hannetons: «Moi je bosse, je me fais chier le cul à monter des boîtes, créer de la valeur, produire de l’excellence professionnelle. Mais bon, je crois voir que c’est la diversité à sens unique. Quand il s’agit de diversité d’opinion, silence radio».

Un «essayiste» qui s’attaque à la «pédocracie»

Aux personnes qui continuent de pointer du doigt ses propos et qui souhaiteraient «encore plus pleurer et s’énerver», le jeune homme signale qu’elles peuvent venir «sur sa page» pour débattre, avant d’envoyer le lien d’un profil Instagram anonyme toujours actif. L’étudiant s’y décrit, sur un ton sardonique, comme un «économiste, financier, entrepreneur, informaticien, hôtelier et essayiste».

Michel Rochat, CEO du groupe, n'était pas disponible pour répondre à nos questions.
Photo: Keystone

«Je conseille un tas de connards d’investisseurs pour leur expliquer comment placer leur fric, mais également des entrepreneurs pour éviter qu’ils deviennent des startuppers (Sic) non genrés aux cheveux bleus», y indique-t-il encore. En outre, l’un de ses «passe-temps consiste aussi à cartoucher anonymement nos dirigeants de la pédocracie (Sic). J’en ai déjà quelques-uns à mon actif, mais mon but est de TOUS les avoir, sans exception. J’ai beaucoup de temps car beaucoup de liberté».

Une commission disciplinaire s’est réunie

Alors, la direction de l’EHL a-t-elle vraiment donné un blanc-seing au nom de la liberté d’expression à son étudiant, comme ce dernier l’écrit noir sur blanc? Nous avons demandé un entretien à Michel Rochat, le boss de l’école. Ce dernier étant en vacances, c’est Lucile Muller, communicante de l’EHL, qui se charge de livrer une version des faits quelque peu différente: «L’étudiant en question est passé en commission disciplinaire le 4 mai dernier, dévoile Lucile Muller. L’Ecole hôtelière de Lausanne condamne toutes les formes de racisme et encourage les personnes confrontées à ce fléau à s’exprimer et à dénoncer de tels actes».

Lucile Muller refuse toutefois de dire quelles sanctions ont été prises à l’encontre du jeune homme. Elle soutient que l’EHL ne communique jamais sur les décisions prises par les commissions disciplinaires «afin de protéger l’identité de toutes les personnes concernées». Et la porte-parole de compléter: «Certains estiment encore à tort que l’on peut tenir des propos calomnieux en toute impunité sur les réseaux sociaux. Mais il ne s’agit pas d’une zone grise, surtout quand il s’agit entre autres d’un groupe WhatsApp qui réunit un certain nombre de nos étudiants».

Cette affaire souligne bien les nouvelles responsabilités qui incombent aux centres de formation quant à la garantie d’un environnement d’études sain et bienveillant, aussi bien sur leurs campus que sur la toile. «Avec le développement des réseaux sociaux, nous devons redoubler d’efforts pour assurer le bien-être de notre communauté, parfois même bien au-delà des murs de l’EHL, notamment quand certaines publications de nos étudiants sont en contradiction avec nos valeurs de respect et d’ouverture sur le monde», conclut Lucile Muller.

Pour mémoire, en mars, une commission disciplinaire s’était déjà réunie sur le campus, révélait alors «24 heures». Un autre élève — qui ne s’était pas rendu compte que son micro était ouvert lors d’un cours en ligne — avait tenu des propos xénophobes envers une professeure d’origine asiatique.

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