Rapport d'audit accablant
L'ex-directrice d'Y-Parc a-t-elle favorisé les affaires de son frère?

Après nos révélations sur le parc technologique d'Yverdon, un audit pointe sa mauvaise gouvernance. En outre, des soupçons de favoritisme pèsent sur son ex-directrice. Son avocat les balaie et affirme que rien n'a été fait à l'insu du conseil d'administration. Enquête.
Publié: 01.11.2021 à 17:28 heures
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Dernière mise à jour: 01.11.2021 à 20:13 heures
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Antoine HürlimannResponsable du pôle News et Enquêtes

Le rapport d’audit portant sur Y-Parc est accablant, bien que difficile à appréhender. La gestion orchestrée par la tête du plus ancien parc technologique de Suisse, basé à Yverdon-les-Bains, est dézinguée dans un document dévoilé vendredi en fin d’après-midi. Mais les responsabilités ne sont pas explicites. À qui la faute? La directrice? Le conseil d’administration? Les deux? Blick vous plonge dans cet éclairage partiel, un épisode de plus dans une affaire qui n’a pas fini de faire couler de l’encre.

Commençons par la fin. Dans ses conclusions, le cabinet externe mandaté par le conseil d’administration du parc recommande de revoir la gouvernance de la structure. Une surprise? Pas vraiment. En juin, nous révélions les dissensions au sein de l’organe de direction sur fond de polar à la sauce nord-vaudoise. L’histoire concernait la désormais ex-directrice, licenciée un mois après la parution de notre article.

Pour mémoire, depuis ce printemps, elle et ses proches assurent que la trentenaire aurait été victime d’une agression en mars. Tout ce petit monde désigne comme assaillant un ancien locataire du parc. Celui-ci nie toute implication et affirme même avoir été victime de la jeune femme qui tenait les rênes du parc depuis 2017. Une enquête est toujours en cours.

L’audit ne fait pas la lumière sur ces événements. Il se penche toutefois en détail sur le fonctionnement d’Y-Parc dont les comptes sont toujours dans le noir, malgré un effondrement de 32% du chiffre d’affaires entre 2018 et 2020.

Une gestion scabreuse

L’enquête interne révèle dans les grandes lignes une gestion à la petite semaine. Concernant l’organisation globale de la structure, «un suivi par projet et budgétaire doit être mis en place avec la direction». Le système de paiement et d’avance de frais, quant à lui, «doit être stoppé ou revu».

«Il y a lieu de revoir entièrement la tenue de la comptabilité», assène encore l’auditeur. «Au vu des erreurs d’imputation, des pièces non validées et des faits économiques non dûment justifiés dans la comptabilité, il est important d’en changer l’organisation.»

Plusieurs exemples concernant la chancelante comptabilité d’Y-Parc sont donnés. Le cabinet a vérifié les pièces concernant les achats et les dépenses. Il s’avère «qu’un nombre important de justificatifs ne sont pas visés ou pas signés par une personne responsable autorisée à valider un achat».

Il a aussi été constaté que certains achats imputés à charge de l’entreprise comme des cadeaux aux employés (anniversaire, départ, etc.), des frais de voiture pour des repas entre collaborateurs de la société ou encore le paiement d’amendes ne devraient pas être une charge reconnue par l’entreprise. «Le financement de la société étant principalement obtenu de collectivités publiques, les règles de celles-ci devraient s’appliquer a minima», commente l’auditeur.

Le frère de l’ex-directrice favorisé?

Les révélations prennent une autre saveur lorsque l’enquête se penche sur une mystérieuse entreprise anonymisée dans le rapport envoyé à la presse. Des soupçons de favoritisme sont évoqués. Dans le lot des éléments suspects, il n’y aurait aucun contrat de location écrit liant la société «X» et Y-Parc. Selon nos informations, le frère de l’ex-directrice serait l’un des cadres de cette entreprise basée sur le parc technologique.

Intriguant? Ce n’est que le début. D’après l’audit, cette société serait la seule à avoir bénéficié d’un rabais sur son loyer à cause de la pandémie. En outre, un projet d’application actuellement mené par la société «X» doit proposer des outils informatiques aux résidents et aux collaborateurs d’Y-Parc. L’offre de mandat de l’entreprise, datée du 4 décembre 2019, prévoyait un budget de 70’840 francs. À ce jour, l’application n’est pas en service et aucune date de livraison n’a été communiquée.

«Nous relevons qu’une autre offre avait été déposée par un concurrent de la société actuellement en charge du projet et que celle-ci n’a pas été retenue par le management, alors que les coûts étaient moindres et que cette société avait une expérience certaine dans ce type d’application», écrit l’auditeur.

«Un carton rouge pour le conseil d’administration»

L’avocat de l’ex-directrice s’est étranglé lorsqu’il a découvert ces passages de l’audit. Il nie en bloc tout favoritisme. «Le frère de ma cliente n’est qu’un simple employé de cette société, il n’est pas aux affaires», affirme à Blick Raphaël Mahaim. Toujours d’après lui, aucun contrat de location écrit n’existerait parce que les locaux occupés «n’étaient pas louables, ne trouvaient pas preneurs». «L’accord s’est noué sous la forme d’échanges de bons procédés, appuie-t-il. En échange, la société pratique des tarifs préférentiels pour le parc.»

Raphaël Mahaim, l'avocat de l'ex-directrice d'Y-Parc.
Photo: Keystone

Tout de même. Cette sorte de gentlemen's agreement entre la direction du parc et une entreprise dans laquelle travaille le frère de la directrice ne pose-t-il pas problème? «Bien sûr qu’idéalement il faudrait un contrat écrit, rétorque Raphael Mahaim. Mais cette manière de faire a été validée par le président d’alors du conseil d’administration, Jean-Daniel Carrard. Comme toutes les autres actions entreprises par ma cliente, d’ailleurs.» Blick n’a pas réussi à joindre l’ancien président du conseil d’administration et ex-syndic PLR d’Yverdon.

Concernant le mandat pour l’application mobile, l’homme de loi a aussi une explication: «Contrairement à ce qui est prétendu, l’autre offre n’était pas meilleur marché mais coûtait près de deux fois plus cher dans son développement si on s’intéresse à l’entier du projet et non pas seulement aux travaux de base».

La directrice, une lampiste?

Globalement, l’avocat n’est pas tendre avec l’audit. «C’est une fumisterie, s’agace-t-il. C’est un rapport alibi qui vise à accabler la directrice alors qu’il brandit en réalité un carton rouge au conseil d’administration, qui a failli à sa mission de contrôle et de gouvernance. Le système de comptabilité, par exemple, date d’avant ma cliente. Il a été validé par le conseil d’administration des années durant et systématiquement révisé par une fiduciaire.»

Il rebondit: «Ce besoin de bouc émissaire devient insupportable. Les administrateurs chargent ma cliente qui n’est plus là pour éviter de confronter ceux qui sont toujours en place et véritablement responsables des dysfonctionnements».

«Quelle lecture a-t-il fait de l’audit?»

Pierre-Luc Maillefer, désormais président du conseil d’administration après avoir secondé Jean-Daniel Carrard, paraît surpris lorsqu’il entend les reproches formulés par Raphaël Mahaim. «Quelle lecture a-t-il fait de l’audit? Ce dernier met aussi certaines responsabilités sur le conseil d’administration mais d’autres concernent l’opérationnel et donc la direction, c’est un fait.»

Le président prend pour exemple le point critique de la comptabilité. «C’est un outil opérationnel, lâche-t-il. C’est donc la direction qui choisit l’outil avec l’aval du conseil.» Selon lui, le système en place est un système «de beau temps», qui doit effectivement être amélioré. «Il est cependant conforme au droit et se pratique dans des petites sociétés, argumente Pierre-Luc Maillefer. Nous prenons note que nous devons venir avec un système plus robuste et c’est ce que nous allons faire.»

Les mesures prises par Y-Parc

Voici les mesures communiquées par Y-Parc en réaction à l’audit commandé par son conseil d’administration:

Dès le début de 2022, seront mis en place:

  • Une gestion comptable et financière robuste, impliquant un nouveau plan comptable, des règles d’imputation strictes et l’utilisation d’un logiciel de comptabilité référencé.
  • Des règles de gouvernance revisitées, à la fois pour la direction opérationnelle et pour le conseil d’administration. Ces règles instaurant les passerelles de communication entre conseil et direction, indispensables à une information complète et à des décisions sereines, en prise avec les enjeux et la réalité du terrain.
  • Un nouveau programme de prestations du Parc à destination de ses résidents, visant notamment une animation dense et de qualité telle qu’offerte avant le temps de pandémie.

D’ici mi-2022, l’aboutissement d’une réflexion stratégique:

  • La mission d’YP-SA doit être réexplicitée. Elle devra intégrer des enjeux économiques fortement évolutifs à une définition précise des centres de compétences que le Parc entend développer dans son rôle de soutien aux technologies avancées. Ceci devant se réaliser dans une optique de collaboration et de liens renforcés avec les Hautes Ecoles, le berceau de start-up qui en émergent et également avec les entreprises du Parc et celles du pays. Comme seront pris en compte les attentes des «partenaires institutionnels» du Parc – Ville d’Yverdon-les-Bains – Etat de Vaud – Copropriété du PST (Parc scientifique et technologique) – HEIG-VD…

Voici les mesures communiquées par Y-Parc en réaction à l’audit commandé par son conseil d’administration:

Dès le début de 2022, seront mis en place:

  • Une gestion comptable et financière robuste, impliquant un nouveau plan comptable, des règles d’imputation strictes et l’utilisation d’un logiciel de comptabilité référencé.
  • Des règles de gouvernance revisitées, à la fois pour la direction opérationnelle et pour le conseil d’administration. Ces règles instaurant les passerelles de communication entre conseil et direction, indispensables à une information complète et à des décisions sereines, en prise avec les enjeux et la réalité du terrain.
  • Un nouveau programme de prestations du Parc à destination de ses résidents, visant notamment une animation dense et de qualité telle qu’offerte avant le temps de pandémie.

D’ici mi-2022, l’aboutissement d’une réflexion stratégique:

  • La mission d’YP-SA doit être réexplicitée. Elle devra intégrer des enjeux économiques fortement évolutifs à une définition précise des centres de compétences que le Parc entend développer dans son rôle de soutien aux technologies avancées. Ceci devant se réaliser dans une optique de collaboration et de liens renforcés avec les Hautes Ecoles, le berceau de start-up qui en émergent et également avec les entreprises du Parc et celles du pays. Comme seront pris en compte les attentes des «partenaires institutionnels» du Parc – Ville d’Yverdon-les-Bains – Etat de Vaud – Copropriété du PST (Parc scientifique et technologique) – HEIG-VD…
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Concernant les explications de l’avocat sur les soupçons de favoritisme, le président du conseil dit avoir «entendu ces rumeurs»: «Nous allons analyser ces cas au gré des interlocuteurs, des documents et des traces que nous trouverons. Ce que demande le conseil d’administration, c’est d’avoir des pièces et d’entendre les sociétés concernées avant de dénoncer cette situation si nécessaire.»

Enfin, Pierre-Luc Maillefer revient sur le cas de l’ex-directrice. Cet audit ne serait pas une justification a posteriori de son licenciement. «Nous ne nous sommes pas séparés d’elle à cause de ces éléments puisque nous n’avions alors pas les conclusions de cet audit, souffle-t-il. Le conseil d’administration a agi parce qu’elle faisait de la rétention d’informations ou, du moins, des informations partiales étaient remontées. Il y avait aussi des problèmes d’humeur et des problèmes relationnels. Rien à voir, donc, avec ce qui nous occupe aujourd’hui.»


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