Simon Brandt Gate
«On a voulu faire craquer Simon Brandt pour avoir des informations sur Maudet»

Le groupe parlementaire genevois qui enquêtait sur «l'affaire Brandt» a sorti un rapport qui exhorte la police à revoir ses méthodes. En conférence de presse, les enquêteurs n'ont pas caché leur indignation face à une opération théâtrale sur fond de «l'affaire Maudet».
Publié: 07.03.2023 à 17:04 heures
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Dernière mise à jour: 14.03.2023 à 14:03 heures
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Daniella GorbunovaJournaliste Blick

Ce dossier, ils aimeraient le clore avant la fin de cette législature — qui se termine en juin, à l'issue des élections cantonales d'avril prochain. La sous-commission parlementaire qui enquête, depuis septembre 2020 déjà, sur les «méthodes de la police judiciaire en matière d’interpellations et d’interrogatoires», à la suite de l'«affaire Simon Brandt», a en effet rendu son rapport ce mardi. Document que nous avons débroussaillé et synthétisé pour vous dans un précédent article.

Les députés Bertrand Buchs (le Centre), Pierre Eckert (les Vert-e-s), Daniel Sormanni (MCG), et le président de cette sous-commission de contrôle de gestion, Alberto Velasco (PS), ont également présenté leurs conclusions lors d'une conférence de presse le même jour. Et cela, sans mâcher leurs mots.

Pour rappel, le politicien PLR Simon Brandt, également employé administratif à la police de Genève (et, à l’époque, candidat à la mairie) avait fait l’objet d’une arrestation musclée le vendredi 13 décembre 2019. Menotté et mis dans un cachot sans lumière du jour, il avait aussi subi une fouille intégrale. Car on le soupçonnait d’avoir fait fuiter des documents à la presse, et consulté illicitement une main-courante — ce dont il a été blanchi depuis. Cette interpellation a été directement ordonnée par le Procureur général, en pleine «affaire Maudet».

L'«affaire» Simon Brandt (image d'archive) n'est pas encore près d'être enterrée...
Photo: keystone-sda.ch

Les quatre députés, assis face aux journalistes, sont unanimes: l'«affaire Simon Brandt» est un scandale institutionnel, qui en dit long sur les méthodes parfois douteuses de la police genevoise, et sur l'opacité du Ministère public. Ce dernier leur semble par ailleurs avoir été instrumentalisé à des fins politiques sur fond de l'«affaire Maudet» — dont Simon Brandt serait le dégât collatéral.

Tout un système mis en cause?

La principale préoccupation, indiquent les enquêteurs, est de s'assurer que cet incident n'est pas la norme, lors des arrestations — et de faire en sorte que cela ne le devienne jamais. Pierre Eckert, député Vert et président de la Commission de contrôle de gestion du parlement genevois (CCG), qui n’a eu connaissance du dossier que sur le tard, affirme: «Nous aimerions surtout éviter que ce genre de cas n’arrivent à Madame et Monsieur tout le monde.»

Alberto Velasco, député socialiste et président de la sous-commission de contrôle de gestion chargée de ce dossier, précise quant à lui que Simon Brandt a eu de la chance dans son malheur. Sachant que «si un citoyen lambda avait subi un tel traitement, je ne pense pas que l’incident aurait eu tel écho médiatique». Et d'ajouter que, dans le présent cas d'étude, le statut de personnalité publique du lésé — qui a la réputation d'être réservé et calme — rend encore moins compréhensible la violence de la police à son égard. Le socialiste insiste sur le fait qu'il est de notoriété publique que «Simon Brandt n’est pas un personnage violent! On a pris un marteau pour tuer une mouche…»

Un véritable problème institutionnel

Au-delà de ce cas individuel, les commissaires n'ont pas peur de dire qu'il y a un véritable problème institutionnel avec le pouvoir judiciaire genevois. Daniel Sormanni, député MCG et membre de la sous-commission de contrôle de gestion, ressort un autre dossier pour étayer ses propos: «D’autres affaires, comme celle des écoutes téléphoniques illégales dont se sont rendus coupables des inspecteurs de la Brigade financière, et qui n'est toujours pas réglée aujourd'hui, montrent que quelque chose ne joue pas au Ministère public.»

Lorsqu’une journaliste demande si la Commission de contrôle de gestion (CCG) compte ainsi se substituer à la justice, ou si elle se voit comme complémentaire à cette dernière, le commissaire Bertrand Buchs rétorque: «Le Tribunal rend justice en se basant sur des lois. Nous, nous sommes là pour prendre de la hauteur, et nous demander si la justice est toujours juste.» Et à Alberto Velasco d’ajouter: «Ce n’est pas parce que des lois ou des directives existent qu’elles sont forcément justes.»

Autre point chaud du dossier, qui n'a pas manqué d'être soulevé: les fuites d'éléments issus de l'interrogatoire de Simon Brandt vers la presse, alors que ce dernier était encore au poste de police! Bertrand Buchs se souvient: «Le jour de l’arrestation de Simon Brandt — qui a été interpellé vers 7h du matin alors qu’il devait se rendre au Grand conseil — à 10h du matin, tout le monde, tout le Parlement était au courant via la presse. Enfin, tout le monde, sauf l’avocat de Simon Brandt (ndlr: qui n’a pu assister le prévenu qu’à partir de 16h). Vous trouvez ça normal?»

Des changements dans le pipeline

Au-delà d'un rapport touffu, qui fait une centaine de pages, quel impact cette sous-commission peut-elle avoir sur un système judiciaire qui sent le rance et l'arbitraire? Des changements dans les directives de la police sont déjà au programme, et certains ont déjà été entamés. Bertrand Buchs s'en félicite: «Grâce à nos travaux, les directives de la police genevoise quant aux fouilles ont déjà été modifiées.»

Par ailleurs, le ministre de la Sécurité, Mauro Poggia (MCG), s’est engagé à rédiger une loi sur la vidéosurveillance, que les parlementaires souhaitent mettre en place lors des interrogatoires de police. Un projet de loi quant à une obligation d’enregistrement audio pendant les fouilles corporelles est également au programme. Pierre Eckert précise également que «le code de déontologie de la police a également déjà été mis à jour». Le résultat de ces modifications n’est cependant pas encore connu.

Plus globalement, le Conseil d’État de Genève a accepté toutes les recommandations faites par la sous-commission, à l'exception de la première, qui stipule que: «Le rôle de haute surveillance de l’État confié au pouvoir législatif doit impérativement être respecté par les pouvoirs exécutif et judiciaire. Cela implique le respect des prérogatives des commissions de contrôle du Grand Conseil et de l’indépendance des députés.»

Ce point se réfère au fait que Mauro Poggia n’avait pas voulu que le sous-officier en cause dans l’arrestation douteuse soit auditionné par la sous-commission, car celui-ci fait l’objet d’une plainte de Simon Brandt encore pendante. Le magistrat a choisi de s’en tenir à cette position, refusant ainsi le reproche d’obstruction à leurs travaux que lui avaient adressés les parlementaires.

Maudet, ce spectre qui ne s'en va pas

L'un des points les plus «scandaleux» de toute cette histoire reste, selon les commissaires, l'intrusion du politique dans l'appareil judiciaire. Autrement dit, tout cela ressemble fort à de l'instrumentalisation de la justice. Bertrand Buchs en est convaincu: «Lors de cette arrestation très théâtrale, on a juste cherché à faire craquer Simon Brandt pour en tirer des informations sur Pierre Maudet.»

Daniel Sormanni juge lui aussi que le faste de cette opération est révélateur de son utilité avant tout politique. Pour rappel, l'interpellation a impliqué plus d'une dizaine d'agents contre un frêle Simon Brandt qui n'a pas opposé de résistance. «En effet, toute cette théâtralité, c’est se moquer du monde!»

Le commissaire Bertrand Buchs embraie: «On a fait payer le maillon faible de l’histoire autour de l’affaire Maudet. Les personnes fragiles, à l’image de Simon Brandt, doivent être respectés dans leur fragilité!» Faisant référence au fait que cet épisode a laissé des séquelles non négligeables à Simon Brandt, attestées par des certificats médicaux, comme nous l’écrivions dans notre enquête sur ce dossier.

Tout ça dans l'impunité?

Pendant ce temps, sur la chaîne de télé locale Léman Bleu, avocats de renom et politiciens ont débattu le sujet. Et ils s'accordent pour dire que ça choque. L’avocate Me Yaël Hayat évoque par exemple avec inquiétude la défiance du pouvoir législatif vis-à-vis du pouvoir judiciaire: «La confiance est effectivement érodée. (...) Je suis rassurée qu’ils aient pris le temps d’éclaircir ce qu’il s’est passé ce vendredi 13 décembre. Et je suis aussi très rassurée par les recommandations des commissaires.»

Me Didier Bottge évoque quant à lui des pratiques médiévales, surtout en ce qui concerne le minuscule cachot sans lumière du jour dans lequel a été enfermé Simon Brandt: «Très sincèrement, tout ça me fait penser — sans exagération — à l’état d’esprit qui régnait chez les agents du NKVD lors des procès staliniens!»

L'avocat s'inquiète aussi de l'impunité des principaux concernés: «Les différents agents (ndlr: de police) agissent dans l’impunité. Personne n’a été inquiété, personne n’est sanctionné.» Et qu'en est-il du Procureur général, Olivier Jornot, à la tête de cette opération?

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