Tapis rouge aux hooligans?
Les wagons pour supporters font grincer des dents

Les CFF vont équiper 35 wagons pour transporter les supporters de foot aux matches. Ils seront, entre autres, équipés de toilettes spéciales et d'un sol en linoléum facile à nettoyer. À Berne, on ne goûte que peu à ce traitement de faveur aux fans.
Publié: 18.10.2021 à 19:56 heures
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Dernière mise à jour: 19.10.2021 à 06:32 heures
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Daniella GorbunovaJournaliste Blick

Les ultras de toute la Suisse auront bientôt droit à leurs propres calèches! Et pas n’importe lesquelles: les CFF travaillent actuellement à mettre en place 35 wagons spécialement aménagés pour accueillir les supporters de foot… et leurs débordements.

Au programme: des toilettes sans biréacteurs – contrairement aux trains lambda – pour permettre «une utilisation courte et intensive», comme l’a précisé Ramon Gander, porte-parole des CFF, à l’agence Keystone-ATS. Les fenêtres qui s’ouvraient jusqu’ici, dans les vieux wagons pour fans, ne pourront plus l’être afin d’éviter le jet d’objets. Le sol en linoléum comme ersatz à la moquette promet, quant à lui, d’être plus facile à nettoyer. Le tout étant agrémenté de quelques 80 places assises, ainsi que des prises électriques. Rien que ça.

Selon la RTS, un tel cadeau aux fanas du ballon s’explique par les chiffres: les dommages annuels liés au transport de supporters s’élevant à environ 150’000 francs, et les coûts totaux non couverts pour les CFF se montant à environ 3 millions de francs, comme l’avait indiqué la compagnie en 2018, lors de l’annonce de la fin de la présence de la police des transports des CFF (TPO) dans ces convois.

Marianne Maret: «Avec cette mesure, on s’adapte à un dysfonctionnement au lieu de dire aux 'dysfonctionnants' de s’adapter. Ce n’est pas acceptable!»
Photo: Keystone

«Comme des clients normaux»

Bernard* est un fervent supporter du Lausanne-Sport depuis des années. L’annonce a suscité chez lui de l’enthousiasme. «Je pense que c’est une bonne nouvelle pour tout le monde. Cela évitera des frais supplémentaires aux CFF.»

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Mais ne les prendrait-on pas pour du bétail, les supporters, en les «parquant» dans des convois spéciaux? «Pour moi, ce n’est pas dégradant, répond le fan du LS. On a meilleur temps d’avoir un espace exprès pour nous. Tout le monde est gagnant: les supporters comme les voyageurs lambda. Surtout qu’il y aura tout de même un certain confort.»

Loïc Luscher, responsable communication chez Servette FC, ne peut qu’acquiescer: «c’est une très bonne chose, car cela met en exergue la volonté des CFF de considérer les fans de football comme des clients normaux, et de faire en sorte qu’ils voyagent dans les meilleures conditions possible.»

Pour Loïc Luscher non plus, il ne faudrait pas confondre les ultras avec des bêtes. À tel point que le communicant du club va jusqu’à formuler une critique logistique: «J’émets cependant une petite réserve sur les fenêtres fermées. Il serait de meilleur ton de mettre l’accent sur la prévention en matière de jets de déchets ou projectiles plutôt que de priver les wagons d’air pur pendant de longues heures.»

Réactions outrées à Berne

Fenêtres ou pas, les ultras pourraient s’estimer heureux d’avoir fait plier la compagnie ferroviaire nationale à coups de cannettes vides et de convois détruits des années durant. Mais si les CFF s’avouent ainsi implicitement vaincus, ce n’est pas sans y trouver un intérêt: prévoir 35 wagons spécifiques à saccager coûte de fait moins cher que d’en réparer des dizaines chaque année.

Si l’intérêt économique est fort évident, c’est du côté social et politique que le bât blesse. En effet, tout se passe comme si la compagnie offrait des espaces à dévaster à de potentiels hooligans. N’est-ce pas une mesure qui valide implicitement le vandalisme?

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Ce n’est pas Frédéric Borloz, conseiller national PLR, qui dira le contraire: «Je me demande dans quelle mesure adapter l’offre à une clientèle particulière encourage justement le comportement particulier de cette clientèle… et cela peut-être au détriment d’une autre. Dans tous les cas, ce sont des choix de société qui mériteraient des réflexions plus profondes. Je ne suis pas très enthousiaste à l’idée de cette mesure», explique le membre de la commission des transports du National, par ailleurs candidat au Conseil d’État vaudois.

Du côté du Centre, Marianne Maret mâche encore moins ses mots. «Avec cette mesure, on s’adapte à un dysfonctionnement au lieu de dire aux 'dysfonctionnants' de s’adapter. Ce n’est pas acceptable!» La conseillère aux États valaisanne, membre de la commission des transports dans la Chambre haute, relève en outre la réactivité «inhabituelle» de la part de la compagnie: «Si on compare la lenteur des CFF dans certains domaines à la rapidité de cette décision, c’est assez surprenant.»

*Nom connu de la rédaction

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