Trop frileuse?
Après la mort de Navalny, la Suisse s'incline devant Poutine

Le Conseil des droits de l'Homme de l'ONU a condamné Poutine pour la mort de l'opposant russe Alexeï Navalny. La Suisse est le seul pays de l'AELE à ne pas s'être joint au mouvement. Voici pourquoi.
Publié: 31.03.2024 à 16:35 heures
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Dernière mise à jour: 31.03.2024 à 16:37 heures
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Raphael Rauch

Le droit international humanitaire, les droits de l'Homme, ou encore la promotion de la paix sont des principes inébranlables de la politique étrangère de la Suisse. Du moins sur le papier. Car dans le tourbillon du quotidien politique, le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis et son département se montrent plutôt flexibles. Particulièrement en ce qui concerne la gestion de la mort de l'opposant russe Alexeï Navalny, décédé à 47 ans dans un camp pénitentiaire.

Selon la version officielle du Kremlin, Navalny s'est effondré lors d'une ronde dans la cour de sa prison. Les tentatives de réanimation sont restées vaines. Les critiques du régime de Poutine partent plutôt du principe que le président Vladimir Poutine a froidement fait assassiner son plus grand adversaire. L'épouse du défunt évoque également un meurtre.

L'ambassadrice suisse n'assiste pas aux funérailles

Après la mort de l'opposant, la communauté internationale n'a pas tardé à réagir avec indignation. «La lente mise à mort d'Alexeï Navalny par le régime du Kremlin est un rappel clair de son mépris total pour la vie humaine», a fait savoir l'UE. Des réactions similaires se sont fait entendre dans toutes les capitales occidentales.

L'opposant le plus virulent à Poutine, Alexeï Navalny, a trouvé la mort dans un camp pénitentiaire en Russie.
Photo: EPA
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En Suisse, le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis a rendu hommage à Navalny, en le qualifiant de «défenseur exemplaire de la démocratie et des droits fondamentaux». Le Tessinois a indiqué que notre pays était consterné par sa mort et qu'il attendait qu'une enquête soit ouverte sur ses causes. Ignazio Cassis et le DFAE se sont arrêtés là.

Car contrairement aux autres pays occidentaux, l'ambassadrice de Suisse à Moscou, Krystyna Marty Lang, n'a pas assisté aux funérailles de Navalny. «Différentes considérations – notamment le fait qu'aucune invitation n'avait été envoyée – ont conduit l'ambassade de Suisse à Moscou à ne pas participer aux funérailles d'Alexeï Navalny», indique le DFAE.

Une formulation trop tranchante pour le DFAE

A Genève aussi, le DFAE a brillé par son absence. Peu après la mort de Navalny, le Conseil des droits de l'Homme de l'ONU s'est réuni. 43 nations – dont les Etats-Unis et les Etats de l'UE – ont exigé une enquête internationale indépendante. L'Islande, le Liechtenstein et la Norvège, membres de l'AELE, ont également signé la résolution présentée par le Luxembourg. Le seul membre de l'AELE à s'être abstenu est la Suisse.

«Après une large consultation interne, le DFAE a décidé de ne pas se joindre à la déclaration commune correspondante», a fait savoir le département. La Suisse aurait toutefois pris clairement position sur la mort de l'opposant russe au sein de l'OSCE, du Conseil de l'Europe ainsi que du Conseil des droits de l'Homme de l'ONU: «Dans ses interventions, elle a appelé les autorités russes à mener une enquête indépendante, crédible et transparente.»

Or, des documents que Blick a pu consulter grâce à la loi sur la transparence le montrent: Berne a ignoré les recommandations de la représentation suisse auprès du Conseil des droits de l'Homme de l'ONU à Genève. Le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) a estimé que le texte de la résolution était formulé de manière trop tranchante pour être suivi. «Nous sommes indignés par la mort du politicien d'opposition russe Alexeï Navalny, dont la responsabilité incombe en fin de compte au président Poutine et aux autorités russes», pouvait-on lire dans la résolution.

Celui dont on ne doit pas écrire le nom

Le DFAE n'a pas finalement pas voulu nommer Poutine: «Nous aurions pu accepter la formulation 'autorités russes'», peut-on lire dans un document interne. La résolution contient «des phrases/passages qui sont problématiques pour nous», est-il toutefois expliqué.

Avant la mort de Navalny, la Suisse avait déjà été critiquée pour sa passivité en matière de sanctions imposées à la Russie, après l'invasion de l'Ukraine. 

En août dernier, alors que l'opposant russe le plus influent était encore en vie, le Conseil fédéral n'avait pas voulu s'associer aux sanctions de l'UE contre Moscou. La semaine dernière, l'UE a renforcé ses sanctions contre la Russie en raison de la mort de Navalny. La Suisse ne s'y associera probablement pas non plus.

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