Un ancien magistrat critique le système suisse
«Les juges sans parti n'ont aucune chance au Tribunal fédéral»

Les juges fédéraux doivent être affiliés à un parti pour être élus. L'«Initiative pour la justice» désire remplacer cette méthode par une commission décisionnaire et une loterie. L'Association suisse des magistrats s'est prononcée en défaveur de l'initiative.
Publié: 07.11.2021 à 14:12 heures
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Dernière mise à jour: 07.11.2021 à 15:31 heures
Camilla Alabor

Les juges suisses sont-ils indépendants? Pas pour Adrian Gasser, 78 ans, le maître-d’œuvre derrière l'«Initiative pour la justice». Il est gêné par le fait que les juges fédéraux doivent être membres d’un parti pour avoir une chance d’être élus. Il critique aussi le fait qu’ils doivent régulièrement se représenter aux élections.

Adrian Gasser n’est pas le seul dans ce cas. Un ancien président de tribunal du canton de Zurich, qui souhaite rester anonyme, estime également que le système doit être réformé, non seulement au niveau du Tribunal fédéral, qui est la cible de l’initiative, mais dans toutes les instances. Il critique le fait que lorsque les postes de juges sont annoncés, le parti auquel le juge est affilié doit être indiqué.

La justification est pourtant toute trouvée. Les autorités politiques veulent s’assurer que l’orientation des juges reflète celle de la population, tout comme c’est le cas au Parlement et au Conseil fédéral.

L'initiative pour la justice exige qu'une commission d'experts sélectionne les candidats qualifiés pour le Tribunal fédéral et qu'ils soient ensuite tirés au sort.
Photo: Igor Kravarik
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Une présélection problématique?

Cependant, selon lui, «la sélection des candidats est limitée dès le départ». L’ex-juge en chef estime que «si vous n’êtes pas membre d’un parti ou si vous êtes dans le mauvais parti, vous n’avez aucune chance».

Au sein de ceux-ci, une présélection a d’ailleurs déjà lieu. Dans de nombreux cas, les candidats sont choisis en fonction de qui a le meilleur réseau et non en fonction de qui est le mieux adapté à la fonction. «Cela est particulièrement évident lorsque le Parlement élit d’anciens conseillers d’Etat cantonaux comme juges», souffle la source de Blick.

L’ancien juge souhaite également abolir la réélection périodique par le Parlement, qui rend les juges dépendants de la bonne volonté de leur parti.

Pression subtile des partis

«Bien sûr, les partis ne font pas pression pour juger de telle ou telle manière d’un cas à l’autre», concède l’ancien magistrat, citant le cas du litige entre le juge fédéral Yves Donzallaz et l’UDC comme une exception.

Mais il dénonce tout de même ce qu’il note une «pression subtile». «On vous fait comprendre combien il est important que les idées du parti soient reflétées dans la jurisprudence.»

L’ASM rejette l’initiative

L’Association suisse des magistrats (ASM) a également critiqué la réélection dans un communiqué, estimant qu’elle augmentait le risque de pression sur l’administration de la justice. Elle critique également l’exclusion de facto des candidats hors parti.

Au vu de ces lacunes, l’association avait proposé de réagir à l’initiative de la justice par une contre-proposition indirecte, mais sans succès. L’ASM rejette donc initiative. Selon Patrick Guidon, son président, la commission d’experts proposée et la procédure de tirage au sort sont critiquables.

Voix critiques

Patrick Guidon n’est convaincu par aucune des dispositions de l’initiative, qu’il s’agisse de la mise sur pied d’une commission d’experts pour décider du juge ou, dans le cas de plusieurs candidats, d’un tirage au sort. «La commission d’experts aurait beaucoup de pouvoir, mais elle aurait peu de légitimité démocratique et n’aurait pas de base aussi large que la commission judiciaire.»

Selon lui, il s’agit ici d’une circonstance aggravante car la commission déciderait seule du nombre de candidats qu’elle admet au tirage au sort. «S’il y en a très peu, c’est la commission elle-même qui décide qui obtient le poste, relève-t-il. S’il y en a beaucoup, c’est celui qui a de la chance qui l’obtient.»

Il souligne que selon ce système, ce ne serait donc «pas nécessairement la meilleure personne» qui serait élue, alors qu’il s’agit de l’argument même des initiants.

Une implication de la Commission judiciaire?

Patrick Guidon est cependant d’avis que des améliorations sont nécessaires. Le conseiller aux États Andrea Caroni (PLR/SG) le pense aussi. Le politicien estime qu’il serait possible d’engager plus souvent la Commission judiciaire du Parlement afin d’impliquer des experts dans le processus de sélection. «Nous améliorons constamment nos procédures», dit-il. «Mais il ne faut pas vouloir détruire le système d’un coup, comme le ferait l’initiative.»

Andrea Caroni rejette l’initiative pour des raisons similaires à celles de Guidon. Et de noter au final la question clé: «Les juges rendent-ils de bons jugements de manière indépendante dans le système actuel?» Sa réponse est un oui catégorique.

(Adaptation par Alexandre Cudré)

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