Un fétichiste romand raconte
«Nous étions à la soirée qui a propagé la variole du singe»

Un rassemblement de milliers de fétichistes à Anvers a servi de catalyseur à la transmission de la variole du singe, selon les autorités belges. Un Romand qui y était témoigne pour Blick de ses craintes de voir sa communauté stigmatisée.
Publié: 23.05.2022 à 11:32 heures
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Dernière mise à jour: 24.05.2022 à 11:15 heures
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Adrien SchnarrenbergerJournaliste Blick

«Quand tu es fan de petits trains, tu vas dans un salon de petits trains. Moi, mon truc, c’est le fétichisme.» Régis*, la cinquantaine, était l’un des 5000 passionnés de cuir, de latex et de soumission à s’être rendus dans le nord de la Belgique au début du mois. «Durant deux ans, le Covid a empêché presque tout événement physique. Tout le monde voulait venir à Darklands pour rattraper le temps perdu», raconte ce Romand.

Problème: un virus en a caché un autre. Vendredi, c’est un e-mail à la teneur inquiétante qui est arrivé dans la boîte de Régis et des milliers d’autres fétichistes venus de toute l’Europe et même des États-Unis. «Les services belges de santé ont la confirmation que trois cas de variole du singe sont liés à notre festival», écrivent les organisateurs. Par chance, une adresse électronique était demandée pour l’achat de billets (de 60 à 200 euros), ce qui a facilité la communication groupée à tous les participants. Ceux-ci ont ensuite propagé le message sur les réseaux sociaux.

Le mail reçu par tous les participants.
Photo: DR

Ce scénario rappelle — toutes proportions gardées — le cas de Mulhouse, en mars 2020. Des milliers d’évangélistes s’étaient réunis dans le Haut-Rhin et avaient involontairement causé le premier événement «superspreader» (propagateur) de coronavirus. D’où la question: la cité portuaire belge sera-t-elle le nouveau Mulhouse? En l’état, les autorités ont simplement appelé les participants à la vigilance et à surveiller tout symptôme qui pourrait apparaître durant les trois semaines d’incubation de la maladie.

Le grand raout fétichiste anversois s'est-il transformé en «cluster»?

«J'ai mon esclave avec moi»

«Quand les médias ont commencé à parler des infections en Belgique, des potes m’ont demandé si c’était moi», sourit Régis. Cet enjoué quinquagénaire n’a jamais caché à son entourage la nature de sa passion, dont il assume totalement les codes. «J’ai mon esclave à côté de moi pour répondre à vos questions», nous glisse-t-il avec un naturel déconcertant. Son esclave, c’est Michaël*, 25 ans. Dans le milieu, c’est un «puppy», un soumis qui utilise des références du monde animal.

Le jeune homme est suivi par des milliers de personnes sur Instagram, où il publie des photos à l’esthétisme certain. «On fait un effort au niveau du look et des tenues. Le fétichisme s’est beaucoup démocratisé», explique Michaël. Des marques spécialisées ont senti le bon filon et sont omniprésentes durant ces grand-messes du secteur. «Les vêtements peuvent être très chers et sont indispensables pour pouvoir entrer. On ne vient pas en jeans.»

Régis et Michaël ont-ils peur de cette épidémie potentielle? Le «maître» est incollable sur le dossier: il a passé son week-end à faire une revue de presse extensive. Il distingue son cas personnel (et de son couple) de la situation générale. Car lui-même a «pris soin de Michaël» et les deux hommes se sont toujours protégés. Ils n’ont pas multiplié les partenaires, au contraire de certaines personnes présentes à cette édition de Darklands particulièrement attendue.

Une «catastrophe» avant les prides

Ce qui inquiète beaucoup Régis, c’est la stigmatisation que risque la communauté fétichiste, et gay/bisexuelle de manière générale, si le mode de transmission de la variole du singe continue de les pointer du doigt (grosses gouttelettes et contacts physiques étroits, y compris sécrétions et sang). Lui-même «vieux gay», le Romand est marqué par les décennies de psychose autour du SIDA. Il est d'autant plus atterré de voir l'évolution des comportements observés ces dernières années, et en particulier à Darklands 2022. «Nous avons bien pu constater que les jeunes ne mettent presque plus de capotes», rapporte-t-il.

Le coupable compte quatre lettres: PrEP, pour traitement VIH préventif. Pour simplifier, il s’agit d'une pilule sous prescription médicale, un peu comme celle que peuvent prendre les femmes à but contraceptif. Selon Régis, cette nouveauté a révolutionné le milieu depuis trois ou quatre ans et décomplexé les gays — sauf lui. «C’est tout aussi efficace que le préservatif contre le SIDA, mais cela ne protège pas contre les autres maladies sexuellement transmissibles...»

Dans ce contexte, la variole du singe est une bombe à retardement venant planer sur la communauté fétichiste au pire moment: en ouverture de «saison». De tels rassemblements comme le raout anversois sont prévus à Londres puis à Berlin (la Mecque du milieu), en fin d’été. À la manière des tournois du Grand Chelem au tennis, tout le monde s’y déplace. «Et ce n’est pas tout, coupe Régis. Le plus inquiétant, c’est que la période des prides, ces fêtes pour minorités sexuelles, commence. Ce truc à ce moment-là, c’est une catastrophe potentielle…»

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La Suisse envisage un vaccin

Les autorités suisses se veulent rassurantes. Dimanche, la vice-directrice de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) a assuré qu’il n’y avait pas matière à s’inquiéter «pour l’instant». Mais Linda Nartey a fait savoir à la télévision alémanique que la Suisse examinait la possibilité de se procurer un vaccin. «Les clarifications concernant la disponibilité et l'acquisition de celui-ci sont actuellement en cours», a-t-elle déclaré.

Un vaccin antivariolique de troisième génération, qui offre également une protection contre la variole du singe, a été autorisé dans l'Union européenne. Selon l'OFSP, ce vaccin n'est toutefois pas disponible ou autorisé en Suisse. Pour l'instant, rien n'indique que nous nous trouvons face à une nouvelle pandémie, rassure Linda Nartey, qui rappelle qu’un «contact étroit» est nécessaire pour une infection, contrairement au coronavirus par exemple.

Mais la multiplication des cas inquiète. Samedi, 92 cas confirmés avaient été recensés dans douze pays où le virus n'est pas endémique, ainsi que 28 cas suspects, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Le Royaume-Uni, qui avait recensé le premier cas au début du mois, en enregistre chaque jour de nouveaux, selon les autorités britanniques. «Forcément, la question se posera de savoir si nous ne sommes pas face à un début de pandémie», a déclaré l’infectiologue genevois Didier Pittet au «Journal du dimanche».

*Noms connus de la rédaction

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