Un incident, mais pas de preuves
La délégation russe à Berne accusée d'espionnage via la radio

Les représentants de la Russie à Berne se protégeraient de l'espionnage avec des brouilleurs, et écouterait illégalement les conversations de leurs voisins diplomatiques. Mais il est difficile d'en apporter la preuve et l'ambassade dément.
Publié: 30.04.2022 à 12:05 heures
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Dernière mise à jour: 30.04.2022 à 12:30 heures
Fabienne Kinzelmann

Mardi 12 avril. Une intervention héliportée est en cours dans le jardin de l'ambassade de l'Allemagne à Berne, Willadingweg. Neuf arbres malades doivent être arrachés. Cela signifie environ deux douzaines de rotations, 75 minutes de travail – pour un coût de 13'000 à 14'000 francs.

Il s'agit d'une intervention de routine pour la société Rotex Helicopter AG, de Kägiswil (OW): un câble est placé autour de la pointe de l'arbre, une tension est appliquée, l'arbre est scié - puis il est emporté par le K-1200 K-Max, spécialement conçu pour les charges extérieures.

Or, ce jour-là, presque rien ne fonctionne.

La représentation diplomatique de la République fédérale d'Allemagne à Berne.
Photo: Keystone
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Sept personnes sont sur place pour l'opération d'abattage. Mais l'équipe au sol ne parvient tout simplement pas à se coordonner avec le pilote... Car le réseau radio ne fonctionne pas. L'équipe parvient difficilement à abattre un ou deux arbres, puis abandonne.

Un brouilleur russe soupçonné

Le lendemain, Rotex répète l'opération. Selon les déclarations de l'équipe, il y aurait toujours des «perturbations d'ondes»: des bruits et des craquements violents, des coupures de liaisons. Et ce, apparemment, surtout lorsque l'on s'approche du terrain de l'ambassade russe, toute proche.

«J'ai l'impression qu'il y avait un brouilleur», explique Bernhard Hitz, chef d'intervention Rotex, à Blick. L'étrange incident est également documenté sur la page Instagram de l'ambassade allemande. L'opération a dû être interrompue en raison de «perturbations radio dans le voisinage», lit-on.

«La sécurité aérienne n'est plus garantie s'il n'y a pas de communication avec le pilote», fulmine Bernhard Hitz.

Le quartier des ambassades fait partie de la zone de contrôle de l'aérodrome de Berne Belp. «Notre pilote a certes pu communiquer avec la tour de contrôle le deuxième jour. Mais dans le quartier de l'ambassade russe, les communications radio avec notre équipe au sol étaient perturbées».

C'est illégal

La police cantonale et l'Office fédéral de la communication (OFCOM) ont été informés de l'incident. En effet, le brouillage d'un réseau radio est illégal. «L'exploitation d'une installation de télécommunication ou de tout autre dispositif destiné à perturber ou à empêcher les télécommunications ou la radiodiffusion est punissable», fait savoir l'OFCOM.

Une installation de télécommunication pourrait toutefois provoquer des perturbations pour «diverses raisons». «Dans ce cas, l'OFCOM peut obliger l'exploitant à modifier l'installation à ses frais ou à en cesser l'exploitation, même si elle est conforme aux prescriptions légales».

Plusieurs sources interrogées par Blick soupçonnent la délégation russe à Berne de blinder ses communications par des brouilleurs en raison de la guerre en Ukraine. La preuve est difficile à apporter, l'ambassade rétorquant être indignée par ces soupçons.

«Nous n'avons rien à voir avec cela»

La représentation de la Fédération de Russie à Berne conteste ces accusations, qu'elle juge «inexactes et partiales». «L'ambassade n'a absolument rien à voir avec d'éventuelles perturbations radio du service d'hélicoptères dans la région. Nous tenons également à rappeler que nous sommes une représentation diplomatique, et rien d'autre», fait savoir le porte-parole Vladimir Khokhlov, interrogé par Blick.

Le diplomate russe critique le fait que les perturbations radio soient tout de suite interprétées comme de possibles «agissements des méchants Russes». En effet, un «nombre considérable de représentations diplomatiques étrangères» se trouvent dans la région.

Il est toutefois possible que les ambassades russes servent directement le Kremlin à des fins d'espionnage, en plus de la diffusion de propagande, quant à elle avérée.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, les pays européens ont à eux seuls expulsé au moins 330 diplomates russes. Dont plusieurs dizaines explicitement en raison de soupçons d'espionnage.

La Suisse n'expulse personne

La ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock a même avancé lundi que les membres des représentations russes en Allemagne expulsés n'avaient pas travaillé un seul jour au service de la diplomatie.

«Au contraire, ces personnes ont agi pendant des années et de manière systématique contre notre liberté et contre la cohésion de notre société. Leur travail menaçait en outre aussi ceux qui cherchaient protection chez nous, nous ne pouvions pas le tolérer plus longtemps, et nous ne tolérerons pas non plus une telle chose à l'avenir».

Des soupçons similaires pèsent sur certains représentants russes présents en Suisse. Début avril, le Service de renseignement de la Confédération (SRC) a admis, dans les colonnes du SonntagsBlick, qu'environ un tiers du personnel diplomatique russe accrédité dans le pays était identifié, ou du moins soupçonné, d'être un collaborateur des services secrets russes. Ce qui représenterait environ 70 espions sur le sol de la Confédération.

Dans le quartier des ambassades à Berne, les représentants diplomatiques s'attendent effectivement, selon des sources interrogées par Blick, à être mis sur écoute par leurs voisins russes.

Le Conseil fédéral reste quant à lui sur sa position: la Suisse n'expulse pas les diplomates. Il arrive «de temps en temps» que des espions soient déguisés en ambassadeurs, a déclaré le président de la Confédération Ignazio Cassis dans l'émission «Samstagsrundschau» de la SRF, le 16 avril dernier, relativisant ainsi le possible abus du statut de diplomate par la Russie.

Actuellement, aucun représentant russe ne doit être expulsé pour des «raisons de sécurité intérieure», a déclaré Cassis. En outre, la Suisse – pays neutre et pacifique – souhaite maintenir les canaux de discussion avec la Russie.

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