Un meurtre élucidé 29 ans après
Cold case en Suisse: comment rouvrir d'anciennes enquêtes criminelles?

Le Ministère public de la Confédération a déposé un acte d'accusation pour un assassinat commis en 1995 à Genève. Deux suspects ont été identifiés après plus de 20 ans grâce aux progrès technologiques. Comment la police suit-elle ses dossiers non élucidés?
Publié: 02.09.2024 à 14:03 heures
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Dernière mise à jour: 05.09.2024 à 11:20 heures
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Lucie FehlbaumJournaliste Blick

La nouvelle semblait sortie d'un polar ou d'une série Netflix. Le 16 août dernier, le Ministère public de la Confédération (MPC) annonçait le dépôt d'un acte d'accusation contre deux personnes, qui auraient commis assassinat... en 1995!

Un soir de novembre, un diplomate égyptien de 42 ans avait été criblé de six balles alors qu'il se trouvait au sous-sol de son immeuble, à Genève. Les auteurs avaient pris la fuite en laissant sur place un silencieux artisanal.

Le MPC, compétent pour poursuivre celles et ceux qui s'attaquent aux diplomates, avait clos la procédure en 2009, faute d'avoir trouvé les coupables. Mais il l'a rouverte en 2018. Des progrès technologiques ont permis d'identifier des traces sur le silencieux, qui ont mené à la mise en accusation d'un binational italo-ivoirien de 54 ans et une binationale italo-suisse de 49 ans.

Les avancées technologiques, mais aussi la mémoire des enquêtrices et des enquêteurs, peuvent soudainement résoudre un cold case.
Photo: Shutterstock

Une brigade des cold cases?

Toutes les affaires non élucidées profitent-elles des avancées technologiques? Ou bien, faut-il qu'un agent se souvienne d'un vieux dossier? Existe-t-il une brigade des cold cases en Suisse? Blick a posé ces questions à la police vaudoise et aux forces de l'ordre genevoises. 

Premièrement, non, contrairement à la série américaine, il n'existe pas de brigade des affaires anciennes. Dans le canton de Vaud, la police – qui précise que tous les homicides survenus depuis 2017 ont été résolus — indique que la brigade criminelle est chargée du suivi des affaires anciennes.

Nouveau focus forensique

À Genève, «les affaires non élucidées sont en mains des brigades spécialisées, qui en assurent le suivi», indique Tiffany Cudré-Mauroux, porte-parole. Ces équipes collaborent avec la brigade de police technique, explique-t-elle. Toutes les avances scientifiques ou forensiques, comme le traitement de l'ADN, permettent d'exploiter au mieux les traces.

Dans le canton de Vaud, toutes les affaires non résolues profitent des avancées techniques. «Certaines affaires d’importance peuvent faire l’objet de recherches subséquentes avec un nouveau focus technique ou forensique», indique ainsi Jean-Christophe Sauterel, directeur de la communication.

La famille, la technique et la mémoire

L'aspect légal est essentiel. «Toutes affaires judiciaires 'graves' n'ayant pas atteint le délai de prescription pénal restent ouvertes tant à la police judiciaire qu'au Ministère public, développe Tiffany Cudré-Mauroux. Divers actes d'enquêtes peuvent être réalisés avant la fin du délai de prescription.»

Il existe trois points de départ pour se replonger dans un vieux dossier: soit, la famille se manifeste, soit un agent a une nouvelle piste, soit une nouvelle technique apparaît. Dans le premier cas, cela doit dépasser le cadre d'une simple demande.

Affaire non résolue, affaire mal vécue

«Si les arguments mis en avant sont jugés pertinents, nous pouvons imaginer mettre en œuvre les propositions faites», rapporte Jean-Christophe Sauterel. Par exemple, détaille-t-il, des investigations policières ou des fouilles à la suite d'une disparition. La demande d'une famille peut aussi être prise en compte par la justice, et le Tribunal ou l'autorité de recours décide de la suite à donner.

La porte-parole de la police genevoise précise que la justice et les forces de l'ordre agissent même si la famille ne se mobilise pas. «Les inspectrices et inspecteurs sont très impliqués dans leurs enquêtes et ont vocation à identifier les auteurs afin de les déférer devant un Tribunal, assure-t-elle. D'ailleurs, même si les taux de résolutions d'affaires graves restent très élevés, une affaire non résolue peut être parfois mal vécue par les enquêtrices et enquêteurs.»

Mémoire collective

Ce mal-être peut parfois faire des étincelles, quand une affaire reste gravée dans la mémoire d'une enquêtrice ou dans un enquêteur. «Il va de soi que la mémoire collective peut contribuer à résoudre une enquête, révèle Tiffany Cudré-Mauroux. Par exemple, après l'arrestation d'un auteur ayant un mode opératoire similaire, une 'signature', ou un signalement correspondant à l'affaire non résolue», poursuit la porte-parole de la police.

Il y a donc les évolutions techniques, mais aussi la ténacité des enquêtrices et des enquêtes, loue la communicante. Dans le canton de Vaud, les échanges entre les forces de l'ordre et le monde scientifique est salué. Jean-Christophe Sauterel cite l'École des Sciences Criminelles, le Centre universitaire romand de Médecine Légale, et la Haute École d'Ingénierie et de Gestion du canton.

Collaboration entre police et scientifiques

Le porte-parole contextualise les rapports entre agents et scientifiques. «Chaque entité de la police cantonale doit assurer une mise à niveau permanente de son domaine d'expertise, explique-t-il. Ainsi, ces 'savoirs' sont partagés au sein de l'institution.»

On peut imaginer, poursuit le communicant, de proposer de nouvelles mesures dans des procédures: Investigations policières et judiciaires, investigations forensiques et techniques, exploitation des traces matérielles et numériques. Elles ne sont pas systématiques. La police parle alors «d'action sur opportunité».

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