Un potentiel inexploité
L'énergie solaire pourrait-elle faire baisser les loyers?

Produire de l’énergie, et même gagner de l’argent, avec sa maison? C’est possible! Les bâtiments à énergie positive génèrent d’énormes quantités d’électricité grâce à des panneaux solaire. Un potentiel inexploité, déplorent les politiciens.
Publié: 22.05.2022 à 06:13 heures
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Dernière mise à jour: 24.05.2022 à 14:16 heures
Danny Schlumpf

Depuis deux ans, Selina Gerber, Andreas Capoccia et leur petite fille d’un an vivent au centre de la commune de Tobel, dans le canton de Thurgovie. Leur appartement de 4,5 pièces, neuf, offre 110 mètres carrés de surface et un grand balcon pour seulement 1595 francs, charges comprises. «Ce prix est imbattable, se réjouit Selina Garber. Il n’y a rien de comparable dans la région.» Alors comment se fait-il que le loyer est si bas? «C’est grâce à la manière dont notre lotissement gère l’énergie», explique-t-elle.

Les toits et les balcons des cinq immeubles du lotissement sont entièrement recouverts d’installations solaires. Des sondes géothermiques et des pompes à chaleur chauffent les 50 appartements. L’isolation est optimale, selon le label Minergie. Des appareils efficaces, une ventilation automatique et des lampes LED réduisent encore davantage la consommation d’énergie.

Alors que 80% de l’énergie des bâtiments conventionnels est perdue, les bâtiments à énergie positive, comme ceux de Tobel, couvrent l’ensemble des besoins presque sans pertes. Mais mieux encore: ils permettent de générer d’importants excédents d’électricité. Le lotissement consomme quelque 129’500 kilowattheures (kWh) d’énergie par an, pour une production de 236’300 kWh, soit un excédent de 82% qui est réinjecté dans le réseau, et pas gratuitement.

Selina Gerber et Andreas Capoccia vivent à Tobel (TG). Les toits et les balcons des cinq immeubles du lotissement sont entièrement recouverts d’installations solaires.
Photo: Daniel Ammann
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«Nous avons combiné énergie et économie», explique l’architecte Giuseppe Fent. «6% d’investissements supplémentaires par rapport à une construction conventionnelle ont suffi pour pouvoir offrir des prix de location bien inférieurs à la moyenne, insiste-t-il. Nous ne nous contentons pas simplement d’améliorer le monde. L’installation est rentable.»

Production record

L’association Agence Solaire Suisse a présenté une nouvelle étude qui calcule le potentiel des constructions à énergie positive sur la base de valeurs mesurées. Si la Suisse construisait ou rénovait la moitié de ses bâtiments selon ces normes, ces logements produiraient près de 127 térawattheures (TWh). Et si 80% des bâtiments étaient transformés, on obtiendrait même quelque 435 TWh.

Ce sont des chiffres impressionnants. A titre de comparaison, la Suisse a consommé 60 térawattheures d’électricité en 2021. Les besoins totaux en énergie du pays – chauffage et transports compris – sont de 220 TWh. Avec des bâtiments à énergie positive, la Suisse pourrait produire le double de ses besoins en énergie – et grâce au soleil uniquement. Cela permettrait également d’alimenter les voitures électriques, secteur en croissance.

La maison individuelle d’Ursula et Arnold Brunner Bapst à Waltensburg (GR) montre le potentiel de ces constructions: elle produit un excédent d’électricité qui représente 700% de la consommation. Tout cela grâce à un toit solaire de 270 mètres carrés orienté ouest-est. C’est un record mondial.

La maison, tout de bois et béton, est dotée de grandes fenêtres et d’un avant-toit en saillie. En été, il protège de l’excès de soleil. En hiver, en revanche, notre astre réchauffe le bâtiment. «Grâce à l’énergie solaire passive, nous utilisons très peu d’électricité», souligne le couple.

Une alternative très avantageuse

Un calcul qui vaut la peine. «Notre maison est rentable, rapporte Arnold Brunner. L’installation est amortie en douze ans. Et c’est sans compter les économies réalisées grâce à l’autoproduction d’électricité.» En cas d’enneigement important, les Grisons doivent certes acheter un peu d’électricité. Mais l’année dernière, ils n’ont acheté qu’un dixième de la quantité qu’ils avaient eux-mêmes injectée dans le réseau.

Pourtant, ni à Tobel et ni à Waltensburg, l’indépendance énergétique n’est atteinte. «Il suffit de quelques grandes centrales de pompage-turbinage pour que ça ne soit pas rédhibitoire, rétorque Gallus Cadonau, directeur de l’Agence Solaire Suisse. Ne serait-ce que parce que les constructions à énergie positive réduisent massivement la consommation d’électricité, même en hiver.»

Transformer les logements suisses n’est certes pas gratuit, admet Gallus Cadonau. «Mais si la Confédération investit 30,5 milliards de francs au cours des 15 prochaines années, il en résulterait des recettes de 35 milliards de francs. À cela s’ajoutent des économies de 45 milliards grâce à la réduction des pertes d’énergie, calcule l’expert. Cela me semble être une alternative très avantageuse par rapport aux 15 dernières années, au cours desquelles la Suisse a dépensé environ 120 milliards de francs pour les importations d’énergie fossile et nucléaire.»

Trop beau pour être vrai? Jürg Rohrer, chargé de cours sur les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique à l’Université des sciences appliquées de Zurich (ZHAW) répond: «Le principe des bâtiments à énergie positive fonctionne. Il doit devenir la norme pour toutes les nouvelles constructions en Suisse.» Selon lui, ce qui est crucial, c’est de faire de ce potentiel une réalité. Dans une étude encore non publiée, le chercheur arrive à la conclusion suivante: «Seul 5% du potentiel des toits des bâtiments en matière d’énergie solaire n’est exploité aujourd’hui.»

«Nous gagnons bien notre vie grâce à cela ça»

Cela s’explique en partie du fait que les rétributions du courant injecté diffèrent d’une commune à l’autre. Et aucun canton n’oblige les nouvelles constructions à produire plus d’électricité qu’elles n’en consomment. C’est pourquoi il n’existe aujourd’hui que 230 bâtiments à énergie positive en Suisse.

Ils sont en outre répartis de manière très inégale: 51 dans le canton de Berne, 25 à Saint-Gall, 22 dans les Grisons. On n’en compte en revanche aucun à Glaris, dans le canton de Vaud ou dans le Jura.

Certaines régions offrent des avantages intéressants lorsqu’un bâtiment est énergiquement avantageux, comme la Thurgovie. «Les cantons doivent fixer les conditions-cadres de manière que de telles constructions soient rentables, estime le directeur de l’économie publique thurgovien Walter Schönholzer. Le concept connaîtra alors un véritable essor, car le potentiel est énorme!»

Et pas seulement pour les nouvelles constructions, comme le prouvent Elisabeth et Christian Anliker. En 2014, ce couple de retraités a rénové sa ferme construite en 1765 à Affoltern (BE). Avant la transformation, ils consommaient près de 200’000 kWh, et aujourd’hui plus que 13’000 kWh. L’immense toit solaire génère un excédent de 600% par rapport à la consommation. Depuis l’automne, le prix de reprise que le couple touche est passé de cinq à 20 centimes par kilowattheure. Christian Anliker s’en réjouit: «Nous gagnons bien notre vie grâce à cela ça.»

Pour respecter les accords sur le climat

Des installations solaires dans toute la Suisse, un rêve de la gauche? Le conseiller aux Etats UDC Hannes Germann balaie cette idée d’un revers de main: «Le concept est visionnaire, mais pas utopique. Nous, les citoyens, avons justement intérêt à ne pas sous-estimer son potentiel.»

Hannes Germann a déjà déposé une interpellation dans ce sens en 2019. Son titre: «Pour que l’Accord de Paris sur le climat soit suivi d’effets, il faut intégrer au programme Bâtiments les constructions à énergie positive ou répondant aux normes Minergie-P.» Si cela est incontesté jusque dans les rangs de la droite, pourquoi n’y a-t-il pas déjà des dizaines de milliers de bâtiments à énergie positive en Suisse?

Le fédéralisme «à la Suisse» et le nombre d’architectes conservateurs sont des éléments de réponse. «Mais c’est surtout une question d’information», explique la conseillère nationale Priska Seiler Graf (PS), coprésidente de l’Agence Solaire Suisse. «Le potentiel des bâtiments à énergie positive est prouvé. Il faut maintenant le montrer à la population.»

(Adaptation par Jessica Chautems)

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