Une différence de dix milliards?
L'ex-chef des armées alerte sur le coût réel des avions de combat pour la Suisse

Le coût total des nouveaux avions de combat a déjà été contesté pendant la campagne référendaire. Le DDPS chiffre la dépense à 18 milliards de francs contre 24 milliards pour les opposants. L'ex-chef des armées avance des chiffres beaucoup plus élevés.
Publié: 23.06.2021 à 05:47 heures
Daniel Ballmer

L’ancien chef des armées André Blattmann tire encore la sonnette d’alarme. Il craint que le paquet de six milliards pour de nouveaux avions de combat ne bloque d’autres investissements nécessaires à l’armée suisse pour les années à venir. D’après ses calculs, les coûts totaux sur une période d’exploitation de 30 ans risquent d’être nettement plus élevés que les chiffres annoncés jusqu’à maintenant. C’est le résultat de son document d’analyse, qui a été rendu public lundi.

Le coût des jets pour les contribuables a déjà été contesté lors de la campagne référendaire de l’automne dernier. Les coûts d’achat ne représentent qu’une partie de la facture. Le Département de la défense (DDPS) a jusqu’à présent annoncé une dépense totale de 18 milliards de francs suisses. En plus des coûts d’acquisition prévus de six milliards, cela représenterait douze milliards supplémentaires pour l’exploitation des avions pendant toute la durée de leur utilisation.

Les opposants au projet estiment que cela va coûter plus cher

Pour les opposants, ce calcul ne serait pas correct. Ils avancent un coût d’environ 24 milliards de francs suisses, citant des valeurs empiriques pour l’acquisition d’avions de combat à l’étranger. Les fournisseurs vont maintenant baisser le plus possible le prix d’achat de leurs jets afin de gagner la course. En contrepartie, les coûts d’exploitation sont susceptibles d’être trois fois plus élevés que le prix d’achat.

La Suisse souhaite acquérir de nouveaux avions de combat pour remplacer les F/A-18 vieillissants de l'armée de l'air.
Photo: Keystone
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En effet, en 2009 déjà, Jakob Baumann, alors chef de l’armement, avait déclaré dans la «NZZ»: «L’expérience montre que les coûts du cycle de vie des avions représentent trois à quatre fois le coût d’acquisition net.»

L’ex-chef de l’armée annonce une dépense de près de 28 milliards

L’ex-chef d’état-major de l’armée André Blattmann prévoit même des coûts encore plus élevés que ceux des opposants à l’achat des avions. «Les valeurs empiriques pour les systèmes complexes de l’armée montrent que l’on peut s’attendre à des coûts d’exploitation d’environ 12% par an», écrit-il dans son rapport.

Selon ses calculs, les coûts d’exploitation annuels s’élèveraient à 720 millions, soit 21,6 milliards sur 30 ans. Avec les coûts d’acquisition, cela porte le total à la somme de 27,6 milliards de francs, soit presque dix milliards de plus que ce que le DDPS déclare officiellement.

Une estimation qui provoque une fois de plus des remous à la veille de l’annonce de la décision du Conseil fédéral. Le DDPS pencherait pour l’avion furtif américain F-35, une décision qui suscite la controverse.

Le ministère ne veut rien savoir des chiffres avancés par l’ex-chef de l’armée. «Nous ne comprenons pas ce calcul», déclare Lorenz Frischknecht, porte-parole du ministère. Le DDPS continue d’utiliser la règle empirique selon laquelle les coûts d’exploitation calculés sur 30 ans devraient être environ deux fois plus élevés que les coûts d’acquisition. Ce chiffre se situerait dans une fourchette similaire à celle des avions de combat d’aujourd’hui.

«Il faut prendre au sérieux les chiffres de Blattmann»

La conseillère nationale PS Priska Seiler Graf défend les calculs d’André Blattmann. «Il faut prendre les chiffres de l’ancien chef des armées Blattmann absolument au sérieux», souligne-t-elle. Cela confirme ce que les opposants avaient toujours craint, a-t-elle dit. «Même le DDPS a supposé pendant longtemps que les coûts d’exploitation seraient trois fois plus élevés que les coûts d’acquisition et n’a fait marche arrière qu’après la campagne référendaire.»

Jonas Kampus, du groupe Suisse sans armée (GSsA), est du même avis. «Les nouveaux chiffres confirment exactement nos préoccupations, d’autant plus qu’ils émanent de l’ancien chef de l’armée, qui a une connaissance approfondie de la situation», dit-il. «Le Conseil fédéral ferait donc bien de prendre ces chiffres au sérieux».

Le Conseil fédéral se penchera sur le choix de l’avion de combat mercredi. Au sein même du gouvernement, certaines discussions sont encore à prévoir. Les initiés supposent donc que la décision finale ne sera pas prise avant la semaine prochaine.

La conseillère nationale PS Priska Seiler Graf espère que le gouvernement tiendra compte des nouveaux chiffres et optera, par exemple, pour une réduction du nombre de jets. «Sinon, je serai très déçue par le Conseil fédéral», dit-elle. Les coûts totaux liés à l’achat et à l’entretien de ces avions ne manqueront pas de devenir un sujet central des discussions au Parlement.

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