Une drôle d'audition
Au Tribunal de Nyon, Alexandre Benalla nie tout et tacle les journalistes

Auditionné dans le cadre d'une histoire de diffamation qui oppose une femme d'affaires au média français «L'Obs», le mercredi 1ᵉʳ novembre à Nyon, Alexandre Benalla, l'ex-chargé de mission de l'Élysée, réfute tout et fustige les journalistes.
Publié: 01.11.2023 à 20:08 heures
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Dernière mise à jour: 02.11.2023 à 13:00 heures
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Daniella GorbunovaJournaliste Blick

Ce mercredi 1ᵉʳ novembre, il arrive au Tribunal de Nyon avec trois minutes de retard. Costume et lunettes rectangulaires — teintées de bleu — sur le nez, Alexandre Benalla, l’ex-chargé de mission de l’Élysée, ne passe pas inaperçu. Il est là en tant que témoin.

Pendant plus d'une heure, face à la juge, il niera tout lien de proximité avec les hautes sphères du pouvoir… Malgré tous les articles de la presse française qui disent le contraire. «Je n’ai malheureusement pas eu l’occasion d’attaquer tous les articles écrits sur moi», laissera-t-il même échapper, au milieu de l’audition. Il ne manquera pas, en passant, de clamer son innocence dans toutes les «affaires» de l’Hexagone (et elles sont nombreuses) où apparaît son nom.

Son audition, à laquelle Blick a assisté, était prévue à 14 heures. Il est le premier d’une longue liste de personnalités publiques françaises appelées à témoigner… dans le cadre d’une procédure civile vaudoise. En cause: une mystérieuse femme d’affaires française — dont le nom a été dévoilé par la presse parisienne — qui accuse le magazine français «L’Obs» d'atteinte à la personnalité. Elle réclame la suppression de deux articles (disponibles en ligne), et une réparation de 10’000 francs pour tort moral.

L'ex-chargé de mission de l'Elysée a été auditionné au Tribunal de Nyon, le mercredi 1er novembre. (Image d'archives)
Photo: AFP

Une histoire française jugée en Suisse

La businesswoman, à qui la presse parisienne prête également de troubles connexions avec l’élite française (et internationale), a quitté l’Hexagone pour la paisible Terre sainte, dans le canton de Vaud, il y a une dizaine d’années déjà. Elle attaque donc deux journalistes et la société éditrice de «L’Obs» depuis son fief. L'une d'eux, ainsi que la directrice du magazine, Julie Joly, ont dû faire le déplacement jusqu'en Suisse pour l'occasion, ce mercredi 1ᵉʳ novembre... 

La femme d’affaires arrive sur place en avance: dans une Range Rover noire, avec son avocate genevoise Camille Haab. C’est une dame très apprêtée — costume vert foncé, sac Hermès, diamants et grosse émeraude au doigt.

La raison de son courroux contre le média? Deux articles qui brossent son portrait, la qualifient de «protectrice» d’Alexandre Benalla, et laissent entendre qu’elle aurait été impliquée dans l’affaire de la disparition du contenu d’un coffre-fort de l’Élysée — une histoire rocambolesque, bien connue en France.

Elle dénonce ces papiers comme étant mensongers. Publiés en ligne, ils l’auraient indûment fait sortir de l’anonymat, nuisant ainsi à sa carrière (de consultante dans les milieux de l’immobilier et dans la gestion des déchets). D’où la procédure civile pour «atteinte illicite à la personnalité» — qui, par ailleurs, n’existe pas en France.

«Nous n’avons jamais été proches»

Du côté des défendeurs, pour l’avocat genevois Nicolas Capt, tout l’enjeu est de prouver, via le témoignage d’Alexandre Benalla (entre autres), la légitimité et l’utilité publique des articles de «L’Obs». Car si la femme d’affaires est sortie de l’anonymat, c’est à cause des connexions que les journalistes lui prêtent avec l’ex-«garde du corps» de Macron, dont elle serait l'«amie mystérieuse», d’après l’un des articles incriminés.

L’audition commence donc avec la question de ce lien: se connaissent-ils? Sont-ils «amis», «proches»? Car, d’après le média, c’est elle qui l’aurait hébergé, dès le 18 juillet 2018, lorsque son domicile a été assailli par les journalistes — après l’affaire du 1ᵉʳ mai, où il est accusé d’avoir violenté des manifestants.

Alexandre Benalla affirme — et il le répétera à plusieurs reprises pendant l’audition — que la femme n’est pas une amie. «C’est une connaissance. Nous n’avons jamais été proches. Nous nous parlons deux à trois fois par année, dans un cadre privé. Cela peut concerner une question professionnelle, ou simplement pour prendre des nouvelles.» Il affirme l’avoir rencontrée dans un cadre professionnel à l’Élysée.

Squatteur d’appart', mais pas ami?

Alexandre Benalla admet cependant s’être réfugié, gratuitement et pendant un mois, chez la femme durant la tempête médiatique de l’affaire du 1ᵉʳ mai. Mais, d’après lui, cela n’en ferait pas une «amie» pour autant.

Face au scepticisme de la juge, Benalla invoque le récent accouchement de sa femme au moment des faits: «C’est elle qui nous a proposé de venir chez elle, car mon épouse venait d’accoucher. Elle-même n’était pas présente, c’est la femme de ménage qui m’a donné les clés.»

N’est-ce pas une preuve d’amitié, lui rétorque la présidente du Tribunal, visiblement dubitative? L’homme ne démord pas de sa version: «Ce n’est pas la seule connaissance qui m’a proposé de l’aide à ce moment-là. Parmi ces connaissances, il n’y avait pas que des amis.» Il ajoute que c’est parce que son hôte est elle-même mère, qu’elle s’est montrée sensible à la situation d'Alexandre Benalla et sa famille: «Je pense que c’était un réflexe maternel de sa part», vu l’accouchement très récent de Madame Benalla.

L’affaire du coffre

C’est aussi chez la businesswoman qu’a atterri, au même moment, le fameux coffre-fort disparu de l’Élysée. Il était alors vide (alors qu’il était censé contenir des armes, et peut-être des documents). Les articles incriminés de «L’Obs» stipulent notamment que la femme d’affaires aurait joué un rôle dans cette curieuse histoire.

La juge ne manque pas le coche: a-t-il emporté le coffre-fort chez la femme avec lui? Il hésite un peu. La présidente du Tribunal semble perdre patience. Il finira par s’expliquer en ces termes: «Il a été déplacé. C’était bien mon coffre-fort. Mais ce n’est pas moi qui l’ai transporté de chez moi à chez elle.»

Qui l’a transporté, alors? «Je ne me souviens plus. Je ne me souviens plus non plus de qui a donné les instructions de le transporter.» Quant à la question de savoir pourquoi un coffre-fort vide a été transporté, il rétorque: «Je suis incapable de répondre à cette question.» Que de flou… À la fin de l’audition, l’ex-«garde du corps» de Macron ironise: «Il y a une obsession autour de ce coffre, c’est fou.»

«L’audition a tenu ses promesse»?

Interrogé à la sortie de la petite salle du Tribunal, Nicolas Capt, l’avocat de «L’Obs» qui a fait venir Benalla à la barre, affirme: «L’audition a tenu ses promesses, et a révélé un évident lien d’amitié et de proximité entre les deux protagonistes.»

La femme d’affaires à l’origine de la procédure nous renvoie quant à elle vers son avocate. Camille Haab délivre un commentaire assez générique: «Fidèle à la ligne qu’elle s’est fixée depuis le début de la procédure, ma cliente ne répondra pas aux sollicitations des médias. Elle déplore que la partie adverse, manifestement mal à l’aise dans sa défense, saisisse la presse à chaque étape du procès pour tenter d’influencer la justice et l’opinion publique.»

Quant à la journaliste et à la directrice du magazine présentes, elles insistent surtout sur leur incompréhension quant au choix du pays pour cette procédure. La directrice de «L’Obs», Julie Joly, affirme à Blick: «On a pu constater le malaise d’Alexandre Benalla. Cela témoigne de la pertinence de nos articles, et de l’absurde de cette procédure… en Suisse. Cette femme tente d’empêcher la presse française de faire son travail.»

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