Une Jurassienne au Conseil fédéral
«J'ai pleuré à l'indépendance, puis pour Moutier et aujourd'hui!»

Des militantes et militants socialistes se sont réunis ce mercredi à l'Hôtel du Bœuf à Delémont. Après le doute et le stress, l'incrédulité, la joie et les larmes: surprise, Elisabeth Baume-Schneider accède au Conseil fédéral! Un nouvel espoir pour le Jura. Reportage.
Publié: 07.12.2022 à 13:25 heures
|
Dernière mise à jour: 07.12.2022 à 19:54 heures
AmitJuillard.png
Amit JuillardJournaliste Blick

Jean Moritz ne chiale pas souvent. «Je n'en ai pas l'habitude, confie l'ex-président de la Cour constitutionnelle et du Tribunal cantonal. J'ai eu des larmes — comme jamais et jamais plus — le 23 juin 1974 (ndlr: date du premier plébiscite sur l'indépendance du futur canton). Puis, deux fois à Moutier, lors des votes sur son rattachement au Jura. Et, là, juste maintenant. On peine à revenir sur Terre.»

Les socialistes et militantes de gauche réunies — il y a une grande majorité de femmes — ce mercredi matin à l'Hôtel du Bœuf à Delémont sont encore sous le choc. De temps en temps, un mouchoir sort encore d'une poche. «Magnifique», «fabuleux»: leur camarade franc-montagnarde Elisabeth Baume-Schneider vient d'accéder au Conseil fédéral. Une première pour ce petit canton périphérique.

Jean Moritz vient de verser quelques larmes, mais il est tout sourire.
Photo: Darin Vanselow

Ici, personne n'osait vraiment y penser. A 8h, la salle du Conseil national, à Berne, est pleine, le bistrot est quasi vide. Il y a presque plus de journalistes que de «vraies gens», rigolent les premières venues. Jeanne Boillat-Domeniconi, élue socialiste au Conseil de Ville de Delémont, et Nicole Béguin, photographe «un peu plus à gauche», y croient timidement. «Je vais vous répondre par un petit 'oui', sourit Nicole Béguin. Un petit 'oui' pour une grande surprise!»

10h26: l'Hôtel du Boeuf à Delémont hurle son bonheur. Elisabeth Baume-Schneider vient d'être élue conseillère fédérale! Historique!
Photo: Darrin Vanselow

«Faire avancer l'autoroute Delémont-Bâle»

Où sont les hommes? «Les hommes retraités sont encore au lit à cette heure-ci!», lance Monique («Dites que je suis 'la Monique du Jura', on me reconnaîtra...»), une ancienne de la Ligue révolutionnaire. Elisabeth Baume-Schneider? Elles l'ont toutes côtoyée, croisée. Parfois à la Ligue marxiste révolutionnaire, comme Monique. «Ce serait bien qu'elle accède au Conseil fédéral, appuie Nicole Béguin. Je respecte beaucoup son engagement. Elle aime faire de la politique, elle a des étincelles dans les yeux quand elle parle. Elle a ce côté 'j'aime, je fais' et cet engagement 'tout d'une pièce'. Et elle saurait représenter les régions périphériques!»

A l'étage, tout seul dans la salle apprêtée pour l'occasion, Herbert Ludwig, patron des lieux. Il espère voir la citoyenne des Breuleux élue par l'Assemblée fédérale, même s'il «sait que ce sera difficile». «Je suis plutôt de gauche, mais je vote surtout pour des personnes. Elisabeth Baume-Schneider, ça a toujours été une évidence pour moi. Et il y a de l'espoir: apparemment, le groupe UDC n'a pas arrêté de choix. Mais même si c'est la Bâloise (ndlr: Eva Herzog, l'autre socialiste en lice), ça pourrait être bien aussi. Ça pourrait enfin faire avancer le dossier de l'autoroute Delémont-Bâle.»

Le doute s'installe

La pression monte. Les chaises sont beaucoup moins froides, au premier. Réchauffées par une trentaine d'enthousiastes tendus. Quelques blagues fusent sur le nom de famille d'Albert Rösti, élu tout à l'heure pour succéder à Ueli Maurer, ministre UDC sortant, et originaire du canton «ennemi».

«La» Jacqueline doute: «Le Jura aura un conseiller fédéral, un jour, mais ça sera un PDC et il s'appellera Juillard, comme vous!»
Photo: Darrin Vanselow

Qui prendra la place de sa collègue socialiste Simonetta Sommaruga? Frisson à la fin du premier tour: EBS arrive en tête. Mais ça fait la moue. Le «candidat sauvage» Daniel Jositsch glâne 58 voix. C'est beaucoup. «La question, c'est de savoir qui a voté pour Jositsch, s'interroge 'la' Jacqueline, militante socialiste. Est-ce que c'est l'UDC? Est-ce que c'est les villes contre les campagnes? Je pense que les urbains et les Zurichois ont voté pour Jositsch et qu'ils vont voter pour Herzog. Le Jura aura un conseiller fédéral, un jour, mais ça sera un PDC et il s'appellera Juillard, comme vous!» Je lui précise que je n'ai pas de lien de parenté avec Charles, conseiller aux Etats depuis 2019 et ancien ministre local.

Fin du deuxième tour. Premiers applaudissements. Elisabeth — personne ne l'appelle par son nom de famille ici — confirme: elle est toujours en pole position. Jeanne Boillat-Domeniconi et ses camarades font des calculs d'apothicaires. De leur fébrilité apparente semblent naître un espoir secret. «Je commence peut-être à y croire, vaguement, mais ça va être difficile, souffle sa voisine. Je pense que c'est cuit. De toute façon, c'est déjà magnifique de vivre ça!» Tension.

Double victoire pour les Franches-Montagnes!

10h26. «Est élue, avec 123 voix... Elisabeth Baume-Schneider.» Le Bœuf exulte! Les chaises se sentent à nouveau bien seules. Tout le monde est debout. Les accolades sèchent des yeux mouillés. Jeanne Boillat-Domeniconi est émue: «C'est merveilleux, pour le Jura, pour les femmes, pour le socialisme! Je vais lui écrire. C'est la victoire du cœur!»

Contenu tiers
Pour afficher les contenus de prestataires tiers (Twitter, Instagram), vous devez autoriser tous les cookies et le partage de données avec ces prestataires externes.

«La» Jacqueline se réjouit: «Elle va pouvoir défendre notre coin de pays! Et j'espère qu'elle va se verdir un peu face à la crise climatique. Elle a l'intelligence pour.» «La» Monique célèbre une double victoire pour les Franches-Montagnes: «Albert Rösti est président des éleveurs du cheval des Franches...»

La plupart des supportrices et supporters prennent déjà le chemin de la maison. Herbert Ludwig n'avait pas prévu plus de menus du jour que d'habitude. Il y a de toute façon bien assez de blanquette. Ce midi, les convives ne parlent que de la nouvelle tête couronnée. «Heureusement qu'elle parle le suisse-allemand. Sans ça, elle aurait eu aucune chance de s'attirer 'leur' sympathie comme elle l'a fait.»

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la