Une sociologue sur l'arrêt controversé de la Cour d'appel de Bâle
«Nous avons tous intériorisé la culture du viol»

Les déclarations d'une juge bâloise dans un procès pour viol laissent entendre que la victime est en partie responsable du crime. La chercheuse Franziska Schutzbach connaît les fondements de ces idées: la culture du viol, que nous avons tous intériorisée. Interview
Publié: 08.08.2021 à 05:57 heures
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Dernière mise à jour: 09.08.2021 à 18:51 heures
Dana Liechti, Daniella Gorbunova (adaptation)

La Cour d'appel de Bâle a récemment réduit la peine d'un violeur au motif que l'agression était relativement brève. On ne saurait pas non plus à quel point la victime souffre encore aujourd'hui, car elle ne suit pas de thérapie. Qu'est-ce que cette situation vous évoque?
Franziska Schutzbach: Ces déclarations sont basées sur l'hypothèse très discutable que la victime d'une agression doit se comporter d'une certaine manière, et que les femmes réagissent toutes de la même façon au viol.

Mais ce n'est pas le cas.
Non, toutes réagissent très différemment - certaines ont besoin d'une aide thérapeutique, d'autres ne veulent pas de cela et s'en sortent mieux en refoulant les choses. Donc si une femme agit avec force et rejet, c'est peut-être une stratégie de survie. Les juges devraient le savoir.

La juge qui s'est exprimée a également fait référence à des «signaux que la victime envoyait aux hommes». La pauvre femme aurait joué avec le feu, car elle est devenue intime avec un homme avant que l'agression ne se produise.
Ces déclarations sont très problématiques - et exemplaires. Elles contiennent des mythes très répandus sur la violence sexuelle. Elles attribuent, même si ce n'est peut-être pas volontaire, une complicité à la victime. L'accusation implicite étant: le comportement de la femme a provoqué le viol.

La juge a justifié sa décision en disant que l'agression avait été relativement courte. On ne sait pas non plus dans quelle mesure la victime en souffre encore aujourd'hui, car elle ne suit pas de thérapie.
Photo: Thomas Meier

Mais n'est-il pas inhabituel qu'un tribunal adopte un tel point de vue?
Notre code pénal permet de qualifier de moindre la culpabilité d'un agresseur si la victime l'a «provoqué». Le tribunal peut atténuer la peine si - et je cite l'article 48 du code pénal - «l'auteur de l'infraction a été sérieusement tenté par le comportement de la personne blessée». Il est bien connu que dans les procès pour délits sexuels, cela conduit fatalement à ce que la victime soit souvent tenue pour au moins partiellement responsable. On devrait s'attendre, dans un pays et dans un canton modernes, à ce que le personnel des tribunaux soit formé à ces questions et comprenne que le droit pénal, dans de tels cas, ne doit pas être interprété comme une complicité de la victime.

Il est étonnant que la présidente de la Cour, une femme, tienne de tels propos.
Les femmes ont également internalisé le sexisme. Souvent, elles ne s'opposent pas à la misogynie parce qu'il est avantageux pour elles de soutenir le patriarcat dans une société orientée vers les hommes et la masculinité. Je ne veux pas me contenter de critiquer, nous en faisons tous partie, de cette société patriarcale. Mais il faut beaucoup de sensibilité pour reconnaître son propre sexisme.

Comment se fait-il que ce soit souvent les femmes qui se jugent particulièrement sévèrement entre elles?
Des études nous ont appris que les femmes - contrairement aux hommes entre eux - ont souvent une très mauvaise opinion de leurs pairs. Ce faisant, elles reproduisent la sympathie de base largement répandue pour les hommes et la masculinité. Cela est particulièrement évident dans les procès pour délits sexuels où, comme le montrent des études américaines, les jurés éprouvent souvent plus de sympathie et de pitié pour les auteurs que pour les victimes.

La cour a depuis émis un avis. Afin de mesurer la culpabilité, le tribunal examinera comment l'auteur a interprété la situation.
Il n'y a pas nécéssairement une intention malveillante derrière cela. Mais cela montre simplement que la culture du viol est non seulement encore ancrée dans la pratique juridique, mais que nous les avons tous intériorisée - y compris le juge.

La culture du viol, c'est quoi?

La culture du viol est un concept sociologique utilisé pour qualifier un ensemble de comportements et d'attitudes partagés au sein d'une société donnée qui minimisent, normalisent, voire encouragent le viol. Cette culture, comme les autres usages sociologiques du terme culture, renvoie à l'idée que dans une société donnée, les gens partagent des idées, des croyances et des normes sociales. Dans le cas de la culture du viol, ce bagage culturel partagé est perçu comme permettant, voire encourageant le viol. De plus, la culture du viol est vue de façon graduelle, allant de l'institutionnalisation du viol jusqu'à sa sanction.

La culture du viol est un concept sociologique utilisé pour qualifier un ensemble de comportements et d'attitudes partagés au sein d'une société donnée qui minimisent, normalisent, voire encouragent le viol. Cette culture, comme les autres usages sociologiques du terme culture, renvoie à l'idée que dans une société donnée, les gens partagent des idées, des croyances et des normes sociales. Dans le cas de la culture du viol, ce bagage culturel partagé est perçu comme permettant, voire encourageant le viol. De plus, la culture du viol est vue de façon graduelle, allant de l'institutionnalisation du viol jusqu'à sa sanction.

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Qu'est-ce exactement, la «culture du viol»?
C'est l'idée, par exemple, que les femmes provoquent les agressions - par leurs vêtements ou leur comportement. Et que les hommes ne peuvent pas y résister, qu'ils sont impuissants, à la merci des stimuli féminins et qu'ils ont donc eux-mêmes besoin de protection contre cet attrait sexuel immaîtrisable. Cette idée est apparue au 18e et au début du 19e siècle. L'homme est considéré comme une sorte de chaudière à vapeur qui subit une pression sexuelle constante et ne peut se contrôler. L'idée que les femmes ne doivent pas s'habiller ou se comporter de manière trop provocante date également de cette époque. Cette idéologie séculaire et misogyne perdure encore aujourd'hui.

Avec des conséquences.
Il a été prouvé que les hommes sont plus susceptibles de recourir à la violence s'ils croient à de tels mythes - par exemple, s'ils pensent que les femmes qui s'habillent de manière sexy cherchent à se faire toucher.

De nombreux hommes disent qu'ils ne savent même plus comment se comporter sexuellement.
La plupart d'entre eux n'y pensent même pas sérieusement. Mais ce n'est pas si difficile. Vous pouvez vous demander: «Est-ce que je voudrais qu'un homme se comporte de la sorte avec ma mère, ma sœur, ma petite amie?» Il s'agit souvent d'un baromètre utile pour savoir si l'on dépasse les limites.

De façon générale et symbolique, que signifie l'arrêt de Bâle pour les victimes d'agressions sexuelles?
Les déclarations faites par la juge sont un signal fatal. Il est tout à fait possible que des agressions ne soient pas signalées pour cette raison. Il ne faut pas que cela se produise. Nous devons créer une culture dans laquelle les victimes osent prendre des mesures contre les bourreaux.

Que faut-il faire pour empêcher les agressions de se produire en premier lieu?
Égalité et éducation. Malheureusement, les forces conservatrices de droite continuent d'empêcher une éducation sexuelle progressiste dans les écoles, par exemple, où les enfants et les jeunes apprendraient plus que des faits superficiels sur les organes sexuels. Or, il est nécessaire d'acquérir des connaissances sur les structures de pouvoir, le façonnement des rôles, la sexualité, la violence et ce qu'est le consentement dès le plus jeune âge.


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