Vers les bilatérales III
Allô Bruxelles? Négocier ne suffit pas, il faut convaincre les Suisses

C'est parti pour les Bilatérales III. Après la visite à Bruxelles de Viola Amherd lundi 18 mars, les diplomates ont déjà commencé à négocier. Mais attention, en Suisse, beaucoup ont encore besoin d'être convaincus.
Publié: 19.03.2024 à 15:09 heures
|
Dernière mise à jour: 19.03.2024 à 22:21 heures
Blick_Richard_Werly.png
Richard WerlyJournaliste Blick

La fin de l’histoire est connue. C’est devant le peuple suisse que finiront les projets d’accords bilatéraux entre la Suisse et l’Union européenne que les diplomates ont commencé à négocier ce mardi 19 mars. La reprise des pourparlers formels entre la Confédération et son premier partenaire commercial et politique a eu lieu la veille, lors du déjeuner de travail entre Viola Amherd, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, et le Vice-président de la Commission chargé du dossier helvétique, Maros Sefcovic. Place maintenant aux deux négociateurs et aux experts: d’un côté l’ambassadeur suisse Patric Franzen, de l’autre le haut fonctionnaire européen (polonais) Richard Szostak.

Et maintenant? Tout est sur la table. Lundi, dans la salle à manger présidentielle du Berlaymont, le QG bruxellois de la Commission européenne, les deux délégations ont pu faire l’inventaire de leurs exigences. La Suisse, comme l’Union européenne, ont tour à tour adopté un mandat de négociation et des «lignes directrices». Les diplomates vont donc travailler dans un couloir restreint, chacun cherchant à pousser son avantage pour faire le moins de concessions possible.

Sauf que la donne politique, en Suisse comme dans l’UE, peut encore réserver d’énormes surprises. A Berne, les syndicats et l’UDC fourbissent leurs armes contre ce projet des «Bilatérales III» accusé de mettre en danger la souveraineté et le niveau des salaires suisses. A Bruxelles, les négociateurs savent que leur temps est compté. Les élections européennes auront lieu du 6 au 9 juin. En juillet, la présidente de la Commission sera, ou non, renouvelée pour 5 ans. Et à l’automne, une nouvelle Commission composée de 27 commissaires sera désignée. Bref, tout est mouvant.

Viola Amherd a fait le premier pas le 18 mars à Bruxelles. Sa rencontre avec Ursula von der Leyen marque la reprise des négociations formelles.
Photo: keystone-sda.ch
1/5

Tout se joue en Suisse

La question est avant tout posée en Suisse. C’est du côté helvète que tout se joue, ou presque. L’Union européenne a de longue date posé ses conditions, qui sont connues et qui respectent les principes communautaires. Le droit européen, interprété par la Cour de Justice du Luxembourg, devra primer lorsque les futurs litiges opposeront la Suisse et l’UE sur des questions relatives au marché intérieur européen.

La libre circulation des personnes et des travailleurs n’est pas négociable. Le retour de la Suisse dans les programmes comme Horizon Europe pour la recherche ou Erasmus pour les étudiants, ne pourra pas se faire sans un accord global sur des dispositions institutionnelles, insérées dans le futur paquet des Bilatérales III (après celles de 1999 et 2004).

Mais les Suisses, qu’en pensent-ils? C’est là que Bruxelles doit jouer fin, si les 27 veulent boucler ces négociations et arrimer la Suisse à leur ensemble géopolitique et économique.

Deux questions

Tout se résume en fait à deux questions, que l’UE a bien compris puisque des formes de dérogations sont contenues dans son mandat de négociation. D’abord les salaires. L’argent. Les rémunérations. Car c’est bien de ce sujet dont on parle, pas de la protection sociale des salariés. Au sein de l’UE, notamment dans des pays comme la France ou l’Allemagne, les salariés sont mieux protégés qu’en Suisse.

Bruxelles doit en revanche apprendre à compter. Il faut à tout prix dissiper l’idée que, demain, les travailleurs suisses ou résidents en Suisse (y compris les centaines de milliers de frontaliers) seront concurrencés de façon déloyale par les salariés d’entreprises européennes, en particulier venues de l’Est. Pierre-Yves Maillard et ses troupes veillent au grain. Leur argument massue est assuré de l’emporter dans les urnes. Il faut qu’au fil des négociations, des garanties claires sur les niveaux de salaires soient données. C’est indispensable.

La seconde question est juridique. La Suisse doit, même si elle reprend quantité de directives européennes dans sa législation, pouvoir encore justifier d’une exception, car elle demeure un pays tiers. L’UE est prête à concéder cette exception pour l’expulsion des ressortissants européens coupables de délits. Elle a aussi donné son accord pour un système d’arbitrage lorsque des litiges commerciaux surviennent.

Mais le message doit être clair. Tout paquet bilatéral qui apparaîtra comme un carcan juridique européen n’aura aucune chance devant le peuple. Il faut que les négociateurs helvétiques puissent dire: voici notre droit de véto. Il existe. Nous restons souverains. Même si, de façon globale, la réalité de la souveraineté d’un petit pays comme la Suisse, au cœur géographique de l’ensemble Européen, reste à définir.

Contenu tiers
Pour afficher les contenus de prestataires tiers (Twitter, Instagram), vous devez autoriser tous les cookies et le partage de données avec ces prestataires externes.

Des accords soumis au vote

Allô Bruxelles? Vous avez bien compris. Le pire serait de penser que les diplomates qui défileront prochainement dans les salles du Berlaymont sont assurés de l’emporter devant le peuple, lorsque les accords seront inévitablement soumis au vote, à l’horizon 2026 au plus tôt sans doute. Les Suisses ont besoin d’être convaincus.

Cette nouvelle phase bilatérale est trop importante pour être laissé dans les mains des seuls négociateurs. La politique est indispensable. Pierre-Yves Maillard et les siens méritent toute l’attention des responsables européens. Important aussi: n’oublions pas que les partis souverainistes et nationaux – populistes risquent de voir leur nombre de députés européens faire un bon après le scrutin de juin. Ces derniers voleront sans doute au secours de l’intransigeance helvétique.

Le moment n’est pas seulement venu de négocier. Il est venu de rappeler ce que la Suisse et l’Union européenne ont en commun. Et de démontrer qu’un pays tiers prospère, neutre, arc-bouté sur sa démocratie directe, n’est pas condamné à plier devant le géant voisin. A l’heure des futurs élargissements, ces Bilatérales III seront un excellent baromètre de l’envie d’être Européens ensemble. Ce qui, côté Suisse, et en particulier outre-Sarine, reste tout sauf évident.

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la