Technologie suisse à la traîne
Genève s'équipe de radars anti-bruit français, au détriment d'une start-up locale

Première en Suisse: le canton de Genève est désormais équipé de radars de contrôle antibruit. Un projet pilote sous l'égide de la Confédération, mis en place à l'aide d'une société française — au détriment d'une start-up genevoise. Pourquoi?
Publié: 14.07.2023 à 06:00 heures
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Dernière mise à jour: 14.07.2023 à 10:07 heures
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Daniella GorbunovaJournaliste Blick

La pollution sonore, c’est bien de la pollution. Un fait de plus en plus admis dans nos contrées: tour à tour, des villes romandes comme Lausanne, Yverdon-les-Bains ou Neuchâtel se sont équipées de radars antibruit «préventifs», ces dernières années.

Genève va plus loin encore: le canton accueille, dès cet été, deux radars antibruit de «contrôle». Un projet pilote sous l’égide de la Confédération. Mais surtout une première en Suisse.

Quelle est la différence avec les radars «préventifs», déjà en place un peu partout? Les nouveaux dispositifs testés au bout du Léman doivent permettre d’identifier, avec précision, les véhicules qui font péter les décibels.

Lancement de la campagne de prévention antibruit routier de la ville de Lausanne, mardi 6 octobre 2020. (Image d'archives)
Photo: keystone-sda.ch

Cependant, un «détail» du projet interpelle. Alors que, d’après nos informations, Yverdon-les-Bains et Lausanne ont toutes deux fait appel à des entreprises de la région pour leurs boîtiers «préventifs», Genève s’est tournée vers l’association française à but non lucratif Bruitparif — alors que leur technologie est encore au stade de «prototype», peut-on lire sur le site web du groupe.

Une start-up genevoise éconduite

Pourtant, une start-up genevoise spécialisée dans le monitoring du bruit et de la biodiversité, Securaxis SA, avait proposé ses services au Conseil d’État genevois. Et ceci, après avoir notamment fourni Yverdon-les-Bains en radars antibruit «préventifs», en collaboration avec le groupe Swisstraffic, comme nous le confirme la police du Nord Vaudois.

Contacté par Blick, le fondateur de la start-up, Lorin Voutat, se souvient: «L’année dernière, nous étions justement en train de développer un nouveau radar antibruit de contrôle, autrement dit répressif, avec le soutien d’Innosuisse.»

La suite? «Il y a eu plusieurs discussions» avec l’État de Genève. Il enchaîne: «Finalement, le gouvernement m’a dit qu’il ne pouvait pas signer pour du matériel qui n’est pas encore complètement à la pointe… Tout n’était pas encore achevé, certes, mais nous avions déjà effectué des tests qui démontraient que ça allait bien fonctionner.»

En février 2023, la start-up fait faillite. Lorin Voutat blâme surtout la guerre en Ukraine: «Depuis, nos clients ont progressivement gelé tous leurs budgets…»

«Pas à la hauteur», la technologie suisse?

Confronté à ces reproches, le ministre du Département du territoire et président du Conseil d’État genevois Antonio Hodgers (les Vert-e-s) confirme avoir parlé radars antibruit avec Lorin Voutat.

Alors, pourquoi ça n’a pas fonctionné? Antonio Hodgers explique: «Nous voulions bien évidemment privilégier une entreprise locale, mais le produit proposé par Securaxis SA n’était malheureusement pas à la hauteur au niveau technique, d’après les experts que nous avons consultés.»

Antonio Hodgers, conseiller d'Etat genevois.
Photo: Keystone

Au sein du Département du territoire, il se murmure toutefois quelques indiscrétions: «L’État a demandé à cette start-up d’améliorer la qualité de son produit, avant qu’une collaboration ne puisse être envisagée, nous glisse-t-on. Cela n’a pas été possible. Par ailleurs, si la société est en liquidation aujourd’hui, cela montre bien que personne ne voulait de ces radars…»

N’y a-t-il pas une autre entreprise locale, plus performante, qui aurait pu fournir ce matériel? Antonio Hodgers botte en touche. Contrairement à nos oreilles indiscrètes: «En France, le marché de ces nouveaux radars de contrôle est fleurissant. Nos voisins ont une longueur d’avance, oui.»

Pas à la hauteur, non.

Le Conseil d’État genevois n’est pas seul à bord pour cette opération. Pourquoi la Confédération, qui pilote, après tout, ce projet-test, s’est-elle tournée vers un fournisseur français? Viola Mauri Martinelli, chargée d’information à l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), rétorque: «Les tests conduits à Genève — financés en partie par la Confédération, et en partie par le Canton — […] répondent à un mandat parlementaire. Le projet pilote vise à consolider l’utilisation de cette nouvelle technologie, qui est différente des panneaux de sensibilisation au bruit utilisés jusqu’à présent.»

Elle complète: «N’ayant sur le marché suisse aucune entreprise qui offre cette technologie, la Confédération a loué un radar antibruit à l’association française à but non lucratif Bruitparif.»

Et Securaxis SA? Berne dit avoir stoppé la collaboration avec la start-up, après lui avoir donné sa chance dès 2021 via un financement Innosuisse, ainsi qu’un autre chèque «accordé pour le développement d’un logiciel de classification de véhicules basé sur l’IA. Cependant, Securaxis SA n’a pas fourni les prestations requises, et le projet a été suspendu à l’annonce de la faillite de l’entreprise».

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