Cœur, flamme et pêche...
Communiquer sans émoji aujourd'hui: mission (presque) impossible

A la fin des années 1990, les pictogrammes voyaient le jour. Au fil des années, ils sont devenus un must dans nos discussions numériques, à tel point qu'en faire fi est presque devenu douteux. Retour sur un phénomène.
Publié: 01.10.2022 à 15:11 heures
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Dernière mise à jour: 03.10.2022 à 12:33 heures
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Valentina San MartinJournaliste Blick

Qu'importe votre métier, votre âge ou votre pays d'origine, vous avez forcément déjà utilisé un émoji, au moins une fois dans votre vie. Du petit cœur au bonhomme jaune qui sourit, en passant par l'aubergine, ils ont tous une signification parfois précise, parfois moins. Ce qui est certain, c'est qu'il paraît aujourd'hui difficile de se passer de ces petits pictogrammes colorés nés à la fin des années 1990 grâce à l'impulsion d'un certain Shigetaka Kurita.

Mais comment l'émoji a-t-il gagné en puissance pour arriver à un point ou personne ou presque ne peut communiquer sans? «C'est une histoire assez complexe», nous explique Aris Xanthos, maître d'enseignement et de recherche en science du langage et de l'information à l'Université de Lausanne (UNIL). «Il y a d'abord eu le smiley imaginé par Harvey Ball dans les années 1960, qui est devenu un symbole iconique dans la publicité, mais aussi dans la culture puisqu'il a notamment représenté la musique électro. L'émoji de base, soit le bonhomme jaune qui sourit, lui ressemble beaucoup, ce qui laisse penser que son créateur s'en est inspiré, peut-être parce que le smiley a une puissance symbolique très forte», note l'expert avant de préciser qu'émoji ne doit pas être confondu avec émoticônes. «Ces derniers datent d'il y a 40 ans et il s'agit de créer un visage à l'aide de parenthèses et autres signes typographiques. Ils ont été inventés pour clarifier certaines ambiguïtés dans des échanges d'e-mail».

Au commencement, il y avait donc smiley, suivi de l'émoticône puis la naissance de l'émoji. «Chaque création s'est sans doute inspirée de la ou des précédentes», note le spécialiste.

Les émojis sont nés à la fin des années 1990.

Partager une émotion

En plus de donner plus de précision à une phrase, l'émoji remplit également d'autres fonctions. «Il permet d'enjoliver un message en y ajoutant une touche esthétique. Il peut aussi marquer la structure des phrases en remplissant le rôle de ponctuation. Bien sûr, il peut aussi être utilisé pour exprimer une émotion», signale Aris Xanthos qui vient tout juste de lancer une collecte de messages whatsapp pour comprendre le fonctionnement des émojis dans les échanges numériques. À noter que souvent, nous n'avons pas vraiment conscience de la raison pour laquelle on emploie les émojis.

Une collecte de messages échangés sur whatsapp en Suisse

Des scientifiques du Pôle de recherche national (PRN) Evolving Language à l’Université de Lausanne viennent tout juste de lancer le projet What’s New, Switzerland. Le but: étudier les émotions exprimées via la messagerie whatsapp. L’étude financée par le Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique cherche à comprendre l'évolution des échanges de la population suisse. Les résultats pourraient permettre le développement d’applications de détection du hate speech et du cyberharcèlement.

Chaque résident en Suisse d’au moins 16 ans peut participer à la recherche en faisant don d’un de ses chats. Bien entendu, l’anonymat est garanti.

Pour offrir l’une de vos conversations, il suffit de vous rendre sur ce lien et respecter la marche à suivre. La récolte se fait jusqu’à fin octobre 2022.

Des scientifiques du Pôle de recherche national (PRN) Evolving Language à l’Université de Lausanne viennent tout juste de lancer le projet What’s New, Switzerland. Le but: étudier les émotions exprimées via la messagerie whatsapp. L’étude financée par le Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique cherche à comprendre l'évolution des échanges de la population suisse. Les résultats pourraient permettre le développement d’applications de détection du hate speech et du cyberharcèlement.

Chaque résident en Suisse d’au moins 16 ans peut participer à la recherche en faisant don d’un de ses chats. Bien entendu, l’anonymat est garanti.

Pour offrir l’une de vos conversations, il suffit de vous rendre sur ce lien et respecter la marche à suivre. La récolte se fait jusqu’à fin octobre 2022.

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Ainsi, à force de voir des pictogrammes dans nos échanges, on peut se sentir gêné en l'absence de ces derniers. Le professeur avance d'ailleurs que l'usage du point en fin de message est parfois perçu comme le signe d'un certain malaise.

L'art de faire le bon choix

Qu'en est-il de ces moments où l'on emploie un émoji qui est mal interprété? «C'est tout le but de ma recherche: comprendre comment on évalue, exprime et perçoit les émotions à travers les émojis», explique le linguiste.

Force est de constater que tout comme le langage, les émojis évoluent aussi au fil du temps. Pour preuve, aujourd'hui, l'émoji qui pleure de rire n'est plus du tout utilisé par les plus jeunes générations, car il est considéré comme étant has been. «À la place, on opte pour une tête de mort. Toutes les générations adoptent de nouveaux codes pour se démarquer des précédentes.» Bien maîtriser le langage émoji est donc primordial au risque de passer pour un vieux ringard.

Mais attention, la manière dont on communique avec les émojis n'est pas qu'une question générationnelle. D'après le spécialiste, les pictogrammes ont quelque chose de très subjectif: «Un cœur peut être interprété comme l'expression d'un sentiment romantique par le récepteur alors qu'il s'agissait peut-être simplement d'une marque d'affection amicale, par exemple.»

Contrairement au simple smiley qui est parvenu à traverser les barrières linguistiques et culturelles, les émojis sont donc plus difficiles à interpréter, notamment à cause de toutes les variantes. «Les émojis ne sont pas univoques et ils laissent parfois place à une certaine ambivalence. Selon moi, ils ne traduisent pas un appauvrissement du langage, bien au contraire. Ils sont la preuve de la complexité de nos échanges.»

Et si on laissait tomber?

Si les pictogrammes amènent parfois davantage d'imprécisions lors d'une discussion, pourquoi ne pas les abandonner? Pour l'expert, il est difficile d'imaginer un monde sans émoji pour la simple et bonne raison qu'ils font désormais intégralement partie de notre quotidien. «Les émojis évoluent avec la société et le répertoire s'est agrandi avec le temps et avec les questions qui ont gagné en importance.» Aujourd'hui, on a le choix entre 3600 émojis pour communiquer. Parmi eux, on retrouve des visages ou des mains avec différentes carnations, un homme enceint ou encore une femme avec un foulard.

«Précisons toutefois que malgré la richesse de l'offre, on utilise principalement un petit nombre d'émojis comme les expressions faciales, surtout positives, des gestes comme les mains jointes ou les pouces levés ainsi que les cœurs. Ces émojis sont aussi souvent proposés lorsqu'on écrit un message, cela joue donc un rôle dans nos interactions.»

Aris Xanthos souligne également que l'humain a toujours eu besoin de communiquer ses émotions à travers l'intonation de la voix ou la gestuelle. Par la force des choses, les émojis ont pris la place de ces expressions non-verbales. Finalement, l'humain est attiré par tout ce qui est visuel. «Dans une société de l'image telle que la nôtre, le succès d'émojis va presque de soi», conclut l'expert.

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