«Drive to survive»
Comment la Formule 1 repart pied au plancher grâce à Netflix

La quatrième saison de «Drive to survive» est sortie le 11 mars sur Netflix. Cette série documentaire sur la Formule 1 avait été créée dans le but de relancer l’intérêt pour le sport automobile. Un pari réussi grâce à une formule redoutablement efficace.
Publié: 12.03.2022 à 19:50 heures
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Dernière mise à jour: 22.04.2022 à 14:56 heures
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Margaux BaralonJournaliste Blick

C’était un soir de mars 2020. Le Covid-19 obligeait tout le monde à rester chez soi et un léger bruissement sur le réseau social Twitter m’avait mise sur la piste: Netflix sortait la saison 2 de «Drive to survive», une série documentaire dans les coulisses de la Formule 1. A priori, il n’y avait là rien pour me plaire. Je ne connais rien au sport automobile. Je suis même assez hostile à l’idée que 22 hommes très riches fassent des tours de piste à fond la caisse quand je passe des heures à fabriquer ma lessive moi-même pour réduire mon empreinte carbone et éviter l’apocalypse climatique. Mais comme il ne faut pas mourir bête, j’ai essayé. Cinq heures plus tard, au beau milieu de la nuit donc, j’étais toujours devant.

Je sais que je ne suis pas la seule à m’être fait avoir. J’ai converti des collègues. Mes amis se sont mis à regarder des courses le dimanche. Et je me suis engueulée avec ma sœur parce qu’elle soutenait le pilote néerlandais Max Verstappen, champion du monde en 2021, quand j’aurais préféré une victoire du Britannique Lewis Hamilton. «Mes enfants ont eu un reporter F1 toute leur vie à la maison, abonde Frédéric Ferret, qui suit ce «sport magnifique» pour le journal «L’Équipe» depuis 18 ans. Mais ça ne fait que deux ans qu’ils me demandent de leur rapporter des casquettes quand je pars sur un Grand Prix.» Et si Netflix rechigne toujours à communiquer ses audiences, chaque nouvelle saison de «Drive to survive» se retrouve rapidement dans le top 10 des programmes les plus regardés.

Un outil marketing très efficace

C’est que, depuis son lancement en 2019, la série s’est imposée comme un redoutable outil marketing, capable de relancer un sport pourtant menacé de désuétude. Pour comprendre, il faut revenir en janvier 2017. À ce moment-là, la société américaine Liberty Media rachète les droits commerciaux de la Formule 1 pour 8 milliards de dollars. C’est la fin de 40 ans de règne du Britannique Bernie Ecclestone, qui ne croit qu’au spectacle en direct et rechigne à se lancer sur Internet. Cette approche un peu vieux jeu n’est pas payante: les audiences sont en chute libre. En 2017, «seulement» 350 millions de téléspectateurs à travers le monde avaient regardé au moins quinze minutes de F1, contre 600 millions en 2006.

La série Netflix «Drive to survive» a été créée dans le but de relancer l'intérêt pour le sport automobile. Pari réussi!

Liberty Media prend alors un virage stratégique serré et fait appel à une société de production, Box to Box Films. Le groupe lui demande un contenu inédit, qui montrerait tout ce qu’on ne voit pas en direct pendant une course. La préparation, les stratégies, les rivalités et la personnalité de ceux qui font la F1, des pilotes aux directeurs d’écurie. Un an plus tard, en 2018, commence le tournage de «Drive to survive».

Dramatiser et vulgariser la F1

Si la série cartonne, y compris auprès d’une audience néophyte, c’est parce qu’elle raconte des histoires avant de raconter un sport. Chaque saison se penche sur l’ensemble de ce qui s’est passé sur le circuit l’année précédente. L’enjeu peut paraître limité: tout le monde sait déjà qui gagne à la fin. Pourtant, en s’appuyant sur des figures charismatiques, en ne gardant que les dépassements spectaculaires et les crashes les plus impressionnants, en filmant des discussions autour de la conception des voitures et des moteurs, les producteurs ont réussi à construire un storytelling prenant. «Cette série a su dramatiser et rendre la F1 compréhensible à un public qui n’avait ni la culture ni la connaissance de ce sport», analyse Frédéric Ferret.

Les chiffres sont parlants. En 2018, la Formule 1 comptait moins de 12 millions d’abonnés à ses comptes sur les réseaux sociaux, notamment Facebook, Twitter, Instagram et YouTube. En 2021, ce chiffre a été multiplié par trois. En tribunes comme sur Internet, Frédéric Ferret «voit le changement»: «Avant, je n’avais que de vieux lecteurs qui m’envoyaient des lettres, maintenant on me contacte sur Twitter et Instagram. Le cœur de cible s’est rajeuni.» L’audience des courses en live est remontée, notamment aux États-Unis. «Il n’y a aucun moyen de quantifier précisément l’apport de la série Netflix dans cette hausse, tempérait l’an dernier John Suchenski, le directeur des programmes de la chaîne ESPN, diffuseur officiel outre-Atlantique. Mais ce n’est que du positif. Un contenu supplémentaire sur la F1 qui touche une audience différente et très large augmente l’intérêt du grand public. Et, j’espère, l’incite à regarder les courses.»

Les professionnels du sport ne s’y sont pas trompés. Ferrari ou Mercedes, qui n’avaient pas participé à la première saison, ont ouvert leurs portes pour les suivantes. «Quasiment chaque fois que vous rencontrez quelqu’un, il vous parle de ‘Drive to survive’», expliquait Zak Brown, PDG de l’écurie McLaren, en conférence de presse l’année dernière après la sortie de la saison 3.

Trop de sensationnalisme?

Cette mécanique bien huilée n’est pourtant pas exempte de critiques. Après trois années de collaboration, Max Verstappen, champion du monde en titre, a refusé de répondre aux questions de Netflix pour la quatrième saison, qui vient de sortir le 11 mars. «Je comprends que ce soit nécessaire pour booster la popularité de ce sport mais, en tant que pilote, je n’aime pas participer», a-t-il expliqué à l’agence AP. En cause: une dramatisation trop poussée et un storytelling qui préfère le sensationnel à la véracité: «La production a inventé quelques rivalités qui n’existent pas.»

Frédéric Ferret confirme: «Tout est très monté, je trouve que cela ne reflète pas réellement ce qu’est ce sport.» Pour lui, d’ailleurs, ce pourrait bien être la limite de «Drive to survive». «Les jeunes qui ont découvert la F1 avec la série se sont mis à suivre les courses, écoutent d’excellents commentateurs et se renseignent sur Internet. Ils vont finir par reprocher à Netflix de simplifier les choses… La plateforme pourrait se faire prendre à son propre jeu.» Stefano Domenicali, désormais président de la F1, l’a d’ailleurs prévenue récemment: les droits ne sont pas acquis. La F1 pourrait augmenter ses tarifs, voire changer de producteur si «Drive to survive» ne lui convenait plus.

En attendant, la quatrième saison qui vient de sortir réutilise sa formule magique, celle qui a largement contribué à mon manque de sommeil à chaque visionnage. Elle était résumée dès le tout premier épisode par l’un des protagonistes de «Drive to Survive», Günther Steiner. «Pourquoi regarde-t-on la F1?, se demandait alors le directeur de l’écurie Haas qui, comme son nom ne l’indique pas du tout, est Italien. Tu veux voir de l’action. Tu veux voir du drame. Tu veux voir l’outsider faire un bon résultat. Tu veux une histoire. Chaque course devrait avoir une histoire. Et cela ne peut pas toujours être la victoire de Mercedes ou Ferrari, parce que cette histoire-là serait vite ennuyeuse.»

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