Rap, humour et politique
Comment «Atlanta» est devenue la série la plus originale de la décennie

Créée par Donald Glover, «Atlanta» suit deux cousins dans le milieu du rap américain. Sous couvert d’humour grinçant, absurde et volontiers surréaliste, la série qui s’achève avec sa quatrième saison tient un propos politique des plus virulents.
Publié: 02.12.2022 à 18:44 heures
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Margaux BaralonJournaliste Blick

«’Twin Peaks’, mais avec des rappeurs.» Voilà comment Donald Glover, acteur, scénariste, mais aussi musicien (sous le nom de scène Childish Gambino) qualifiait la série «Atlanta», dont il est le créateur, avant même la sortie de la première saison, en 2016. Six ans plus tard, «Atlanta» fait ses adieux ce vendredi 2 décembre avec une quatrième et ultime salve de dix épisodes, à voir sur OCS. Et force est de constater que si Donald Glover pouvait paraître un peu prétentieux à vouloir se hisser au niveau de la création culte de David Lynch, il avait aussi le talent pour. Sa série s’est imposée comme l’une des fictions les plus originales, mais aussi les plus engagées de cette décennie.

Le point de départ, c’est Earn (Donald Glover lui-même), jeune père de famille fauché et paumé, qui découvre soudain que son cousin, Al, commence à se faire un nom dans le milieu du rap sous le pseudo Paper Boi. Qu’à cela ne tienne, Earn lui propose d’être son manager et rencontre donc Darius, le meilleur ami d’Al, qui n’a jamais l’air aussi défoncé que lorsqu’il ne l’est pas. Parallèlement, il tente de maintenir à flot sa relation compliquée avec Vanessa, la mère de sa fille. À partir de là, «Atlanta» emprunte à peu près tous les chemins possibles, sauf ceux imaginables. Cette histoire de percée dans la musique rap n’est qu’un prétexte, un fil rouge, pour dérouler des épisodes d’une trentaine de minutes qui sont quasiment tous anthologiques, donc indépendants les uns des autres.

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Un récit politique sans être assommant

Bien sûr, il est ici question de «how to make it in America», comment réussir à vivre le rêve américain. «Atlanta», c’est d’abord une affaire de losers (et il n’y a rien de plus attachant à l’écran que les losers) qui tentent de se sortir de leur trou pourri. Mais il est aussi et surtout question d’être noir en Amérique. La quasi-intégralité du casting l’est, mais c’est aussi le cas, et c’est plus rare, de tous les scénaristes de la série. En résulte une force extraordinaire dans le récit, qui peut se permettre d’être politique sans être assommant, bien au contraire.

Le point de départ de la série «Atlanta», c’est Earn (Donald Glover lui-même), jeune père de famille fauché et paumé, qui découvre soudain que son cousin, Al, commence à se faire un nom dans le milieu du rap sous le pseudo Paper Boi.

L’épisode 2 de la saison 4 est, à ce titre, très parlant. Pendant 30 minutes, on suit parallèlement Earn en consultation chez son psy et une quadragénaire blanche qui quitte son emploi après s’être vu proposer par un éditeur un juteux contrat pour les livres jeunesses qu’elle écrit sur son temps libre. Le premier fait notamment la liste des moments de sa vie où le racisme à son endroit a été si prégnant qu’il n’a plus pu l’ignorer. La seconde mène une existence de toute évidence morose. Evidemment, les deux vont finir par se rejoindre de la façon la plus inattendue qui soit, dans un final férocement drôle. Mais avant cela, le spectateur aura pu jauger des rapports de force d’une société américaine dans son ensemble, par le simple intermédiaire de deux personnages.


Humour absurde et situations surréalistes

«Atlanta» se balade habilement sur la ligne de crête qui sépare l’humour du drame, en sautant volontiers à pieds joints dans le malaise… ou l’absurde. Dans cette saison 4, un épisode entier est consacré à Al qui tente de réparer un vieux tracteur avant de se faire attaquer par un cochon sauvage, tandis que dans un autre, Darius sera poursuivi par une vieille en fauteuil roulant armée d’un couteau qui le soupçonne d’avoir voulu voler une friteuse. Et si cela semble n’avoir aucun sens, c’est normal: «Atlanta» donne volontiers dans le surréalisme, suscitant l’hilarité puis l’effroi en une fraction de seconde.

La série s’est aussi fait connaître pour sa capacité à inventer des épisodes comme des parenthèses, sans aucun lien avec l’histoire principale. Dans la saison 3 par exemple, Donald Glover et ses scénaristes avaient imaginé, le temps d’un épisode, ce qui se passerait si les Afro-américains venaient réclamer réparation aux descendants d’esclavagistes. Dans cette saison 4, l’épisode 8 est un faux documentaire sur l’arrivée à la tête de Disney d’un président noir. À chaque fois, il y a quelque chose de terriblement grinçant dans le propos comme dans la mise en scène, sans qu’on puisse s’empêcher pour autant de rire aux éclats.

Mais «Atlanta» sait aussi, et c’est sa grande force, lier toutes ces situations absurdes à des sentiments terriblement réels. Au fond, ces personnages qui ne cessent d’errer à la recherche du succès sont avant tout en quête de lien, des autres et de la reconnaissance. Cette évidence culmine à la fin de l’épisode 7, avec l’une des plus belles déclarations d’amour jamais vues sur petit écran. «Qu’est-ce qu’il y a, avec Atlanta, qui t’empêche de la quitter?», demande Earn à Vanessa. Il parle de la ville, bien entendu, mais tous les spectateurs accros prendront aussi la question pour la série. Et il y avait beaucoup de choses, belles et cruelles à la fois, qui nous empêchaient de la lâcher.

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