Religion et radicalisation
«Sur ordre de Dieu», la série qui analyse l’Amérique religieuse

Diffusée par Disney+, cette série avec Andrew Garfield raconte une enquête policière au sein d’une communauté mormone de l’Utah et en profite pour explorer tous les maux de l’Amérique contemporaine, déchirée entre sa modernité et son conservatisme.
Publié: 26.07.2022 à 16:59 heures
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Dernière mise à jour: 25.11.2022 à 09:51 heures
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Margaux BaralonJournaliste Blick

Jon Krakauer est décidément une source d’inspiration pour le cinéma et les séries. L’écrivain et journaliste américain a déjà vu plusieurs de ses livres-enquêtes adaptés, notamment par Sean Penn en 2007 avec «Into the Wild». C’est de nouveau le cas avec la série «Sur ordre de Dieu», diffusée sur Disney +. Tirée du livre du même nom publié en 2003, cette dernière revient sur un terrible fait divers, intervenu en 1984. Dans une petite bourgade au fin fond de l’Utah, une jeune femme de 24 ans, Brenda, et son bébé de 15 mois, Erica, ont été sauvagement assassinés. Signe distinctif: la mère et l’enfant appartenaient à la communauté mormone du coin et Brenda venait d’épouser Allen Lafferty, fils d’une famille très influente au sein de l’Église des Saints des Derniers Jours. Dans la série, c’est l’inspecteur Jeb Pyre (Andrew Garfield), lui-même mormon, qui se retrouve chargé de l’enquête. Et il comprend très vite que le meurtrier est probablement quelqu’un de proche, très proche des victimes.

Allen Lafferty lui-même est bien sûr le principal suspect, et ses déclarations en garde à vue sont le point de départ de la série. Car plus encore que la résolution de l’enquête, celle-ci se concentre sur le pourquoi du comment. Et pour expliquer une boucherie pareille au sein d’une communauté ultra-religieuse, il faut forcément revenir aux racines de la foi. «Sur ordre de Dieu» raconte donc simultanément l’investigation de Jeb Pyre en 1984, l’arrivée de Brenda au sein de la famille Lafferty quelques années plus tôt et, de façon plus étonnante, l’épopée de Joseph Smith, fondateur du mormonisme, au XIXe siècle.

Une saga faite de religion et de violence


Si tout n’est pas toujours du meilleur goût (l’histoire de Joseph Smith a des allures de reconstitution bas de gamme par moments), cela permet à la série de prendre une autre ampleur. Au fond, ce n’est pas tant un horrible fait divers dont il est question ici, mais bien de l’Histoire de l’Amérique dans son ensemble. Une saga faite de religion, de violence et d’aspiration à la liberté, triptyque qui explique bien des paradoxes actuels de ce pays si complexe. «Sur ordre de Dieu» s’intéresse au glissement des âmes et des corps prisonniers de leurs croyances. La trajectoire de Joseph Smith, en conflit ouvert avec l’État (il fut persécuté puis arrêté) ressemble à un mythe fondateur qui expliquerait cette méfiance généralisée, encore aujourd’hui, à l’égard d’un gouvernement fédéral liberticide. Agissant selon les préceptes de leur prophète, les Lafferty, si pieux, deviennent peu à peu de virulents militants anti-taxes, estimant que les lois de Dieu sont au-dessus de l’obligation de payer ses amendes pour excès de vitesse. Et la frontière se révèle très mince entre ces entorses à la législation et d’autres actes bien plus graves.

Daisy Edgar-Jones incarne Brenda Lafferty, jeune femme de 24 ans sauvagement assassinée.
Photo: Michelle Faye
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Sans surprise, ce sont les femmes qui font d’abord les frais de cette radicalisation. La série s’intéresse longuement à Brenda, mormone mais issue d’une famille plus libérale, qui rêve de conjuguer famille et carrière avant de se heurter à la rigidité des Lafferty. Mais ses belles-sœurs, toutes sous la coupe de leur conjoint et complètement abandonnées par leur Église, apparaissent comme autant de manifestations différentes de cette misogynie tenace. L’adjoint de Jeb Pyre, Bill Taba, donne à voir une autre facette de cette Amérique torturée, qui semble ne jamais pouvoir faire la paix avec son histoire. Très cartésien et vigoureusement athée, il est aussi d’origine amérindienne Paiute et, comme il le rappelle avec malice, la seule personne de la ville à ne pas avoir la peau bien blanche.

Une réflexion sur la foi

«Sur ordre de Dieu» se préserve de tout manichéisme grâce à Jeb Pyre et ses questionnements incessants, cette affaire venant lui renvoyer en pleine figure son propre mode de vie. Lui qui participe à rendre la justice des hommes ne devrait-il pas placer celle de Dieu au-dessus de tout? Si les pratiques des Lafferty le rebutent, est-il pour autant certain de considérer sa propre femme comme son égale? Paradoxalement, ce sont bien ces doutes qui immunisent l’enquêteur. Ce que nous dit la série, c’est que la religion sort moins affaiblie par les questions que se posent ses adeptes que par leur refus absolu de s’en poser, glissant alors inéluctablement vers le repli et l’intolérance.


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