Hypersexualité
Elles font l’amour cinq fois par jour, et alors?

Nymphomane, obsédée sexuelle, les termes qui qualifient l’hypersexualité féminine ont souvent une connotation négative. Pourtant, les 3% des femmes concernées ne sont pas malades et ne souffrent pas forcément de cet appétit sexuel supérieur à la moyenne.
Publié: 08.01.2022 à 16:00 heures
Alessia Barbezat

Julia, 29 ans, fait généralement l’amour cinq fois par jour avec sa partenaire. «Le télétravail a grandement facilité ma vie sexuelle, se réjouit la Genevoise. Pour certains, les journées sont rythmées par les heures de repas, les miennes le sont dorénavant par les pauses sexe!» Julia n’est pas la seule à aimer le sexe, beaucoup, passionnément, à la folie.

Les hypersexuelles représentent 3% de la population selon une étude publiée en 2014 dans le Journal of sexual Medicine. Un pourcentage qui rejoint celui avancé en 2010 par la Pr Florence Thibault, chercheuse à l’Institut national français de la santé et de la recherche médicale (Inserm) qui estime que 3 à 6% de la population sexuellement active (hommes et femmes) peut être qualifiée d’hypersexuelle.

Une proportion observée également par le Pr Francesco Bianchi-Demicheli, responsable de l’unité de médecine sexuelle et de sexologie des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG), qui nuance cependant: «Parmi la flopée de termes dévalorisants (nymphomane, obsédée sexuelle, sex addict) qui qualifient un appétit sexuel et une activité supérieure à la moyenne, celui d’hypersexuelle est le moins stigmatisant, mais sa définition repose sur des critères flous. Derrière ce mot, il y a une pathologisation de tout ce qui est un excès de sexualité, mais qu’est-ce que c’est l’excès de la sexualité? C’est là toute la question.»

Hypersexualité, une définition floue

Les psychiatres se sont écharpés sur cette pathologisation jusqu’à l’écarter en 2013 de la Bible de la psychiatrie américaine, le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM-5). Quels sont alors les critères sur lesquels se fonde la définition de l’hypersexualité? Une fréquence soutenue des rapports sexuels? «Absolument pas. Il n’y a pas de norme. Si une personne fait cinq fois l’amour par jour avec son ou sa partenaire dans le respect et le consentement mutuels, où est le problème?», répond la sexothérapeute lausannoise Fiona Bourdon. Le nombre de pensées sexuelles par jour? «C’est difficilement mesurable, répond le Pr Bianchi-Demicheli, même si des chercheurs s’y sont essayés, car nous ne sommes pas en présence de données objectives.» La typologie du rapport sexuel? Encore raté. «Ce qui est atypique pour certains est très courant pour d’autres. Certains cherchent le plaisir dans le BDSM, d’autres ne comprennent absolument pas cette pratique.»

Quand peut-on parler d’addiction sexuelle? «Je retiens trois critères, énumère le professeur genevois. Le premier est quand la sexualité devient la priorité absolue et altère le comportement c’est-à-dire des difficultés marquées au travail, ne plus s’alimenter, ne plus avoir de loisirs ou de relations sociales. La deuxième, c’est la prise de risque et la mise en danger. On s’expose ou on expose les autres à des dangers en multipliant les rapports non protégés par exemple. Enfin la perte de contrôle sur l’activité sexuelle.» Pour la sexothérapeute Fiona Bourdon, la souffrance occasionnée par un comportement doit également être évaluée. «Si une personne a envie d’avoir des relations sexuelles à son travail, qu’elle s’enferme dans les toilettes pour regarder du porno, se pose bien évidemment la question de l’addiction et on travaille alors avec des confrères pour poser un diagnostic et traiter le cas échéant l’addiction mais c’est un tout autre parcours.»

Julia se considère-t-elle hypersexuelle? «Non, je n’ai jamais réfléchi en ces termes. J’aime le sexe et je l’assume complètement. Il occupe une place centrale dans ma vie et dans mes pensées mais je sais aussi m’adapter aux envies de ma partenaire. Si celle-ci connaît une baisse de libido, je l’accepte. Il faut dire que j’ai de la chance, mes compagnes ont toujours été sur la même longueur d’onde. Bon, ce n’est peut-être pas un hasard», admet la Genevoise. Et lors des périodes de célibat? Elle confesse: «Je vais multiplier les plans d’un soir ou les plans culs réguliers. Les applications de rencontre sont mes meilleures alliées. C’est aussi l’occasion de tester de nouvelles pratiques sexuelles à deux ou à plusieurs mais il peut aussi se passer deux semaines sans que je ne voie personne. Le sexe occupe une grande partie de mon espace mental, mais cela reste gérable.»

À l’image de Julia, la plupart des hypersexuelles vivent une sexualité épanouie, comme le confirme le Pr Bianchi-Demicheli: «La majorité ne vient pas consulter et partage sa vie avec des personnes qui partagent les mêmes envies. Certaines peuvent atteindre une dizaine d’orgasmes par jour, sans que cela relève de la pathologie. Elles ont toujours fonctionné ainsi. Souvent, on a tendance à associer cette forte propension à la sexualité à un abus sexuel vécu durant l’enfance. C’est faux, la prévalence est la même que dans la population générale.»


Norme sociale

On l’aura compris, la question de l’hypersexualité relève davantage de la norme sociale que d’une réalité physiologique, une norme qui varie selon les époques et les sociétés.

À la Renaissance, Etat et Eglise œuvrent de concert pour réprimer toute sexualité non-reproductive, comme l’homosexualité ou l’onanisme, et ne lésinent pas sur les termes: «abomination», «compulsion», «perversion»… En 1771, le médecin français De Bienville lâchera même l’expression de «fureur utérine» dans son ouvrage «Nymphomanie ou Traité de la fureur utérine». Et aujourd’hui? «Il faut bien comprendre que le désir et ses manifestations n’ont pas évolué à travers les époques, dit le Pr Bianchi-Demicheli. Ce qui change? Ce sont les réactions sociales vis-à-vis de l’expression de ce désir. Le philosophe français Michel Foucault l’avait très bien compris lorsqu’il avançait que ce qui est accepté comme une sexualité normale et saine n’est pas déterminé par la nature mais par les changements de valeurs et les normes dans une société donnée à un moment donné.»

Suis-je normal(e)? Mes fantasmes sont-ils normaux? Est-ce que je fais trop l’amour? Ou au contraire, pas assez? Des préoccupations qui reviennent sans cesse dans le cabinet de la sexothérapeute Fiona Bourdon. «Il n’y a pas de 'bonnes' ou de 'mauvaises' sexualités. En revanche, sans verser dans une vision binaire de la société, on peut imaginer que lorsqu’on parle d’hypersexualité, celle-ci sera plus valorisée pour les personnes socialisées hommes – avec tous les clichés que cela suppose de virilité et de performance – alors que pour les personnes socialisées femmes, un fort appétit sexuel et une libération du corps sont souvent stigmatisés et dévalorisés.» Un avis partagé par le Pr. Bianchi-Demicheli: «L’expression d’une sexualité différente interpelle et certains s’empressent de vouloir la soigner et ce, même sans aucune psychopathologie sous-jacente. Chez l’homme, notre société considère l’hypersexualité plus acceptable. Alors que pour les femmes sont stigmatisées lorsqu’elles font preuve d’un appétit sexuel intense et d’une propension au jeu sexuel. La terminologie actuelle en est la preuve. Tout le monde sait ce qu’est une nymphomane mais lorsqu’on parle de satyriasis, il n’y a plus personne…»


(En collaboration avec Large Network)

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