Lydia Lunch aux Créatives
«Attraper les testicules d'un mec qui touche mon cul, c'est ça le féminisme!»

Education de petites filles, folie politique aux Etats-Unis et argent dans l'industrie musicale, l'artiste Lydia Lunch n'y va pas avec le dos de la cuillère au moment de se confier à Blick. Interview avec une punk qui a tout sauf la langue dans sa poche.
Publié: 02.03.2023 à 18:12 heures
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Dernière mise à jour: 07.03.2023 à 17:09 heures
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Valentina San MartinJournaliste Blick

Cet article est republié à l’occasion de la journée des droits de la femme du 8 mars.

C'est quelques heures avant l'une de ses performances aux Créatives, festival féministe genevois, que je rencontre Lydia Lunch. La chanteuse, poétesse et écrivaine américaine m'accueille dans un petit appartement au centre de la cité de Calvin. Posées dans la cuisine, on discute de son enfance, de politique américaine et même de féminisme, le tout entre quelques clopes et un petit coup de blanc.

Vous êtes connue pour être une artiste punk rock. Qu’est-ce que cela signifie pour vous?
Lydia Lunch: Le truc, c’est que je ne fais pas de musique punk rock. Après, c’est vrai qu’en termes d’attitude, je peux être assez punk.

Une attitude punk. C’est-à-dire?
Je suis rebelle. Je pense que toutes les femmes devraient être comme ça.

Pourquoi ça?
Parce qu’on fait partie des citoyens de seconde classe. Parce que dans la grande majorité des cas, ce sont des hommes qui dirigent et ruinent notre monde. Certes, pas tous les hommes sont des trous du cul, mais la plupart des trous du cul sont des hommes, et dans des positions de pouvoir… Il est là le problème. Ça fait des décennies que j’en parle. Aujourd’hui, je pourrais dire les mêmes putains de choses que je disais déjà au moment où Ronald Reagan était président des Etats-Unis.

Comment faites-vous pour entretenir cette flamme punk en vous?
Tout ce que j’ai à faire, c’est me lever le matin, ouvrir les yeux et lire un putain de journal. L'art, c’est la meilleure manière que j'ai trouvé pour exprimer tout ça. Dans ma vie privée par contre, je suis relativement posée. Je ne rage pas pour des choses futiles comme ceux qui conduisent, par exemple. De toute façon, je ne conduis pas. Ce que je veux dire, c’est que je n’ai pas de petites frustrations, mais des grandes colères. Dans ma vie de tous les jours, il est difficile de réussir à m’énerver. J’imagine que les gens ne s’attendent pas forcément à ça de ma part. Au contraire, on pourrait croire que je m’enflamme rapidement, alors que pas du tout. Les problèmes que je dénonce sont plus importants que les petites brouilles de la vie.

Et sur scène alors?
Eh bien je suis obligée d’être rebelle et déraisonnable sur scène. Qui d’autre l’est à part moi? Vous pouvez m’en citer des artistes comme ça?

Euh... non.
Ben voilà! C’est bien parce qu’il n’y en a pas beaucoup. Quand je parle de politique par exemple, j’y vais à fond. D’autant plus que je suis antiaméricaine et que je vis dans un système hypocrite fondé sur des mensonges. D’ailleurs, en parlant de mensonges, ils n'ont jamais autant circulé que lorsque l’autre guignol orange était au pouvoir. C’en était presque hilarant de voir quelqu’un qui n’arrivait pas à dire la vérité.

Vous étiez donc encore plus révoltée sous l’ère Trump?
Oui, beaucoup plus. Si tant est que cela soit possible. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’a jamais réussi à me faire taire. J’ai même fait un clip contre lui: «Dump Trump».

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L’art est donc une forme d’activisme pour vous?
Je suis là pour ceux qui partagent les mêmes idées que moi ou qui ont besoin d’entendre ce que j’ai à dire. Je ne vais pas à des manifestations, même si je suis contente de voir que certains le font. Moi, ce que je tente de faire, c’est inspirer les autres, surtout les femmes.

Vous êtes féministe?
C’est un terme trop générique pour moi. Je parle de la condition humaine, le tout d'un point de vue féminin. Et puis, être féministe ça veut dire quoi? Etre comme Andrea Dworkin? Madonna? Aucune des deux, merci.

Quel conseil donneriez-vous aux jeunes femmes aujourd’hui?
Devenez scientifiques, architectes, médecins ou psychologues. Tout sauf musiciennes ou artistes parce que c’est brutal. Créez de plus beaux bâtiments ou de meilleurs médicaments, on n’a pas vraiment besoin de plus de créations artistiques, il y en a déjà tellement. Il nous faut des choses qui ont un impact concret dans la société.

Je ne suis pas d’accord. L’art et la musique ont une influence sur la société.
Ouais, dans une certaine mesure. Mais beaucoup de musiques n’ont strictement aucun impact à part brasser de l’argent…

Vous regrettez d’être une artiste alors?
Non, bien sûr que non. Je me vois comme une linguiste ou une thérapeute. Appelez-moi donc Docteur Lunch, si ça ne vous dérange pas…

Dans le documentaire «The War is Never Over», on apprend que vous avez été victime d’inceste étant enfant. J’imagine que cela a forgé l’artiste que vous êtes.
Oui. Heureusement, je ne suis pas anxieuse ou dépressive et je pense que c’est parce que j’ai vécu ces choses très tôt dans ma vie. J’ai pris ma rage pour la mettre sur scène. Ça a été une sorte de psychothérapie via le public. Mais les traumatismes, c’est quelque chose de très complexe. On peut tenter de vivre avec, s’autoanalyser et l’accepter. Mais parfois, ça remonte à la surface. Il faut être conscient de ça pour aller de l’avant.

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Vos traumatismes d’enfance ne vous ont donc pas consumée?
Non, car j’ai vite compris que ça n’arrivait pas qu’à moi. Souvent les personnes qui vivent des choses difficiles pensent être les seules. Réaliser qu’on n’est pas seul, qu’il y a des problématiques encore plus grandes et en parler très tôt, ça m'a permis de ne pas sombrer.

Le mouvement #MeToo a-t-il eu un impact sur vos œuvres?
J’ai été l’une des premières à oser parler publiquement d’abus sexuel. C’était dans les années 1980. Mais je pense que les femmes doivent apprendre à être plus fortes, elles doivent apprendre à se protéger physiquement, verbalement, psychologiquement. Si quelqu’un me met une main aux fesses, je lui attrape les testicules. C’est ça pour moi, le féminisme. Je ne vais pas contacter la presse parce qu’on a attrapé mon cul. Si je devais m’afficher, ce serait parce que j’aurais dégommé la personne qui a infligé ça à une autre femme.

La réponse se trouve dans la violence selon vous?
Je ne pense pas que la violence arrange tout. Mais parfois, il faut attaquer et pas seulement verbalement. Les mères doivent apprendre à leurs filles à crier lorsqu’elles n’apprécient pas quelque chose ou oser frapper les couilles de ceux qui les emmerdent. Vous savez à quel point c’est facile de mettre un mec K.O.

Pas vraiment...
C'est simple, avec une pichenette sur les boules. S’il vous plaît! Les mères doivent apprendre à leurs filles qu’elles n’ont pas à supporter certaines choses et qu’elles n’ont pas à attendre 20 ans pour dénoncer une injustice. Franchement, la société dans laquelle nous vivons ne pourrait jamais changer. Il y aura toujours des hommes stupides, des pervers qui vont s’en prendre à vous. Il faut arrêter de se victimiser. Attention, je n’ai rien contre les victimes. Mais il faut dire stop avant que le problème ne devienne trop grand. Arrêtons de crier au scandale mais crions à la gueule des bourreaux. Entre nous, ça fait du bien. Alors, oui, c’est important de discuter, de parler, de dénoncer. Mais c’est encore plus important de ne pas se laisser faire dès le début. Vous pensez que quelqu’un oserait abuser de moi maintenant? Ça n’est plus jamais arrivé depuis mon enfance! Je regrette que ma mère ne m’ait pas appris ça. C’est la raison pour laquelle je dis aux gens d’éduquer leurs filles à se défendre et d’apprendre à leurs fils qu’être sensibles, c’est ok!

Vous avez toujours été aussi radicale?
Aussi longtemps que je m’en souvienne, oui. J’ai cette rébellion dans le sang et je suis contente d’être une femme avec un caractère comme ça. Parce que si j’avais été un mec déraisonnable, agressif et révolté, ça n’aurait pas été très joli si vous voyez ce que je veux dire…

Je crois, oui. Mais votre point de vue m’intéresse.
Eh bien c’est intéressant de constater que les merdes les plus violentes qu’on entend, viennent de la bouche des trous du cul républicains de droite, amateurs de théories conspirationnistes. A titre personnel, je me dois donc de rééquilibrer la balance. Et pour arriver à mes fins, j’aime utiliser le langage et la rage de l’ennemi.

Contrairement à votre personnalité, la Suisse n'est pas du tout dans l'extrême. Le pays n'est-il pas un peu ennuyeux pour vous?
Je pense qu’il y a des gens géniaux un peu partout dans le monde. Personnellement, je déteste rester à un endroit trop longtemps. Et si vous pensez que New York n’est pas ennuyeuse, ça fait longtemps que vous n’y êtes pas allée (rires). Ce qui compte, ce sont les gens, pas l’endroit.

Si vous détestez rester à un seul endroit trop longtemps, j’imagine que la période Covid et ses confinements n’ont pas été faciles à vivre?
Si, parce que j’avais fait une tournée les deux années qui précédaient et je n’avais rien de prévu. J’ai travaillé sur mon podcast «The Lydian Spin» ainsi que sur un documentaire. J’ai également terminé deux albums. Je venais de déménager dans un très joli appartement à Brooklyn, dans la partie la moins touchée par le virus. Quant à mes amis, ils étaient tous en bonne santé. Franchement, c’est plutôt bien tombé niveau planning pour moi.

En parlant de podcast, de documentaire et d’album, vous êtes tout le temps active...
Croyez-moi, on dirait que je suis hyperactive mais j’adore rester couchée, flâner, bingewatcher des séries sur les serial killers. Bref, ne rien faire. Je ne panique pas si je n’ai pas de projets sur le feu. En parlant de projet, il va falloir que je vous laisse, j'ai rendez-vous pour des tests vocaux avant ma performance.

Festival Les Créatives, 17e édition: 16 au 28 novembre.

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