Réseaux sociaux
Comment OnlyFans est devenu la vache à lait des entrepreneurs du sexe

Le réseau social OnlyFans fonctionne comme Instagram à quelques détails près: il faut payer pour suivre certains profils et obtenir des images «exclusives». Très lucratif, le succès de ce site est en partie dû à ses contenus explicites.
Publié: 28.05.2021 à 18:34 heures
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Dernière mise à jour: 04.01.2023 à 22:58 heures
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Valentina San MartinJournaliste Blick

«Cachez ce téton féminin que je ne saurais voir», telle pourrait être la devise d’Instagram ou de Facebook pour qui la nudité n’est tout bonnement pas une option. Mais entre les réseaux qui jouent les saintes-nitouches et les sites X qui flirtent souvent avec le fallacieux, il existe un bon compromis: OnlyFans, aussi surnommé «l'Instagram du porno». Des célébrités comme Cardi-B à la girl next door, n’importe qui peut s’afficher à poil (ou presque) sur la plateforme. Ce qui est sûr, c’est qu’OnlyFans n’a rien de banal. Car parmi les profs de fitness et amateurs de cuisine, on trouve surtout des quidams qui proposent des contenus à caractère sexuel. Seulement, rares sont ceux qui sont accessibles gratuitement. Et oui, pour avoir accès aux contenus «exclusifs» d’anonymes, d'influenceurs ou de célébrités et ainsi devenir ce qu’on appelle un «fan», il faut payer.

Deux fondateurs de sites de camgirls

OnlyFans a été mis sur pied en 2016 au Royaume-Uni par l’entrepreneur Tim Stokely. A noter que le businessman est aussi le fondateur de Customs4you, un site créé en 2013 puis revendu en 2019, où les utilisateurs pouvaient payer des stars du X pour leur envoyer des vidéos personnalisées. En 2018, un certain Leonid Radvinsky acquiert 75% de la société mère d'OnlyFans: Fenix International. L’homme d’affaires est notamment derrière MyFreeCams, un site qui héberge des contenus pornographiques amateurs tournés à la webcam. Ce rachat propulse OnlyFans sur le devant de la scène. En plus des pornstars et autres camgirls, la plateforme va attirer des influenceurs lassés de la politique de censure menée par Instagram et Facebook.

Le boom pendant la crise sanitaire

Pendant la pandémie, le site est passé de 20 millions à 210 millions d’inscrits. «La plateforme a en effet connu une croissance incroyable au cours des derniers mois, avec une augmentation de 75%. On décompte 200'000 nouveaux utilisateurs par jour», nous précise OnlyFans dans un courriel. Quant à la proportion d’hommes et de femmes, le réseau certifie ne pas tenir un registre chiffré. OnlyFans ne donnant pas de statistique, divers médias se sont livrés à un recensement. Selon plusieurs sources, les créateurs de contenu seraient à 96% des femmes et les abonnés à 97% des hommes. Conclusion: elles produisent, ils consomment.

Tim Stokely, créateur britannique d'OnlyFans.

Témoins de l’incroyable essor de la plateforme, les créatrices de contenu que nous avons interrogées se sont toutes créées un compte pendant la pandémie. «J’avais du temps à perdre pendant le lockdown et j’avais envie de le mettre à profit, histoire de gagner un peu d’argent», explique Linda, 26 ans, plus connue sous le pseudonyme de Ravenchild. Quant aux fans, la raison qui les pousserait à s’inscrire et payer un abonnement est sans doute la solitude et l’envie de tisser des liens, de partager une intimité. Par ailleurs, la prostitution n'est pas toujours très loin, puisque certaines des femmes présentes sur le réseau tournent et publient parfois des vidéos avec des fans qui se retrouvent de facto dans un étrange paradoxe: payer pour se voir eux-mêmes faire des galipettes… Certaines créatrices de contenu avouent également avoir déjà été approchées pour faire du porno.

Avec OnlyFans, on est loin de la production en masse, neutre et standardisée, susceptible de plaire à tout le monde et surtout à n’importe qui. Au contraire, on bascule dans un monde où l’on produit des contenus personnalisés et originaux, le tout de manière indépendante. On est bien loin du porno déshumanisé et géré par de grosses sociétés. Sur OnlyFans, le consommateur est chouchouté, privilégié.

Faire de l’argent sur OnlyFans: mode d’emploi

Ce privilège a toutefois un prix. Le tarif d’un abonnement varie entre 4$99 et 49$99 par mois. Afin de déterminer le revenu d’un créateur, on peut donc se baser sur le prix d’un abonnement par mois. Un abonnement cher apportera moins d'abonnés tandis qu’un abo bon marché attirera plus d'abonnés. En plus du prix de l'abonnement, les créateurs peuvent également proposer des images exclusives à partir de 5$. Sans oublier les pourboires qui sont «very appreciated» (très appréciés), comme le précisent souvent les créateurs.

A côté de cela, OnlyFans a également mis en place un système échelonné en pourcentage qui classe les créateurs selon leur audience. D’après les chiffres transmis par OnlyFans, il y aurait 120 millions d’utilisateurs enregistrés et surtout, plus d’un million de créateurs de contenu sur la plateforme. Ainsi, le classement en pourcentage d’un créateur est directement lié à sa performance par rapport aux autres. Plus on se trouve haut dans le classement, plus le pourcentage est petit et plus on gagne de l’argent. Par exemple, si un profil est classé dans le top 1% des créateurs d'OnlyFans, cela signifie qu'il gagne plus d'argent que les 99% restants, soit plus de 10'000$ par mois. Être dans le top 10% peut rapporter quelque 1'000$ par mois. Quant aux plus riches, classés dans le top 0,1%, ils gagnent entre 50’000 et 100'000$ mensuels.

Mais alors, comment être rentable ou mieux: atteindre le haut du classement lorsqu'on est un simple inconnu? Toutes les femmes interrogées expliquent que la communauté des créateurs de contenu est très solidaire. Il existe des groupes de parole sur WhatsApp ou sur Telegram pour les personnes qui voudraient se la jouer plus discret. On peut y partager ses expériences, mais également demander de l'aide pour booster sa cote de popularité. Sur la plateforme, nombreuses sont celles qui se font de la pub entre elles, histoire d'amasser toujours plus de fans.

Mais malgré tous ces efforts, OnlyFans prend aussi sa part du gâteau. La plateforme prélève 20% de commission sur les revenus perçus. «C’est beaucoup moins que les autres plateformes», note toutefois Linda, aka Ravenchild.

Leak et droit à l’image

Le 27 février 2020, des liens vers des dépôts de plusieurs téraoctets (entre 1,5 et 4) de données ont fuité sur les réseaux sociaux et les forums. Les fichiers contenaient des milliers de contenus publiés depuis 2016 sur la plateforme OnlyFans. Le leak a touché près d’une centaine de créateurs de contenu.

Contacté par divers médias américains dont Motherboard, OnlyFans explique qu’il s’agissait d’une faille de sécurité sur ses serveurs. «Nous avons enquêté sur la piste d’un hack de grande ampleur contre notre site et nous n’avons trouvé aucune preuve de fuite de données sur nos systèmes. Le contenu de cette prétendue «fuite» a été récupéré depuis plusieurs sources, y compris depuis d’autres applications.» Les données leakées sont donc issues d’un ensemble de multiples vols opérés par différents moyens.

Toutefois, lorsqu’on confronte OnlyFans au terme de «fuite», la plateforme débite des stères de langue de bois: «En ce qui concerne les fuites de contenu, OnlyFans dispose d'une équipe anti-piratage qui se base sur Digital Millennium Copyright Act (DMCA), ainsi que d’un service pour assister les utilisateurs. La plateforme est donc fermement engagée dans le combat pour la protection du contenu des utilisateurs.» De leur côté, les créatrices interrogées avouent ne pas se sentir totalement soutenues par la plateforme en cas de leak. Entre le fait de trouver les bons services à contacter, le temps de réaction et la prise de mesures, difficile selon elles d’obtenir justice en cas de problème.

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