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Sur OnlyFans, de l’érotisme soft à la pornographie

Sur le réseau social OnlyFans, certaines personnes proposent des contenus explicites. L'offre est variée. Nous sommes allés à la rencontre de quatre jeunes femmes qui expliquent leur démarche.
Publié: 28.05.2021 à 18:36 heures
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Dernière mise à jour: 15.06.2021 à 14:53 heures
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Valentina San MartinJournaliste Blick

Durant toute la pandémie, Linda, 26 ans, s’est aussi mise à travailler à domicile. C’est de bon matin, dans son appartement dans la région zurichoise, que la jeune femme se lève et commence par se préparer un thé. Réveil en douceur. En sirotant son Earl Grey, elle dégaine son ordinateur pour checker l’état de son compte OnlyFans. Le début de journée est réservé aux interactions avec les hommes qui la suivent: celle qui se fait aussi appeler Ravenchild sur le réseau répond aux commentaires, ainsi qu’à la bonne trentaine de messages envoyés durant la nuit. Elle vérifie aussi si elle a de nouveaux abonnés. Lorsqu’elle n’a pas de shooting prévu, elle réserve son après-midi à la partie éditoriale. Elle parcourt ses clichés et fixe un jour de publication. Si d’autres personnes lui ont écrit, elle prend le temps de leur répondre et d’accompagner le tout d’une photo.

«Un fan m’a déjà demandé un remboursement car mon contenu n’était pas assez porno»

C’est dans la soirée que les choses sérieuses commencent. Munie d’un smartphone, Linda s’enferme dans sa chambre et enclenche le timer. Elle se place sur son lit et pose. Parfois couchée, parfois debout ou encore à genoux, elle se positionne au gré de son inspiration. Pas de règle, de code ou de mode d’emploi. Juste du fun et du plaisir. Quant aux vêtements, elle se contente d’un string, de bas noirs et d’un porte-jarretelles qu’elle considère comme des valeurs sûres. Mais comme Linda n’est pas frileuse, elle se met nue la plupart du temps. La séance photo perso peut durer des heures, jusqu’à ce qu’elle décide de se mettre au lit. Attention, la jeune femme ne tombe jamais dans les bras de Morphée sans avoir discuté un dernière fois avec ses fans. Quelques «Bonne nuit chéri» par-ci et «Fais de beaux rêves bébé» par-là et c’est dans la poche. Elle recommencera ce rituel une seconde fois dans la semaine, c’est tout.

Un fan averti en vaut deux

Linda s’est inscrite en août 2020 sur OnlyFans. Un abonnement à son profil coûte 4$94 mensuels. Elle y partage surtout des clichés d’elle nue ou en lingerie, le tout shooté soit par des professionnels la plupart du temps ou alors seule en mode selfie. Puisqu’un fan averti en vaut deux, Linda se montre catégorique dès le départ. Sa bio stipule «No porn content - but high quality nude art and bondage» (Pas de contenu pornographique mais des nus de qualité et du bondage). Mais est-ce suffisant? Apparemment pas. «Certains fans m’en demandent parfois plus, explique-t-elle. Il est déjà arrivé qu’un fan me demande un remboursement car mes photos n’étaient pas suffisamment pornographiques.» A-t-elle accédé à sa demande? «Non! Je précise que je ne fais pas de porno sur mon profil. S’il ne sait pas lire, ce n’est pas mon problème.»

Linda alias Ravenchild s'est inscrite en août 2020 sur OnlyFans.
Photo: Byrd Thanaphonlasap Photography

Linda le sait, elle gagnerait sans doute plus d’argent si elle proposait un contenu encore plus explicite. Toutefois, cela n’a jamais été une éventualité. «Avec mon copain, nous nous sommes mis d’accord, reprend-elle. Je m’arrête aux contenus dénudés, c’est tout. Cela fait maintenant 10 ans que je pose comme modèle nu semi-professionnel, c’est ce que je sais faire et ça s’arrête là. Je ne propose pas de sexting ou de vidéo customisée pour le client. C’est à prendre ou à laisser».

Ce que Linda aime par-dessus tout, c’est interagir avec ses fans qui la considèrent presque comme une copine. «En fait, c’est surtout à travers ces interactions privilégiées que je gagne de l’argent». Elle met son quotidien en scène et invite le fan à y participer. «Dernièrement, j’ai expliqué que je partais en vacances et que j’étais à la recherche d’un maillot de bain, raconte-t-elle. J’ai demandé à mes fans s’ils étaient d’accord de m’envoyer de quoi me payer un joli bikini. En échange, je leur envoie une photo de moi avec et leur demande leur avis».

Mais alors, combien cela rapporte-t-il de jouer la bonne copine coquine? Linda refuse de dévoiler ses revenus mensuels. Elle précise toutefois qu’elle touche une somme décente et qu’elle fait partie du top 3.2%. «En guise de fourchette, dites-vous que si on est dans le top 10%, on fait environ 1'000 dollars par mois. Lorsqu’on atteint de top 1, ça peut aller jusqu’à 10’000».

«J’ai fait de la chirurgie, j’ai investi sur mon corps donc autant le rentabiliser!»

Si certaines proposent des contenus esthétiques et ont une longue expérience dans le modelling, d’autres sont amatrices à 100%. C’est le cas de Mia* qui a souhaité préserver son anonymat. Pour un peu plus de 8$ par mois, cette employée de commerce de 24 ans propose des photos de charme qu’elle prend généralement elle-même. Ouvertement féministe et milliante sur les réseaux, Mia a une vision libérée de la nudité. La jeune romande avoue toutefois avoir longtemps complexé sur son physique. Mais ça, c’était avant la chirurgie. Mia a eu recours plusieurs opérations pour enfin réussir à se sentir belle et à s’accepter: une augmentation mammaire, diverses liposuccions du ventre, des poignées d’amour et de la culotte de cheval sans oublier quelques injections dans les lèvres, sur le contours du visage ou encore dans les pommettes.

Aujourd’hui, elle se trouve jolie et revendique le droit de se montrer: «J’aime ce corps sur lequel j’ai investi. Autant le rentabiliser!» Un retour sur investissement qui s’élève à 650 dollars entre mars et avril 2021. De quoi mettre du beurre dans les épinards, certes, mais rien à voir avec les montants qu’elle a pu générer auparavant.

Deal avec son partenaire

Inscrite au début de la pandémie, elle a tout d’abord commencé par du contenu soft avant de se mettre en couple et de proposer un deal à son partenaire qui n’aimait pas vraiment l’idée que Mia s’affiche sur OnlyFans. «Je lui ai proposé de faire du contenu à deux et de partager l’argent gagné», confie-t-elle. Durant six mois, Mia crée des vidéos et des photos pornographiques avec son chéri. Ensemble, ils amassent quelque 10'000 dollars.

Peu après la rupture, un groupe d’inconnus la contacte et menace de leaker le contenu de sa page OnlyFans: «Tout est parti d’une embrouille sur Instagram. Une bande de fachos valaisans n’ont pas aimé que je les envoie balader en story. Ils m’ont donné 24 heures pour m’excuser publiquement. En deux heures, tout mon contenu sur OnlyFans a été supprimé. J’ai voulu me protéger et surtout protéger mon ex qui n’avait rien à voir avec ces histoires».

Depuis mars 2021, Mia est à nouveau active sur son compte. Quant à savoir si elle a peur que ce genre de mésaventures se reproduise, sa réponse est limpide: «Maintenant, je ne fais que du soft. Donc au pire, on me verra en sous-vêtements. Ça ne me dérange pas, j’assume». Mais dans sa bio, Mia assure ses arrières et précise: «Ce contenu ne doit pas être partagé. Le non-respect de cette règle entraînera des poursuites judiciaires.»

Toutefois, cette mise en garde n’a qu’une valeur limitée. Comme l’explique Nicolas Capt, avocat spécialiste en droit des médias et des technologies: «Mettre du contenu à disposition sur le Net, c’est accepter certains risques, surtout lorsqu’il s’agit de photos ou vidéos explicites. Les potentielles pertes de maîtrise et de traçabilité sont immenses. Enfin, lorsqu’on trouve des contenus leakés, l’idée est souvent de ne pas perdre de temps et de les faire supprimer rapidement plutôt que de s'épuiser en entamant des procédures judiciaires parfois illusoires et souvent coûteuses».

«Mon mari et moi avons testé OnlyFans pour mettre un peu de piment dans notre couple»

Pour Nathalie, une Soleuroise de 24 ans, OnlyFans était d’abord un moyen de raviver la flamme dans son couple. La jeune maman au foyer — qui se fait appeler Cutebutpsycho sur la plateforme — explique avoir eu envie de tester de nouvelles choses avec son époux. «Mon mari et moi avons testé OnlyFans pour mettre du piment dans notre couple, indique-t-elle. Après quelque temps, on a réalisé que c’était plutôt marrant comme expérience». Cela fait maintenant six mois que le couple est actif sur la plateforme. Leur contenu: du porno comme on peut en trouver sur des sites connus comme PornHub ou YouPorn. Natalie et son mari proposent tout un panel de pratiques, allant de la fellation à la sodomie, en passant par des éjaculations faciales, le tout pour quelque 6$ par mois.

Et même si les jeunes mariés voient OnlyFans comme une sorte de plateforme où s’amuser, l'appât du gain n’est pas à négliger: «Chaque mois, j’essaie de faire plus d’argent que le précédent, affirme la mère au foyer. J’ai gagné 100 dollars en janvier, 230 dollars en avril et 640 dollars en mai». Pas de quoi payer un loyer, certes, mais cela fait l’affaire pour dépanner.

Nathalie aka Cutebutpsycho s'est inscrite sur le réseau il y a six mois.
Photo: DR

Pour arriver à progresser financièrement, Nathalie doit passer du temps sur son contenu. «Ça a l’air facile comme ça, mais pour garder sa communauté et gagner un minimum d’argent, il faut être actif tous les jours, insiste-t-elle. Il faut toujours avoir de nouvelles idées pour les photos, par exemple. Sans oublier que les tournages et montages des vidéos prennent du temps. Ce travail représente entre deux et trois heures de travail quotidien pour moi».

Nathalie ne redoute pas les réactions de son entourage à propos de son activité sur OnlyFans. «Mes proches et ma famille sont au courant, rapporte-t-elle. Jusqu’à maintenant, je n’ai reçu aucune remarque négative».

«OnlyFans, pour moi, c’est plus que du beurre dans les épinards!»

En parallèle des créateurs de contenu ouvertement explicite, OnlyFans accueille aussi des créateurs qui ont une vision plus esthétique du sexe. C’est le cas de Claudia, une Vaudoise installée à Londres, qui en plus d’être modèle est aussi photographe. Avant de s’inscrire sur OnlyFans sous le pseudonyme «Du Lièvre», Claudia avait déjà créé des sites où elle affichait son travail, principalement du nu. «J’ai profité de l’engouement d’OnlyFans pour faire du contenu ailleurs. Je m’étais déjà essayée à Instagram, mais mon compte a été censuré à plusieurs reprises».

En septembre 2020, Claudia décide d’ouvrir les portes d’OnlyFans. Le prix d'un abonnement chez elle s'élève à 14$ par mois. Et comme elle gérait déjà des pages en tant qu’artiste photographe, elle n’a pas eu trop de peine à drainer de l’audience sur son compte OnlyFans.

Côté finances, Claudia est claire: «Au commencement, je pensais simplement gagner de quoi me payer un McDo. En réalité, OnlyFans, pour moi, c’est plus que du beurre dans les épinards!» Sa vie, elle la gagne principalement en tant que modèle, puis grâce à OnlyFans et finalement grâce à ses mandats de photographe. «Au fil des mois, j'ai réussi à gagner de quoi payer mon loyer grâce à la plateforme. Dans mes meilleurs jours, j'étais dans le top 2,9%. Aujourd'hui, je me suis stabilisée à 11%», indique la jeune femme de 26 ans. Shootings pro, poses soignées et appareil argentique, Claudia est loin d’être une amatrice. Ses photos sont des œuvres à part entière, des mises en scène. Mais contrairement à d’autres, Claudia ne passe pas des heures à entretenir son profil.«Comme je fais de la photo depuis un moment déjà, j'ai pas mal de contenus déjà prêts.»

Claudia du Lièvre détient un compte OnlyFans depuis septembre dernier.
Photo: Claudia du Lièvre

Touche esthétique en plus

Avant de commencer une carrière de photographe, Claudia avait déjà testé la vente de contenus érotiques sur Internet. «Il y a trois ou quatre ans, pendant mes études à l'École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), j’étais aussi camgirl», précise la romande. Fascinée par le milieu du sexe, Claudia aime toutefois y apporter sa petite touche esthétique. « J’ai par exemple prévu un shooting photo où je suis nue et bois du lait d'amande. La texture et la couleur peuvent laisser entendre que j’ai du sperme dans la bouche et qu’on est donc sur un tournage X, libre au public de se laisser aller à son imagination.»

Par souci de s’affranchir des codes sociaux, Claudia a commencé à proposer des contenus très spécifiques. «Je laisse pousser mes poils et il s’avère que certains aiment ça. Je fais parfois des clichés — à la demande des fans — dans lesquels je mets ma pilosité en avant.» Bien qu’il s’agisse d’une sorte de niche, qui n’attire qu’un nombre limité de fans, il semblerait que ce genre de spécificités fonctionnent. Et si aimer les poils reste assez soft, il arrive que des fans se permettent des demandes plus osées. Dans le reportage «Nudes4Sale» diffusé par la BBC en mai dernier, certaines femmes racontent avoir été confrontées à des requêtes bizarres voire déplacées comme des clichés à caractère scatophile ou des mises en scène montrant de l’urine.

Claudia confesse ne pas s’épanouir totalement en tant qu’artiste sur OnlyFans. Même si elle fait principalement du nu et du suggestif, le tout shooté avec des pro, elle ne souhaite pas s’enfermer dans ce style précis. «J’aime ce que je fais, mais il est vrai que la nudité, on la voit déjà sous toutes les coutures. Du coup, on n’est plus très original au final.» Faire que du cul? Bof. «Tout le monde le fait déjà». Il n’empêche qu’en faire sur OnlyFans a été libérateur: «Cela m’a permis de m’affranchir de la morale imposée par la société. Je ne le fais pas pour le féminisme, mais par nature, mon expérience sur OnlyFans est une sorte de reflet militant. Il y a quelque chose de politique derrière».

*Prénom d’emprunt

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