Sauver la planète coûte que coûte
«C’est en prison que je me sentirais le plus utile»

Depuis trois ans, Nicolas Presti, 30 ans, s'engage à fond pour le climat. Lors d'événements au sein du mouvement Extinction Rebellion (XR), il a déjà vécu de vives arrestations. Cela ne l'a pourtant pas dissuadé, bien au contraire. Témoignage à la première personne.
Publié: 22.02.2022 à 06:11 heures
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Dernière mise à jour: 22.02.2022 à 09:57 heures
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Valentina San MartinJournaliste Blick

«Je me souviendrai toute ma vie de ce moment. C’était en septembre 2020, nous étions environ 200 devant le Palais fédéral à Berne. Il y avait Extinction Rebellion ou encore les grévistes du climat. Sans oublier la centaine de policiers vêtus façon Robocop, qui nous surveillaient. Nous avions décidé d’investir la place Fédérale pour rappeler l’urgence climatique. Il y avait des gens qui agitaient des banderoles, des gens couchés sur le sol et certains étaient même enchaînés les uns aux autres. Moi, j’enlaçais un poteau: mes avant-bras étaient fixés à mes mains avec une colle extraforte.

Extinction Rebellion se trouvait à Berne en septembre 2020.
Photo: AFP
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C’était 2h du matin et il pleuvait des cordes. Tout à coup, le chef de la police bernoise est sorti sur le balcon du Palais fédéral avec un mégaphone et nous a lancé un ultimatum: 'Vous avez une demi-heure pour vous en aller ou nous procéderons à des arrestations'. Sa voix a résonné dans toute la cour. Malgré tout, nous n’avions pas l’intention de partir. J’avais l’impression d’être dans un film. J'en ai pleuré.

Comme nous n’avions pas libéré la place une fois le temps écoulé, les policiers ont commencé à arrêter des gens. Un premier flic est venu vers moi pour m’emmener mais il a vite compris que ça allait être compliqué. Un autre a versé de l’eau sur mes bras pour enlever la colle mais ça n’a rien changé. Et puis, un troisième policier est arrivé. Je lui ai expliqué que j’étais collé mais il n’en a pas eu grand-chose à faire. Il m’a simplement arraché du poteau. J’avais des plaies sur les bras et les mains, puis j’ai fait le poids mort. J’ai fini ma nuit en cellule.

Nicolas Presti, 30 ans, s'est engagé auprès d'XR en 2019.
Photo: Instagram Nikoko

Des scouts à Extinction Rebellion

Tenter d’obtenir une justice climatique et écologique est une valeur qui m’anime, qui me fait vibrer. Pourtant, vous vous doutez bien que je ne suis pas né gréviste. Ce qui est sûr, c’est que j’ai toujours beaucoup aimé la nature et le vivant de manière globale. Je veux dire, c’est là d’où on vient, c’est la nature qui nous fait vivre. Personnellement, je trouve ça magnifique.

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Entre mes 7 ans et mes 20 ans, j’ai été scout. Même si le scoutisme est inspiré de l’armée, il m'a transmis les valeurs de la nature et du vivre ensemble, comme toujours laisser un endroit propre après l’avoir quitté ou réfléchir avant de couper la branche d’un arbre. J’ai beaucoup aimé cette période de ma vie.

En tant que jeune adulte, je dirais que je n’étais ni politisé, ni activiste. Je m’intéressais à certaines questions, c’est sûr. Je faisais par exemple attention à ma façon de consommer: je ne mangeais pas de viande et prenais volontiers mon vélo pour me déplacer. Et puis, le 15 avril 2019, tout a basculé.

Une amie m’avait invité à une manifestation illégale et non-violente pour le climat. L’idée était de bloquer le pont Chauderon à Lausanne et d'y faire un pique-nique. Je ne connaissais pas du tout XR à ce moment-là. Entre nous, moi qui adore manger, je trouvais tellement bien de bloquer une artère lausannoise en y faisant une énorme bouffe... Bon, plus sérieusement, le fait d’obliger les gens à s’intéresser à une lutte pour une justice sociale, le tout dans la non-violence, m’a beaucoup touché.

Extinction Rebellion avait bloqué le pont Chauderon à Lausanne durant une heure, le lundi 15 avril 2019.
Photo: Jean-Guy Pythonl

Lorsque je suis rentré chez moi le soir, j’ai consulté les 'Principes et valeurs' d’XR et ma décision était prise. Je voulais faire partie du groupe. Pour être honnête, je n’ai jamais été aussi sûr de moi au moment de faire un choix: j’allais rejoindre le mouvement.

Comme XR est un mouvement assez étendu, on ne se connaît pas tous. Et tant mieux, ça veut dire qu’on grandit. Après, c’est difficile de vous dire combien on est au total. Il y a différents groupes, eux-mêmes formés de sous-groupes constitués de différents rôles. On a par exemple le groupe XR Lausanne, à l’intérieur duquel on retrouve le sous-groupe 'intégration' qui se divise en plusieurs rôles comme celui dédié à l'organisation des conférences et formations, qui lui-même contient un sous-rôle de gestion du calendrier.

De plus, on travaille à des pourcentages différents. Un membre de ma famille est comptable breveté et offre ses services à XR une fois par semaine. Il n’est pourtant jamais allé à une manifestation. Ce que je veux dire, c'est qu'on ne peut pas définir de règles qui disent 'je fais partie' ou 'je ne fais pas partie' d'XR. Si ton acte s'inscrit dans les valeurs d'XR, alors ton acte est XR, indépendamment de ta personne…

Enfin si vous voulez une fourchette: lors de notre plus grosse action, nous étions 500 activistes dans la rue et il y a eu plus de 90 arrestations. Il faut savoir que derrière une arrestation, on compte entre 7 et 9 personnes. Il peut s’agir d’individus qui se sont occupés de la logistique, de gens qui souhaitaient aider sans forcément vouloir être sur place, ou dont le rôle ne nécessitait pas d'être présent.

Et les autres mouvements, alors?

J’aurais pu rejoindre un autre mouvement mais les valeurs d’XR me parlaient énormément. Je pense qu’XR est un mouvement qui détient une stratégie visant à gagner, et dont les moyens pour y parvenir ont été étudiés historiquement et socialement. Nous ne fonctionnons ni de manière verticale, ni horizontale: nos valeurs ne parlent pas de cela. Notre système est holarchique, c’est-à-dire qu’il y a des divisions qui fonctionnent de manière singulière tout en faisant partie d’un système plus vaste avec un même but.

XR reçoit régulièrement beaucoup d’encouragements et beaucoup de critiques. Et c’est exactement la place que le mouvement souhaite avoir: il ne s’agit pas de se ranger dans un parti de gauche ou de droite – car on renforcerait la division – mais de déplacer les positions d’une majorité populaire un peu centrale et indécise. Selon moi, la non-violence est un outil convaincant pour cela. Et puis, vous savez, les désaccords, il y en a partout. L’important est de s’écouter et s’ajuster sans en faire une affaire d’égo.

Moi je pense qu’on a tous notre place dans cette lutte pour le changement. A force de parler écologie, on finit par mettre le thème au centre du débat. Imaginez: une manifestation de Greenpeace le lundi, un événement signé XR le mercredi et une descente en ville de Lausanne le vendredi organisée par la Grève du climat. C’est tout bénef pour notre combat. Au final, on défend les mêmes causes.

Après, je pense que tout le système politique est incapable de répondre à la crise climatique. Même en ce qui concerne les Verts. Alors oui, notre système en Suisse est généralement super efficace, sauf pour la justice climatique. Selon moi, les Verts, comme tous les autres partis politiques, ne sont pas efficaces. Car même si notre système fonctionne bien, il ne faut pas oublier que les choses prennent généralement beaucoup de temps. Je veux dire, il peut se passer huit ans entre le dépôt d’une initiative et sa mise en œuvre. Et encore, il faut que l’initiative passe sans finir complètement édulcorée… et cela va à l’encontre de l’urgence que nous impose cette crise.

Finir en cellule: le symbole ultime

Désormais, nous n'avons plus le luxe du temps. C'est la raison pour laquelle j'ai déjà organisé et participé à quelques actions pour XR. A l’heure où je vous parle, j’ai deux procès en cours. Pourtant, ça ne m’angoisse pas plus que cela. Je suis intimement convaincu que la désobéissance civile peut aider à faire bouger les choses. Si je dois passer au tribunal, c’est un petit sacrifice comparé au futur qui nous attend, nous et nos enfants.

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D’ailleurs, je crois bien que c’est en prison que je me sentirais le plus utile. Pour moi, il s’agit là du stade symbolique ultime. Imaginez l’impact que ça pourrait avoir, ici en Suisse, en termes politiques, médiatiques et populaires, d’enfermer un activiste non-violent qui se bat pour l’écologie! Dans notre pays, on a ce privilège que d’autres n’ont pas: celui de pouvoir agir et s’exprimer sans subir une répression abominable. Et on doit l’utiliser pour tous ceux qui ne peuvent pas se le permettre.

C’est pour cette raison que lorsque je passe en procès, je ne m'attends pas à être acquitté. Certes, c’est cool pour moi, pour mon porte-monnaie, et j’en passe. Cependant, ce n’est pas mon but puisque si acquittement il y a et qu’il ne crée pas de jurisprudence ou de nouvelles lois qui soient contraignantes pour les plus gros pollueurs, je considère cela comme un échec…

En ce qui concerne les amendes et les frais de justice, nous avons des avocats et des professionnels de la justice qui nous soutiennent. Certains le font gratuitement, d'autres réduisent leurs tarifs. C'est leur manière d'agir pour le climat. Après, défendre des activistes n’est pas toujours chose facile, à mon avis. Une fois, une de nos avocates était présente à l’une de nos manifestations en tant que spectatrice. Son job était simplement d’être sur place et observer ce qui se passait sans prendre parti. Elle a été convoquée après-coup par la police et considérée comme une activiste. C’est un peu limite, je trouve...

Transformer la peur en action

Vous devez vous demander si passer des mois en cellule ou simplement me rendre à des actions me fait peur. Eh bien non, plus maintenant. J’ai lu le dernier rapport du GIEC et on y explique qu’à partir de 2100, si on ne prend que l’hémisphère nord en compte, ce sera impossible de survivre sur la planète à partir de l’équateur jusqu’en Italie. Ça veut dire qu’une partie de ma famille ne pourra plus vivre dans son pays. Et ça, je ne peux tout simplement pas le supporter! C’est ce genre de prise de conscience qui me pousse à lutter.

C’est clair que la première fois où je me suis collé à un poteau, j’ai eu peur. Peur d’avoir mal. Mais au sein d’XR, on apprend à transformer sa peur en action grâce à des méthodes efficaces de psychologie. Aujourd’hui, s’il faut monter au front, je le fais sans hésiter.

Après, il ne faut pas oublier qu’XR prône la non-violence et qu’en Suisse, c’est plutôt rare de se faire grassement casser la gueule par la police ou tuer lors d’une manifestation. Si je devais mener ces actions au Qatar ou en Chine, ce serait différent. J’aurais peur pour ma vie, c’est sûr. C’est difficile voire impossible d’affirmer qu’on est prêt à sacrifier son existence pour une cause. En théorie, oui. Mais en pratique, si on se trouve face à la mort, je pense que l’instinct de survie peut prendre le dessus et mener à la fuite. C'est normal et c'est humain.

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Un quotidien dédié à mes convictions

Aujourd’hui, j’ai 30 ans et je termine gentiment mes études en sport et en géographie à l’Université de Fribourg. Si beaucoup signent leur premier contrat de travail et rêvent d’une vie posée, ce n’est pas mon cas.

Je suis à un stade de ma vie où j’ai envie de m’engager à fond pour la cause que je défends. Je ne me vois pas mener une vie 'standard' sans m’investir plus que cela. En ce moment, je passe la majeure partie de mon temps au sein d’XR. Je suis prof de sport à 30% environ. En parallèle, j’ai des rôles pour XR qui me demandent entre 60% et 70% de taux de travail. À noter que certains rôles à haut taux sont défrayés. L’année dernière par exemple, j’ai fait trois mois à 80% pour XR et je recevais 1000 francs par mois car cela incluait d'adapter mes conditions de vie. Comme je ne suis pas particulièrement dépensier, cela me suffisait amplement pour vivre.

J’ai aussi un mode de vie qui fait que 1000 francs mensuels me semblent assez. Je vis en colocation et mon loyer me coûte quelque 400 francs par mois. Je n’ai pas de voiture et la grande majorité de mes affaires, si ce n’est toutes, sont issues de la récup. Côté fringues, je n’ai que vingt vêtements et cela me va bien. J’ai décidé de refiler une partie de ma garde-robe, parce que je remarquais que m'habiller le matin me prenait beaucoup de temps. Mes habits prenaient pas mal d’espace aussi. Ce n’est pas vraiment par souci écologique que j’ai décidé d’opter pour un certain minimalisme, mais surtout pour aller à l’essentiel et ne pas m’encombrer de choses inutiles. Je me sens d’ailleurs bien mieux maintenant. Ça me permet de faire le vide, de souffler.

Les efforts individuels ne suffisent pas

Oui, j’essaie de vivre le plus écologiquement possible. Mais qu’on se le dise, il faut aller plus loin que ça. Se contenter de boycotter l’avion, trier ses déchets ou réduire sa consommation de viande, ne suffit pas. Je ne dis pas que ce n’est pas bien, au contraire. Il n’empêche qu’il reste de grosses entreprises, des élites, des gens riches qui polluent beaucoup plus que vous. Les sociétés actives dans l’agroalimentaire sont actuellement en train de détruire la forêt amazonienne. Résultat: rien ne peut repousser, le C02 ne peut plus être stocké dans les arbres. Et la Grande Barrière de corail, parlons-en! Elle est gravement menacée par le réchauffement climatique. Enfin, menacée… presque tout le récif est en train dépérir!

À mon avis, on sera tellement dans la mouise à un moment donné que les gouvernements n’auront plus le choix. Pour leur propre survie, ils vont bien devoir ériger des lois pour se protéger eux-mêmes lorsque les conséquences du réchauffement frapperont à leur porte. Les famines, les ruptures d'échanges et les guerres sociales ne feront que s'accentuer, et ils seront forcés d'agir, sûrement trop tard.

Et si je peux m’investir au maximum et faire pression pour contribuer à ce changement au sein d’un mouvement non-violent, dont la stratégie n’est pas parfaite mais largement abordable pour agir efficacement, la question ne se pose même pas.

Les critiques, je les veux fondées

Quoi que vous fassiez, il y aura toujours des gens pour vous critiquer. L’important est de se questionner lorsque les critiques sont construites, et de ne pas se laisser blesser lorsqu’elles sont infondées. Je suis également très actif dans la musique et j'entends régulièrement une ribambelle de critiques, construites ou pas. Mais vous savez, Rosa Parks, figure emblématique de la lutte contre la ségrégation raciale aux États-Unis, était aussi vivement critiquée à son époque. Impliquée dans les mouvements de boycott des bus à Montgomery en 1955, elle n’était pas la première à s’asseoir à l’avant d’un bus (acte illégal pour une personne de couleur à l’époque). Rosa Parks a simplement été le point culminant qui a provoqué un véritable changement, et qui n’aurait pas pu avoir lieu sans tous les autres cas. Pourtant, aujourd’hui, on ne peut pas concevoir qu'une personne de couleur soit obligée de céder sa place à une personne blanche dans les transports publics!

Mais de manière générale, on salue mon engagement. Par exemple, j'en parle ouvertement au travail et on me félicite. Certains m’ont aussi avoué qu’ils ne pourraient pas aller aussi loin, que ça n’irait pas avec leur job. C’est clair, selon le travail qu'on a, on n’a pas trop intérêt à mal se comporter vis-à-vis de l’État… D’un point de vue strictement personnel, maltraiter la nature me paraît beaucoup plus périlleux sur le long terme que perdre son travail. Grâce à XR, j’ai pu créer une forme de résilience autour de cela.

Dans un monde idéal, je m’arrêterai quand le pays ou même le monde sera entièrement décarboné. C’est-à-dire que la courbe de CO2 devra être inférieure à sa courbe d’absorption. La production nette sera ainsi ainsi à 0. Est-ce que c’est possible? Je n’en sais rien, je ne connais pas le futur. En revanche, j’ai de l'espoir. Sinon, vous vous imaginez bien que je ne me serais pas investi pour XR.»

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