Juste avant le départ
Quand le stress des athlètes est à son paroxysme

Durant des mois, les sportifs se sont préparés: ils sont prêts à prendre le départ. Problème? Il y a encore ces longues secondes juste avant de s'élancer. Que se passe-t-il à ce moment-là dans leur tête? Blick a posé la question à cinq athlètes.
Publié: 22.10.2022 à 11:13 heures
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Dernière mise à jour: 22.10.2022 à 11:39 heures
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Matthias DavetJournaliste Blick

C’est le Jour J! Après avoir discuté en détail avec les athlètes de leur préparation et de leur sommeil avant une compétition, il est temps de se focaliser sur le jour de leur performance. Les sportifs sont arrivés sur le site de l’événement, et ils sont maintenant à quelques secondes d’une course qui pourrait changer leur vie à tout jamais.

Notre série «Dans la tête des sportifs»

On a tous et toutes cette petite voix dans la tête qui nous rappelle d'aller faire sa lessive ou alors cette musique qui tourne en boucle et qui ne veut pas s'en aller (Baby shark dou dou dou dou…). Chez le commun des mortels, elle apparaît et disparaît à sa guise.

Mais qu'en est-il chez les athlètes d'élite? Usain Bolt fredonnait-il «I'm blue dabedee dabedaa» au moment de battre le record du monde du 100 m? Michael Phelps s'est-il demandé ce qu'il allait manger le soir même au moment de décrocher sa huitième médaille d'or à Pékin? Blick a rencontré cinq athlètes romands issus de sports divers et variés et a échangé avec eux sur cette large thématique.

Au programme: quatre épisodes diffusés sur quatre samedis.

On a tous et toutes cette petite voix dans la tête qui nous rappelle d'aller faire sa lessive ou alors cette musique qui tourne en boucle et qui ne veut pas s'en aller (Baby shark dou dou dou dou…). Chez le commun des mortels, elle apparaît et disparaît à sa guise.

Mais qu'en est-il chez les athlètes d'élite? Usain Bolt fredonnait-il «I'm blue dabedee dabedaa» au moment de battre le record du monde du 100 m? Michael Phelps s'est-il demandé ce qu'il allait manger le soir même au moment de décrocher sa huitième médaille d'or à Pékin? Blick a rencontré cinq athlètes romands issus de sports divers et variés et a échangé avec eux sur cette large thématique.

Au programme: quatre épisodes diffusés sur quatre samedis.

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Les athlètes se sont préparés durant des mois pour ce moment. Ils ne souhaitent qu’une chose, c’est dévaler la pente, courir ce 100 m ou sauter à l’eau. Pourtant, ils ont encore cette poignée de secondes entre leur entrée dans l’enceinte et le moment dans le portillon, les starting-blocks ou sur le plot. Un instant pour lequel ces sportifs ne se sont finalement pas entraînés.

Mathilde Gremaud: «Mon monde est assez positif… et vide»

Photo: keystone-sda.ch

On retrouve Mathilde Gremaud et son calme olympien. Elle et les autres skieurs freestyle «ont fait les cons» quelques jours avant les JO. Elle n’a également aucun problème pour s’endormir la veille d’une grande compétition. Alors pourquoi stresserait-elle juste avant de s’élancer?

Ces secondes avant le départ sont cruciales dans certains sports.
Photo: keystone-sda.ch

En haut de la rampe, la Fribourgeoise est détendue et surtout, dans son monde. À quoi ressemble-t-il, ce monde de Mathilde Gremaud? «C’est assez positif… et vide, essaie-t-elle de se remémorer. C’est de couleur claire, comme du blanc ou du bleu ciel. Et surtout, il y a beaucoup d’espace (rires).»

Visuellement, un tel monde n’est donc pas difficile à s’imaginer. Et la Gruérienne nous donne la clé pour comprendre les bruits qui y sont présents. «La musique que j’écoute se balade dans ce monde.» Évidemment, Mathilde Gremaud se souvient de la chanson qui l’a accompagnée lors de son titre olympique en février dernier… et la partage avec nous.

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«Ce sont des musiques aléatoires, avec des styles très différents. Ce sont juste des chansons sans paroles, assez chill et avec un petit beat. Dès qu’il y en a une que j’aime bien, je la garde», souligne-t-elle.

Des musiques qui peuvent avoir un effet très positif sur elle. «Quand elle me motive, je me dis toujours qu’elle a une bonne âme et je suis dans une bulle positive. C’est hyper bien pour le départ.» Mais lorsqu’elle s’élance, elle ne fait plus attention à cette mélodie.

Ne pas penser à son run

Une distraction qui fait du bien à Mathilde Gremaud. En fait, la Fribourgeoise n’aime pas se focaliser sur son run à venir: «Avoir quelque chose autour de moi me distrait et m’aide à ne pas penser à ce que je devrais faire dans 15 secondes.»

Car elle a besoin «d’avoir quelques secondes où je déconnecte vite fait» avant chaque manche importante. Elle évite de visualiser les figures qu’elle va exécuter.

Elle a le temps de le faire à l’entraînement, pas quelques secondes avant de s’élancer. «Je ne pense pas du tout à mon run et ça passe généralement assez bien», sourit-elle. Et effectivement, avec ses trois médailles olympiques, on peut bien lui concéder cela.

Camille Rast: «Sans un discours interne, c’est difficile de se motiver»

Photo: keystone-sda.ch

Dans le portillon de départ, les skieurs se comportent de manière très différente. On se souvient des cris gutturaux de Ramon Zenhaüsern à Schladming (AUT) en 2019. Mais rien d’aussi expressif chez sa compatriote valaisanne Camille Rast.

Quelques instants avant le départ, «c’est le plaisir qui ressort le plus souvent» dans l’esprit de la jeune technicienne. «Il ne faut pas trop réfléchir si on veut skier vite», dit-elle tout simplement.

C’est d’ailleurs pour cela que Camille Rast ne passe pas des heures à se remémorer la descente qui l’attend. «Je refais mon parcours une à deux fois avant le départ, révèle-t-elle. D’une fois que je sais où je vais, je n’en ai plus besoin.»

L’adrénaline varie

Dans le portique, la skieuse de Vétroz est donc détendue et essaie d’amener ses pensées vers le positif: «J’ai un petit discours interne. Sans lui, c’est difficile de se motiver.» Une motivation dont Camille Rast a besoin si elle souhaite voir du vert à l’arrivée.

Outre la positivité, la slalomeuse valaisanne parle également du stress qui l’anime avant de descendre. Un état d’esprit changeant: «Il y a parfois plus ou moins d’adrénaline. Mais je fais monter la pression pour l’avoir.» On imagine que si l’on se bat pour une médaille olympique ou un titre cantonal, l’adrénaline doit effectivement varier.

Mais l’enjeu pour les sportifs est toujours le même: gagner. Alors, lorsqu’on est en très bonne position après une première manche, le stress est-il plus présent? «On a envie de confirmer en deuxième manche mais rien n’est acquis dans le ski. Et c’est ça que je trouve beau.» Une beauté peut-être moins éblouissante lorsque le résultat ne tourne pas en sa faveur.

Roman Mityukov: «Ce sont les dernières secondes de stress»

Photo: keystone-sda.ch

Roman Mityukov n’a pas de chance. Du haut de son 1m80, il est considéré comme petit pour son sport. «Les premières fois que j’ai été en chambre d’appel lors d’une grande compétition, j’ai été impressionné», rit-il. A cet instant, la course est prévue dans une vingtaine de minutes. «C’est horrible», résume celui qui, lors d’un plus petit événement, se rend en chambre d’appel «3-5 minutes avant».

Là-bas, le nageur genevois essaie de ne pas penser à sa course. Musique ou écran de télévision peuvent alors l’aider. Mais c’est bien sûr plus fort que lui: «Je ne peux pas m’empêcher de penser à ce qui m’attend: comment je vais partir, quelle stratégie je vais utiliser, ce que je dois faire et ne pas faire… Ça ne me sert pas à aller plus vite car j’ai travaillé toute la saison pour ça. Mais c’est naturel.»

Le pic de stress pour Roman Mityukov n’est toutefois pas encore arrivé. Celui-ci intervient lorsque toutes les caméras sont braquées sur lui et qu’il apparaît au grand jour. La foule acclame le Genevois. «Savoir qu’il y a des proches dans les tribunes, ça me donne de la force. J’en ai besoin avant ma course.»

Un temps de réaction m*rdique

Parfois, Roman Mityukov n’a pas trop le temps de se perdre dans ses pensées: «Lorsque je suis appelé dans les derniers, c’est mieux. Je n’ai le temps de rien faire, à part enlever mes habits et me mettre à l’eau.»

Car dans sa nage de prédilection qu’est le dos, un premier coup de sifflet invite les athlètes à se mettre à l’eau. «A ce moment, il n’y a pas beaucoup de choses qui passent par la tête. Je suis encore un peu nerveux mais je place mes pieds comme il faut et j’attends le départ. Ce sont les dernières secondes de stress.»

Idéalement, Roman Mityukov ne devrait penser à rien lorsqu’il est sur le point de partir. Mais c’est parfois chose impossible pour le cerveau du Genevois. «Alors je me dis: 'Arrête de penser, il y a le départ qui arrive! Tu vas le rater et avoir un temps de réaction m*rdique.'»

Mais exactemement, à quoi pense-t-il? «Oula… Ça fait longtemps que je n’ai pas fait de compét'. Il faut me poser la question directement après la course», sourit-il. Promis, ce sera fait lors de notre prochaine rencontre.

Sarah Atcho: «Cette explosion d’adrénaline, c’est un peu comme une drogue»

Photo: Keystone

«Mes jambes tremblaient, se souvient Sarah Atcho. Le stress des mois qui précédaient s’était accumulé.» Lorsqu’elle entre sur la piste des Jeux de Rio, la sprinteuse vaudoise contient difficilement son émotion. «J’ai réalisé à ce moment-là… Mais c’était trop tard, s’exclame-t-elle. Je me suis dit: 'Maintenant tu le fais et tu cours.'»

Heureusement, Sarah Atcho arrive depuis à mieux gérer son stress, en partie grâce à son expérience. Mais également grâce à quelques ajustements. Par exemple, la position de ses mains dans les starting-blocks. Elle mime sa position d’antan, qui obligeait ses doigts tendus à receuillir tout son poids. «Mes mains tremblent. Donc, je pose maintenant toute la main, comme ça je ne risque pas de me casser la figure», rit-elle.

La Vaudoise sait que le départ n’est d’ailleurs pas son domaine de prédilection. «Je me focalise tellement sur mon stress que j’en oublie le starter et je rate parfois le coche», souffle celle qui dit avoir été cinq fois convaincue par sa sortie du bloc dans sa carrière.

Des phrases positives

Au niveau mental, que se passe-t-il lors de ce moment si particulier? «C’est impossible à retranscrire… Tu dois presque jouer ta vie à chaque fois.» Cette dernière phrase, Sarah Atcho se la souffle-t-elle? «J’essaie de ne pas le faire, car c’est super limitant. Je tente plutôt de me dire que cette fois, c’est la bonne.»

D’ailleurs, Sarah Atcho a changé sa façon de penser avant un départ. Après s’être longtemps entretenue avec sa coach, elle a remarqué que les phrases qu’elle prononçait dans sa tête étaient très négatives. «Tu ne vas pas tout foirer, tu ne seras pas la plus nulle, etc.», donne la Vaudoise en exemple. En tournant simplement les phrases au positif, ça a donné un bon coup de boost à Sarah Atcho. «Aujourd’hui, c’est ta course, tu peux le faire, tu es prête», se dit-elle désormais durant tout l’échauffement.

Et lorsqu’elle arrive dans les starting-blocks, la sprinteuse a de l’aplomb. «Je vis pour ce genre de sensations, entame-t-elle. Tu sais que tu as travaillé durant des mois pour ce moment. Lorsque le starter dit de nous mettre en place, il y a une explosion d’adrénaline. C’est un peu comme une drogue et c’est pour ces deux minutes dans le bloc que ça vaut la peine de faire de l’athlétisme.»

Sarah Actho s’inquiète d’ailleurs du futur. «Le jour où j’arrêterais l’athlétisme, qu’est-ce qui pourrait m’apporter autant d’adrénaline?»

Sébastien Reichenbach: «Je n’ai qu’une envie: que ça parte»

Photo: keystone-sda.ch

Le cas de Sébastien Reichenbach est particulier. Contrairement à Mathilde Gremaud et Camille Rast, ce n’est pas lui qui choisit le moment du départ. Et contrairement à Roman Mityukov et Sarah Atcho, il n’a pas besoin d’avoir un temps de réaction exceptionnelle pour réussir sa course.

Sur les étapes des Grands Tours, il y a deux départs: le fictif et le réel. Le premier peut être vu comme une procession des cyclistes sur quelques kilomètres, avant que le second n’intervienne et que la course ne débute «pour de vrai».

Avant le départ fictif, Sébastien Reichenbach trouve parfois que le temps ne passe pas très vite. «On arrive 1h30 avant le départ sur le lieu avec le car de l’équipe, explique le Valaisan. Le briefing peut alors durer longtemps.»

A ce moment, l’état d’esprit du cycliste martignerain est influencé par l’étape à venir. «Si elle s’annonce belle et que le temps est splendide, je vais être assez décontracté, analyse-t-il. Mais si c’est un véritable chantier et qu’il pleut des cordes, je me demande déjà ce que je fais là. Et je n’ai qu’une envie: que ça parte.»

Pourtant, le sportif de 33 ans est l’un des derniers à se rendre sur la ligne. «On a le temps de se mettre dans la course avec le départ fictif, qui peut durer entre 20 et 30 minutes.»

Beaucoup de stress

Le niveau d’appréhension de Sébastien Reichenbach varie alors: «Si mon objectif est d’impérativement prendre l’échappée et que je ne peux pas la rater, il y aura du stress.»

Un stress nettement accentué lorsqu’on approche du départ réel. La demi-heure de répit est terminée: «La concentration à ce moment est à 200%, assure l’ancien coureur de la Groupama-FDJ. Il y a des coureurs qui peuvent mettre leur cerveau sur off… mais pas moi. Je ne frotte pas très bien dans le peloton et je suis extrêmement attentif. A ce moment, il y a énormément de stress.» D’ailleurs, pour le cycliste valaisan, cette première heure de course est parfois bien plus violente que les 50 derniers kilomètres d’une étape.

Contrairement à une Sarah Atcho qui dit vivre pour ce genre de moments, Sébastien Reichenbach se montre beaucoup plus calme: «Je suis quelqu’un de très prudent et l’adrénaline ne m’a jamais pris.» Ce qui ne l’empêche pas de prendre parfois des risques, «et c’est souvent cela qui me permet d’aller le plus loin possible».

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