Commentaire de Tim Guillemin
L'opération répression dans les stades est un flop total

Les autorités ferment désormais les tribunes au moindre incident. Ces punitions collectives sont non seulement injustes, mais également contre-productives. Plutôt que d'apaiser la situation, elles contribuent à l'escalade, estime notre journaliste Tim Guillemin
Publié: 26.01.2024 à 14:48 heures
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Dernière mise à jour: 26.01.2024 à 17:50 heures
Tim Guillemin

Les supporters ont dépassé les bornes! Ces mots du conseiller d'Etat vaudois Vassilis Venizelos, je les partage. Même moi, le fervent défenseur de la pyrotechnie, je dois admettre que le récent derby lémanique entre Lausanne et Servette est allé un peu loin. Le début du show des ultras des deux camps m'a bien plu, le tifo des Lausannois était superbe, les fumigènes du début donnaient une allure spéciale à ce match et, l'espace de quelques minutes, je me suis dit que cette rencontre n'avait rien à envier à une affiche du championnat turc, pour ne citer qu'un exemple qui me plaît et parle à mon âme de passionné d'ambiances brûlantes. Mais, au fil de la rencontre, je me suis dit que bon, tout de même, j'aimerais bien voir un peu de football et que ces supporters étaient allés un peu loin.

Et puis, dans la foulée du match, est tombée la nouvelle: un policier a été blessé. Intolérable. Je défendrai toujours la pyrotechnie maîtrisée, jamais la violence, même minime. Je le dis clairement: la frontière a été dépassée lors de ce match et la ferveur a laissé place à des débordements qu'il faut combattre. Les ultras lausannois l'ont d'ailleurs reconnu via un communiqué: ils sont allés trop loin. Tout le monde le dit: la police, le club, les autorités politiques, les consultants, les supporters modérés et même eux. Pas de débat.

La répression pose deux problèmes

La réponse apportée par les autorités (tribune des ultras fermée, prochain match entre les deux équipes à huis clos total) est elle largement plus discutable. Et je trouve qu'elle pose deux problèmes.

Vider les tribunes, la pire solution... pour tout le monde.
Photo: keystone-sda.ch

Le premier est l'injustice. Punir tout un pan de supporters qui n'ont rien fait pour enlever l'envie aux autres de recommencer est, à mes yeux, une sanction trop grande. Empêcher une personne non-abonnée de prendre un billet pour un match, quel que soit le secteur, est un préjudice pour le club, comme pour le spectateur et, quelque part, pour moi, une atteinte à la liberté de commerce.

Et deuxièmement, plus grave encore: ces sanctions ont l'effet inverse. Elles ne font que renforcer le ressentiment des fans et provoquer l'escalade alors que justement, les autorités politiques espèrent que la situation va s'apaiser. Punir et réprimer pour calmer le jeu? Cela fonctionne à l'armée et à l'école. Dans un stade de football, non. L'exemple de l'Angleterre, si souvent cité, n'est pas le bon. Oui, la police y a été intransigeante au début des années 90, mais, surtout, les clubs et les pouvoirs publics ont développé tout un travail de dialogue avec leur «communauté», avec des supporters partie prenante des discussions. En gros, il existe là-bas un pacte social, avec des mesures individuelles fortes et des supporters identifiés et virés du stade. Soit tout ce qui ne se fait pas en Suisse, où l'on préfère fermer des tribunes et des stades.

Les ultras sont les plus malins

Surtout, ces mesures sont inefficaces et les supporters l'ont prouvé le week-end dernier en se montrant plus malins. Les ultras d'YB, dont la tribune était fermée, ont utilisé l'abonnement de personnes qui ne sont pas venues au stade et se sont donc retrouvés en tribunes latérales. Les fans de Lucerne, eux, sont montés à dix dans leur train spécial... et à 150 dans le suivant, sans rien dire à personne. Et, enfin, les supporters de Saint-Gall ont traversé la Suisse dans sept cars pour venir à Lausanne. Deux se sont arrêtés à la Tuilière, où une centaine d'ultras ont assisté au match. Cinq autres se sont rendus au centre-ville de Lausanne, au Flon et ailleurs, avant de monter, escortés par la police, au stade... alors qu'ils n'avaient pas de billets et que le périmètre de la Tuilière leur était (en théorie...) interdit!

Le plus fou? Les ultras du LS, eux, sont restés bien sagement à l'extérieur de l'enceinte, après concertation avec la direction du club vaudois. Ils ont donc «joué le jeu» des sanctions, sans bouger une oreille, et ont constaté que les ultras saint-gallois, eux, arrivaient dans le stade de leur ville, escortés par la police pour fêter le succès avec leur équipe... Frustrant, non? Dans quel état d'esprit sont les fans hardcore du LS aujourd'hui? Ils se sentent floués. Et ils sont encore plus en colère qu'avant. Bilan de l'opération répression? Un flop total.

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