Commentaire de Tim Guillemin
Murat Yakin a droit à une deuxième chance

Le sélectionneur national n’a pas tout fait juste à l’automne dernier, loin de là. Mais les changements aperçus en ce début d’année justifient de lui faire confiance jusqu’à l’Euro, assure notre journaliste Tim Guillemin.
Publié: 28.03.2024 à 19:00 heures
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Dernière mise à jour: 29.03.2024 à 08:19 heures
Tim Guillemin

J’ai été très critique envers les choix effectués par Murat Yakin à l’automne dernier, ainsi qu’envers son manque de préparation et d’anticipation. J’assume tout. Je n’enlève pas un mot de ce que j’ai pu écrire en fin d’année dernière, et j’écrirais chaque mot de la même manière si j’étais amené à le faire aujourd’hui. Si l’équipe de Suisse a été autant en difficulté entre septembre et novembre, elle le doit en grande partie à la gestion chaotique de son sélectionneur, lequel n’avait pas tiré les leçons de la Coupe du monde au Qatar. La gestion de ses latéraux était inexplicable, son manque de remise en question également, et les pauvres performances face à la Biélorussie, Israël, le Kosovo et la Roumanie sont en partie de sa responsabilité, tant au niveau du contenu technique que de l’état d’esprit.

Et pourtant, il y a des raisons objectives de sortir de ce stage de dix jours au mois de mars avec des motifs d’espoir et, osons le mot, de satisfaction. S’il est juste de dire que la Suisse n’a pas été flamboyante, il serait malhonnête de dire qu’elle n’a pas été solide et solidaire, deux vertus qu’elle avait perdu à l’automne. Cette équipe a joué de manière unie et a prouvé qu’elle répondait encore vivant et respectait son sélectionneur.

L'Euro sera défensif

L’équipe de Suisse se porte ainsi mieux au sortir du stage qu’avant, ce qui n’était pas forcément gagné d’avance au vu du désastre présenté en fin d’année dernière, et ce constat doit être valorisé. Oui, il y avait la place pour faire pire. La Suisse a fait mieux. Bien mieux. Même si elle a encore des lacunes offensives (et quelles lacunes…), elle a joué de manière cohérente et a posé les bases d’un Euro qui ne sera pas celui du spectacle à outrance, mais bien d’une organisation défensive robuste et d’un milieu de terrain travailleur et discipliné. Cela ne fait pas rêver ? Certes, mais contrairement à l’automne, cela ne fait pas cauchemarder non plus.

Murat Yakin a gagné le droit d'avoir une deuxième chance.
Photo: TOTO MARTI

Dès l’annonce de sa liste, Murat Yakin a gagné en crédibilité. La composition de son effectif était cohérente, avec chaque poste doublé et une belle valorisation des performances en club. Avoir appelé les nouveaux Vincent Sierro et Dereck Kutesa est une preuve d’ouverture, tout comme le doigté dont il a fait preuve avec Fabian Schär. En allant lui rendre visite, en cherchant le dialogue, le technicien a relancé son joueur, lequel a fait deux bons matches au Danemark et en Irlande, loin de ses prestations de l’automne dernier.

Murat Yakin a été actif durant l'hiver

Car Murat Yakin a travaillé durant l’hiver. Il s’est rendu en Angleterre, en Allemagne et en France, mais aussi à Genève et Lausanne. Il a échangé, parlé. Il a modifié son staff en faisant venir Giorgio Contini, lequel n’est pas un homme qui va challenger son ami au quotidien ou le mettre mal à l’aise, mais qui est plutôt un complément idéal au sélectionneur. Il existait deux profils pour ce poste d’adjoint : un dans la confrontation avec le numéro 1, l’autre dans la conciliation. Murat Yakin et l’ASF ont opté pour le second et les dix jours qui viennent de s’écouler ont été intéressants de ce point de vue.

Enfin, le sélectionneur a parfaitement géré le cas Ardon Jashari, lequel avait refusé de jouer avec les M21 à l’automne, estimant que sa place était avec les A, ou nulle part. Plutôt que de le sanctionner, Murat Yakin l’a… renvoyé avec les M21, où son attitude était scrutée de près. Pas de condamnation publique, mais un message clair : s’il veut revenir avec la grande équipe de Suisse, Ardon Jashari doit commencer par se faire tout petit. Bien joué.

Loin de l’image sombre qu’il affichait à l’automne, une période compliquée pour lui sur le plan personnel aussi avec le décès de sa bien-aimée mère Emine, Murat Yakin est apparu jovial, blagueur, l’oeil rieur, durant ces dix jours passés entre l’Espagne, le Danemark et l’Irlande. Taquin avec les journalistes, sans être agressif, il a multiplié les marques d’affection envers ses joueurs et semble avoir retrouvé ce qui faisait sa force, cette personnalité charismatique et effrontée.

Bon point: il a refusé de prolonger

Evidemment, tout cela ne veut pas dire que la Suisse se qualifiera pour les quarts de finale de l’Euro, mais une dernière chose vient renforcer la position de Murat Yakin et donne un indice de plus de sa tranquillité d’esprit. Alors que l’ASF lui a proposé officiellement de prolonger son contrat, et donc de renforcer encore un peu plus son statut sur le papier, il a pris la décision, délibérément, et en toute connaissance de cause, de refuser cette sécurité de l’emploi. Or, il n’est jamais aussi bon et lucide que lorsqu’il se trouve en danger, ce que sa carrière a toujours prouvé.

Murat Yakin aime le risque et l’imprévu, car son instinct lui permet de faire la différence par rapport aux autres. S’il arrive dans cet état d’esprit à l’Euro, ce qui semble être le cas, l’équipe de Suisse aura tout à gagner. Et s’il parvient à retourner l’opinion publique et à qualifier la Nati pour les quarts, il aura alors tout loisir de s’en aller en narguant tout le monde. Et si l’équipe de Suisse se plante? Il s’en ira sous les huées. Ainsi est la vie d’un sélectionneur national, et, si rien ne lui garantit le succès à l’été, au moins part-il dans cette nouvelle année avec une certitude: elle débute mieux que ne s’est terminée la précédente.

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