Commentaire de Richard Werly
Qui peut encore s'opposer au Qatar, champion du monde du sport-business?

L’enquête sur les allégations de corruption au Parlement européen ne changera rien pour l’Émirat. A coups de milliards de dollars, et avec la bénédiction de la FIFA, le Qatar s’est acheté la vitrine mondialisée qui lui manquait. Commentaire.
Publié: 19.12.2022 à 06:41 heures
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Dernière mise à jour: 19.12.2022 à 07:13 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

C’est fait. C’est gagné. C’est plié. Impossible désormais d’ignorer le Qatar sur une planisphère. Impossible surtout, pour les autres capitales richissimes des pays voisins du Golfe persique, de rivaliser avec Doha. Affaire conclue.

La diplomatie footballistique a produit, pour environ 220 milliards de dollars, ce que le Sheikh Hamad ben Khalifa Al Thani (père de l’actuel Émir Tamim ben Hamad Al Thani) espérait lorsqu’il a obtenu, le 10 décembre 2010, d’accueillir le Mondial de football: une vitrine que ses immenses gisements de gaz ne lui rapporteront jamais. Quoi de mieux, pour un pays d’un demi-million de citoyens assis sur des ressources énergétiques quasi inépuisables, que d’avoir squatté pendant un mois tous les écrans de la planète?

Qu’importent les allégations de corruption

C’est fait. Qu’importe si, dans les semaines à venir, les allégations de corruption à tous les étages refont surface, après les plaintes des organisations de défense des droits de l’homme plaidant la cause des milliers de travailleurs pakistanais, népalais ou bangladais, morts durant la construction des stades. Le Qatar sait, depuis qu’il a commencé à vouloir se frayer un chemin parmi les pays émergents qui comptent, que l’influence internationale ne s’obtient pas au seul mérite. Elle résulte de la puissance ou elle s’achète. D'une façon ou d'une autre.

Selon les estimations, le Qatar aurait dépensé 220 milliards de dollars pour obtenir, puis organiser et héberger le Mondial de foot 2022
Photo: DUKAS

Il a d’ailleurs suffi d’une phrase, ce week-end, pour que le gouvernement de ce minuscule bout de désert siffle (presque) la fin de la partie. En quelques mots, les autorités du Qatar ont averti l’Union européenne que l’indignation généralisée en vigueur depuis l’arrestation de l’une des vice-présidentes du Parlement de Strasbourg pourrait bien avoir des répercussions «énergétiques». On l’aura compris: la manne gazière, dont le Vieux Continent a besoin pour tenir bon face à la Russie de Vladimir Poutine, mérite quelques égards. Personne n’a répliqué. Pourquoi, d’ailleurs, cibler le seul Qatar alors que le Maroc est également cité comme corrupteur? La manœuvre est imparable. Et la parenthèse, bien partie pour se refermer.

Quoi de plus fort que l’exubérance des supporters?

C’est fait. Et franchement, cela ne devrait pas nous étonner. À l’heure de l’internet triomphant et des réseaux sociaux, quoi de plus fort pour sortir du marasme et des peurs mondialisées ambiantes que la sympathique folie des supporters dans des stades flambant neufs et climatisés? 50'000 supporters argentins à Doha! Comment sont-ils venus? Qui a payé les billets?

Évitons les questions qui fâchent. Le Qatar a trouvé le remède à nos maux planétaires. L’asphyxie démographique menace. Notre climat suffoque. Vladimir Poutine joue à la roulette russe avec l’Ukraine. Les États-Unis préparent leur affrontement avec la Chine. Taïwan redoute l’étranglement. La solution qatarie? Inonder la planète de dollars et taper dans le ballon rond. L’Émirat nous avait habitués à financer la chaîne Al Jazeera, les Frères musulmans et leurs émules djihadistes islamistes. Aujourd’hui, il mise sur le football et le sport. Ne faut-il pas mieux s’en réjouir?

En tirer les conséquences

C’est fait. Et le moment est venu d’en tirer les leçons. Pourquoi ne pas déléguer, désormais, l’organisation de tous les grands événements sportifs aux pays qui peuvent se les payer rubis sur l’ongle, le doigt sur le chéquier? L’Arabie saoudite vient de lancer une ligue de grands tournois de golf. Le royaume wahhabite regarde, avec son insolence bédouine, les futurs Jeux Olympiques d’hiver.

Délire énergétique? Et alors! Regardons-nous en face. Les médias, accueillis confortablement, ne diraient sans doute pas non. Les grands groupes de travaux publics y trouveraient de nouveaux débouchés. Les supporters qui peuvent se payer l’avion en profiteraient à nouveau pour prendre d’exotiques vacances. Tandis que, dans les métropoles des pays riches converties aux pistes cyclables, aux voitures électriques et à la sobriété énergétique, les citoyens pourront vaquer à leurs occupations sans être dérangés.

Le Qatar a raflé la mise

Le Qatar a raflé la mise. Avec ses méthodes. En pratiquant avec succès une politique d’ouverture savamment chorégraphiée, mais rassurante et réussie. Sans arrêter de sponsoriser, comme il l’a toujours fait, l’islam sunnite fondamentaliste. Sans envisager d’interrompre les flux gaziers dont l’Europe a cruellement besoin.

Maintenant que le coup de sifflet final est intervenu, la réalité peut reprendre ses droits. L’Émirat sort grand vainqueur de ce Mondial 2022. Normal: il est le champion du monde et le miroir des contradictions de notre époque.

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