Hakan Yakin parle de son frère
«Mon conseil: laissez faire Murat et tout ira bien»

Hakan Yakin révèle comment fonctionne le sélectionneur de l'équipe nationale et pourquoi on ne peut pas copier son frère.
Publié: 04.12.2022 à 10:55 heures
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Dernière mise à jour: 04.12.2022 à 13:32 heures
Michael Wegmann, Steffi Buchli

Hakan Yakin n'a plus beaucoup de temps après être passé sur le plateau de Blick TV. Il doit conduire son fils Diego, âgé de 12 ans, à un match de football. «Quelques minutes, c'est possible», rigole le frère cadet de Murat, le sélectionneur de la Nati. Mais au bout de quelques secondes, son téléphone se met à sonner. Diego veut savoir quand il sera à la maison, car il doit encore manger quelque chose. «Je serai là dans quelques minutes. Fais-toi des penne… Mais oui, tu l'as déjà fait. Tu fais bouillir de l'eau dans une casserole, tu ajoutes un peu de sel et tu mets les pâtes dedans…»

Avez-vous suivi la victoire contre les Serbes chez vous, sur votre canapé?
Non, nous avons regardé le match avec quelques amis à la Yakin-Arena (ndlr: un complexe de terrains de foot au nord-ouest de Zurich).

Vous ne préférez pas regarder tranquillement les matches?
En fait, oui. Mais je me suis retiré dans un coin — c'était très bien comme ça.

Au lendemain de la victoire contre la Serbie, Hakan Yakin a été invité dans les bureaux de Blick.
Photo: DR

En tant que frère du sélectionneur de la Nati, pouvez-vous encore faire vos courses en toute tranquillité ou êtes-vous tout le temps interrogé sur les compositions ou la tactique de Murat?
J'entends très souvent des gens me demander quel joueur mon frère devrait aligner et pourquoi. Et pas seulement de la part d'inconnus, mais aussi venant de nos amis. Regardez combien de propositions de composition j'ai reçues par WhatsApp!

(Murat Yakin nous montre diverses captures d'écran de compositions et de tactiques. «Je n'ai toujours répondu que par un seul mot: 'Faux!'»)

Vous aussi, vous faites des suppositions sur la composition avant les matches?
Je savais comment il voulait jouer contre la Serbie — je n'ai pas eu besoin de l'appeler pour ça. Mais avec «Muri», on ne peut jamais être sûr. Il se laisse souvent guider par son intuition. Lorsqu'il était encore entraîneur de Schaffhouse et que j'étais son assistant, j'ai préparé l'échauffement avant un match avec un système en 4-4-2, formation dans laquelle nous avons toujours joué. Puis il est arrivé et a dit qu'il voulait désormais jouer avec une défense à trois. Apparemment, il avait décidé de changer de système pendant le trajet en voiture de Zurich à Schaffhouse.

Et alors?
On a gagné. Et ensuite, en six matches, on a pris 18 points. Tous avec le nouveau système. Typique de Muri, en somme!

Comment ça «typique de Muri»?
Il décide beaucoup à l'intuition, au feeling. Ce n'est pas un entraîneur qui aligne des joueurs en fonction de leurs courses et de leur forme physique. Il ne s'agit pas de porter un jugement de valeur ou d'être insultant.

Est-ce que vous vous téléphonez régulièrement?
De temps en temps. Nous nous écrivons davantage. Il s'agit rarement de choses tactiques ou de compositions, mais plutôt de conversations privées. Muri n'a pas besoin de conseils, même pas de ma part. Il sait exactement ce qu'il veut faire. Il lit tout, mais ne se laisse pas influencer.

Qu'est-ce qui le caractérise?
Son intuition, son instinct… Il vit le football. Il peut lire un match à la perfection et réagir en très peu de temps. Il ne suit pas un schéma, ses décisions ne sont pas prévisibles. Peu d'entraîneurs ont cette qualité. Il se préoccupe tellement de l'adversaire, de ses propres joueurs, de tout. Mais il n'est pas du genre à passer douze heures dans un bureau avant le match.

Vous pensez donc qu'il pourrait tout à fait se trouver sur un terrain de golf à Doha?
Oui, pourquoi pas? On le présente souvent comme quelqu'un de paresseux. Mais il fait peut-être plus avec moins que d'autres entraîneurs. Il combine aussi parfois l'utile à l'agréable. Mon conseil: laissez faire Muri, et tout ira bien.

(Le téléphone sonne à nouveau. Hakan Yakin sourit: «Hey Diego… Non, deux cuillères de sel suffisent. Maintenant, tu mets les penne. Allez Diego, tu peux le faire! J'arrive le plus vite possible.»)

Vous êtes un entraîneur semblable à Murat?
J'ai beaucoup appris de lui. Mais j'ai vite compris que je ne pouvais pas le copier. On ne peut pas le copier.

Et du point de vue de la philosophie de jeu?
Pour moi, le plus important est de marquer un but de plus que l'adversaire. Pour lui, il faut avant tout ne pas en prendre. C'est ce qu'on lui a reproché de temps en temps par le passé, car les gens trouvaient que sa philosophie de jeu n'était pas assez spectaculaire. Mais il a toujours eu du succès.

Denis Zakaria s'est montré un peu inquiet après les deux premiers matches. Est-ce pour cela qu'il l'a fait entrer en jeu contre la Serbie?
Certainement pas — tout ceci ne l'intéresse pas. Muri ne fait pas jouer un gars pour le satisfaire. Chez lui, il n'y a pas de place pour de telles sensibilités. Il met tout en œuvre pour le succès de l'équipe. Il a d'ailleurs laissé Shaqiri sur le banc contre le Brésil.

La raison officielle était que Shaqiri avait des douleurs musculaires.
…C'est vrai (rires).

Pourquoi votre frère l'a-t-il ménagé contre le Brésil?
Il s'agissait surtout de ne pas perdre le match. Muri voulait défendre de manière compacte. «Shaq» est un excellent joueur offensif, comme il l'a encore une fois montré contre les Serbes.

De l'extérieur, on a l'impression que Murat est toujours très calme. Arrivez-vous à lire ses états d'âme?
Jusqu'à présent, il n'y a eu qu'une seule situation qui l'a fait perdre son calme.

Laquelle?
Le but du Brésil. Après le but, on l'a vu se tenir debout devant son banc et regarder le ciel. J'ai vraiment ressenti de l'empathie pour lui. Ce but l'a énormément énervé. Son plan de match était parfait. Tout fonctionnait. Puis, juste avant la fin, tout s'est écroulé. J'ai eu beaucoup de peine pour lui.

Lors du match contre la Serbie, il avait l'air si calme, alors même qu'il était mené au score l'espace d'un instant. Cela vous a-t-il étonné?
Non. Dans les 15 premières minutes d'une rencontre, il ne faut pas surtout pas lui parler. Il scrute tout le terrain. Il regarde où se trouvent les espaces libres, comment les adversaires se tiennent, où sont leurs faiblesses. Ensuite, il s'adapte et change certaines choses. C'est ainsi qu'il a rapidement identifié les points faibles des Serbes: «Sur les côtés, ils nous laissaient beaucoup d'espaces avec leur système.» Muri est toujours très calme et concentré pendant les matches.

Il ne se serait donc sans doute pas laissé provoquer comme Granit Xhaka. Et il n'aurait pas fait un tel geste, n'est-ce pas?
Certainement pas. Mais il peut comprendre les réactions de Xhaka, car il me connaît. J'étais un joueur comme Xhaka. Émotif, et avec le sang chaud. De son côté, Muri a toujours été serein et calme, même en tant que joueur.

Hakan a été l'assistant de Murat à Schaffhouse.
Photo: keystone-sda.ch

Murat a même dit que Granit lui faisait penser à vous. Devez-vous parfois lui expliquer comment fonctionne son capitaine?
Non, il connaît Granit et il me connaît. Il sait exactement comment on fonctionne. Nous disons parfois des choses uniquement par provocation. Muri sait comment se comporter avec des joueurs comme nous deux.

Cela signifie que vous pouvez comprendre le geste de Xhaka, qui s'est tenu l'entrejambe?
Disons que ce n'était pas bien, mais que oui, je peux le comprendre. La pression d'une Coupe du monde, tous les regards braqués sur toi, les antécédents, les provocations permanentes, puis le match, les duels. Il y a beaucoup de choses qui se mélangent.

Que pensez-vous que la Nati peut faire contre le Portugal?
La forme du jour sera déterminante. Avec nos qualités, nous ne devons pas nous cacher et aborder le match sans crainte. Mais il est clair que si le Portugal s'emballe, ce sera difficile.

Murat aurait bien voulu faire venir votre maman Emine pour le match contre le Brésil…
… Cela aurait été bien, elle est une grande fan du Brésil. Malheureusement, ce n'était pas possible. Ça l'aurait trop fatiguée. Elle va bientôt avoir 90 ans.

Et vous, quand partirez-vous au Qatar pour soutenir la Nati?
Je ne partirai que pour la finale. Avant ça, je n'ai malheureusement pas le temps. Je vais en Turquie pour un atelier en vue de l'obtention de mon diplôme d'entraîneur. J'espère donc que mon frère et la Nati resteront au Qatar jusqu'à la fin. (rires)

Et plus sérieusement, avez-vous un pronostic sur qui sera champion du monde?
Si je devais me prononcer, je dirais le Brésil. Mais l'Argentine et la France sont également en forme.

Hakan Yakin doit s'en aller. Mais il arrivera trop tard pour le repas. Car Diego ne l'a certes plus appelé, mais il a envoyé une photo de son assiette de penne. Le père nous montre fièrement la photo: «Il s'en est bien sorti.»

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