Désinformation sur les réseaux

Non, le vaccin n'a pas tué ces 50 sportifs

Ugo CurtyJournaliste Blick

Cette publication Facebook fait froid dans le dos. Sur l’image, on voit un joueur de football étendu sur le dos, les bras en croix et les yeux révulsés. Ses coéquipiers se précipitent vers lui pour lui porter secours. En pied de la photo, un texte dresse une «liste exhaustive», en date du 21 novembre 2021, des décès et pathologies graves de sportifs. Au total, 55 personnes sont référencées, sous la mention «bilan des effets adverses». Comprenez «effets secondaires du vaccin contre le Covid-19».

Il s’agit de la traduction en français d’une publication anglophone, partagée plus de 45’000 fois depuis novembre. En cinq jours, son pendant francophone a aussi été largement republié sur les réseaux sociaux en Suisse romande. Notamment par l’écrivain Slobodan Despot qui est aussi chroniqueur au sein de l’émission dominicale des «Beaux Parleurs» sur «La Première».

Le vaccin peut souvent être écarté

À l’exception de quelques sportifs de haut niveau, comme la cycliste néo-zélandaise Olivia Podmore qui a vraisemblablement mis fin à ses jours, la publication référence surtout des décès d’amateurs ou de très jeunes sportifs. Parmi ceux-ci, un enfant de 12 ans mort aux États-Unis.

Nous avons passé cette fameuse liste au peigne fin et de nombreuses incohérences ou contre-vérités s’y cachent. Pour commencer, le statut vaccinal des athlètes concernés n’est connu que dans trois cas seulement. Impossible, en l’état, de dresser un lien direct entre l’inoculation et ces décès par mort subite.

Pour un tiers des personnes présentes sur la liste, le vaccin peut être écarté avec certitude. Les décès ont été provoqués par des maladies cardiaques préexistantes (7), des insolations (3), des attaques cérébrales (2), des suicides (2) ou un accident. Deux autres cas américains remontent au mois de mars 2021, soit avant le début de la campagne de vaccination pour les personnes non à risques dans le pays.

La liste compte aussi plusieurs erreurs grossières. Cela va de coquilles dans certains noms à des incohérences plus importantes. Citons par exemple cet entraîneur allemand de volley inscrit sous le nom de Traktor Divitz (numéro 41 de la liste). Il s’agit en fait du nom du club où le malheureux – Dirk Splisteser, décédé subitement à l’âge de 50 ans – œuvrait.

Un Kényan soudain transformé en champion olympique chinois

Le cas Gilbert Kwemoi «champion olympiques [sic] de Chine» (#24) est encore plus problématique. Ce coureur de fond n’est ni asiatique, ni médaillé d’or aux JO. De nationalité kényane, Gilbert Kwemoi avait remporté les «Jeux olympiques de la jeunesse» en 2014. Une compétition organisée dans la ville de Nankin… en Chine. La boucle est bouclée. L’athlète est décédé en août, à l’âge de 23 ans, après avoir été hospitalisé pour de violents maux de tête.

Mais ce n’est pas tout. D’autres présumées victimes — à l’image du «champion de vélo Gianni» ou d’un «joueur de football de 13 ans [qui a] fait une crise cardiaque sur le terrain» — sont même impossible à identifier. Un certain Lee Moïse, numéro 5 de la liste, est tout simplement introuvable sur le web.

Aucune hausse majeure au CHUV

Au-delà de ces nombreux raccourcis et incohérences, les chiffres ne confirment pas cette publication alarmiste. «Les morts subites peuvent arriver chez les sportifs, même si elles restent extrêmement rares, précise à Blick le Docteur Vincent Gabus, responsable de la consultation en cardiologie du sport au CHUV. À Lausanne, nous n’avons pas plus de 1-2 cas par année en moyenne. Depuis le début de la campagne de vaccination, aucune augmentation n’a été notée par nos services.»

Mais pourquoi les antivax insistent-ils sur un lien entre ces morts et le vaccin? Les chiffres démontrent une augmentation des cas de myocardites, spécialement chez les jeunes hommes qui ont reçu le vaccin Moderna. «Les myocardites sont une inflammation du muscle du cœur, explique le cardiologue Vincent Gabus. Les symptômes les plus fréquents sont de la fièvre, des douleurs dans la poitrine qui augmentent souvent avec la respiration et les changements de position. Dans le cas du Covid, les cas provoqués par le virus en lui-même sont souvent plus graves que ceux liés au vaccin. Mais dans leur grande majorité, les patients rentrent chez eux après quelques jours d’hôpital.»

Le vaccin Pfizer pour les moins de 30 ans

Cet automne, la Finlande, la Suède et l’Islande ont suspendu son utilisation pour les moins de 30 ans. En Suisse, l’Office fédéral de la santé publique recommande le produit Pfizer à cette tranche de la population, quel que soit le vaccin utilisé pour l’immunisation de base. Le spécialiste du CHUV relativise pourtant cette hausse d’inflammations cardiaques. «La dernière étude de référence sur le sujet, parue dans la revue «Circulation», fait état d’une augmentation de 0.00465% de cas de myocardite sur plus de 4’300’000 doses administrées chez les 18-24 ans aux Etats-Unis. Cela reste infime et probablement bien en dessous des cas de myocardites dues au COVID lui-même.»

Un constat médical qui est similaire de l’autre côté de la frontière. «Sur la population des 6,7 millions d’habitants Franciliens (ndlr: en région parisienne) que nous surveillons quotidiennement, nous n’avons pas observé d’augmentation significative du nombre de cas de mort subite du sportif», affirmait Eloi Marijon, cardiologue et chercheur au Centre d’expertise mort subite de Paris, à la version française de «20 minutes».