La Bernoise se confie avant les JO
Mujinga Kambundji: «On ne s'entraîne pas avec l'ambition de finir deuxième»

Ni réflexions stratégiques, ni analyses tactiques: lorsque Mujinga Kambundji sort des starting-blocks, c'est tout ou rien. Et ce sera la même chose aux JO de Paris. Pour Blick, la sprinteuse évoque ses sensations, son état de forme et ses ambitions. Interview.
Publié: 21.07.2024 à 12:16 heures
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Dernière mise à jour: 21.07.2024 à 12:18 heures
Nadine Gerber
Nadine Gerber

Répétition générale réussie avant les JO! Au mois de juin dernier, Mujinga Kambundji a remporté l'or sur 200 m aux championnats d'Europe de Rome. A Paris, la sprinteuse de 32 ans prendra part au 100 m, au 200 m et au relais 4x100 m. Avec de bonnes chances de remporter une médaille. Il y a quelques années, il était impensable de voir une Suissesse briller en sprint. Mais l'athlétisme suisse a fait d'énormes progrès. Grâce notamment à la Bernoise.

Mujinga Kambundji, vous vous rendez à Paris en tant que championne d'Europe du 200 m. Que signifie ce titre pour vous?
Beaucoup, beaucoup. C'est toujours très spécial pour moi de remporter un titre. Le fait d'avoir pu conserver cette médaille d'or (ndlr: elle avait également remporté le titre en 2012 à Munich) rend les choses encore plus spéciales. Je suis – je ne l'ai appris qu'après coup – la première Suissesse à être parvenue à remporter un même titre deux fois de suite. J'en suis fière et cela me fait très plaisir.

Victoire sur le 200 m, huitième au 100 m. Comment cela se fait-il que vous soyez plus forte sur la double distance?
Je ne dirais pas de manière générale que je suis plus forte sur 200 m. Chaque saison, une discipline fonctionne un peu mieux que les autres. Parfois le 60 m, parfois le 100 m ou justement le 200 m, selon la manière avec laquelle j'ai pu m'entraîner. On ne réalise pas son meilleur temps personnel chaque saison. Le 200 m n'est donc pas mon point fort en soi – mais à Rome, il l'était.

Sur le tartan, Mujinga Kambundji est dans son élément.
Photo: keystone-sda.ch
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La saison dernière, vous avez souffert d'une fasciite plantaire. Avez-vous encore des douleurs au pied?
Ce n'est pas encore parfait, je dois toujours faire attention. Mais je n'ai plus de douleurs. Une sportive n'est jamais à 100% de sa forme. Il y a toujours quelque chose qui fait mal. Mais pour l'instant, je ne suis limitée ni à l'entraînement ni en compétition.

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«Une sportive n'est jamais à 100% de sa forme. Il y a toujours quelque chose qui fait mal.»
Mujinga Kambundji, championne d'Europe du 200 m
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Vos anciennes collègues Léa Sprunger et Marisa Lavanchy ont reconnu qu'il était parfois difficile pour elles d'être égoïstes et de faire abstraction des concurrentes sur la piste. Est-ce aussi le cas pour vous?
Ce n'est pas un problème pour moi. J'aime beaucoup de mes concurrentes. Mais pendant la course, je veux être aussi rapide que possible. Même si je devais concourir contre ma sœur. Après tout, je peux être gentille avec mes adversaires avant et après la course.

Cela a-t-il toujours été le cas?
Quand on s'entraîne aussi dur, on veut aussi gagner. Je pratique un sport sans contact physique. Chacune fait son truc sur la piste, sans pouvoir influencer ses adversaires. On peut apprécier et respecter quelqu'un tout en voulant gagner contre lui. Cela fait partie du sport. On ne s'entraîne pas toute une année avec l'ambition de finir deuxième.

Votre ancien entraîneur à Berne, Jacques Cordey, a dit que vous étiez «une fille facile à vivre». Dans quelle mesure êtes-vous d'accord avec cela?
C'est probablement vrai. J'essaie de ne pas penser aux choses sur lesquelles je n'ai pas d'influence. Je me concentre sur ce que je peux influencer.

La vie de sportif est-elle donc moins compliquée que la «vraie» vie?
Dans le sport, c'est très simple: tout le monde sait où et quand on lieu les JO ou quand a lieu le championnat d'Europe. Chacun sait qu'il doit être prêt ce jour-là. Tout est entre les mains des sportifs. Je ne peux pas non plus blâmer quelqu'un si j'ai mal couru. Dans la «vraie» vie, il peut y avoir des injustices ou des situations sur lesquelles on ne peut pas influer parce que d'autres personnes décident pour nous.

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«On peut apprécier et respecter quelqu'un tout en voulant gagner contre lui. Cela fait partie du sport. On ne s'entraîne pas toute une année avec l'ambition de finir deuxième.»
Mujinga Kambundji, championne d'Europe du 200 m
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Lors d'un sprint, personne ne décide pour vous. Si vous êtes la plus rapide, vous êtes la plus rapide.
Celle qui a tout fait correctement gagne parce qu'elle est la plus rapide. J'aime être jugée sur mes actes.

Vous avez très souvent changé d'entraîneur. Qu'est-ce qui se cache derrière ces changements successifs?
Même après une bonne saison, j'essaie toujours de me remettre en question, de faire une analyse honnête et de m'améliorer. Ce faisant, je me demande toujours: 'les gens autour de moi peuvent-ils encore m'aider à progresser?' Il m'est même arrivé de tout changer en cours saison. Je suis seule sur la piste et j'en assume les conséquences. Si quelque chose ne fonctionne pas, j'en suis la seule responsable.

Quel est l'âge idéal pour une sprinteuse?
Il y a dix ans, j'aurais dit entre 25 et 27 ans, car les meilleures sprinteuses avaient cet âge-là. Mais aujourd'hui, ce sont toujours les mêmes noms qui reviennent, et la moyenne se situe plutôt au-delà de 30 ans, comme Shelly-Ann Fraser-Pryce, Marie-Josée Ta Lou ou Elaine Thompson-Herah. Beaucoup d'athlètes féminines deviennent plus fortes avec l'âge. Tout dépend de la manière dont on s'entraîne.

Et qu'en est-il de votre corps, maintenant, à 32 ans?
Il me pardonne moins qu'avant, mais je me connais mieux. Je dois moins m'entraîner et ma technique est meilleure grâce aux années d'expérience. Je comparerais cela à une jeune fille de 18 ans qui peut faire la fête du jeudi au dimanche et qui n'en ressent rien le lundi, alors qu'à 35 ans, tu te sens mal pendant deux jours juste parce que tu as un peu trop bu. Mais tu sais comment tu fonctionnes.

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«Beaucoup d'athlètes féminines deviennent plus fortes avec l'âge. Tout dépend de la manière dont on s'entraîne.»
Mujinga Kambundjiu, championne d'Europe du 200 m
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Comment votre ami et coach Florian Clivaz vous aide-t-il?
Il a aussi été sprinteur par le passé et comprend bien comment je fonctionne et ce à quoi il faut faire attention chez moi. Il voit aussi tout de suite ce dont j'ai besoin à un moment donné: plus d'accélération, plus d'intensité... Il combine les aspects de l'athlète et du coach, car il s'est entraîné seul la dernière année de sa carrière. Il est important d'être flexible et de pouvoir s'adapter.

Où vous voyez-vous dans dix ans?
Toujours dans le sport, mais plus sur la piste. Et, je l'espère, avec ma propre famille, car j'ai moi-même grandi dans une famille nombreuse.

Votre ex-entraîneur Jacques Cordey a dit un jour que chez les Kambundji, tout se règle à la table de la cuisine. Comment faut-il s'imaginer cela?
(Rires) Oui, nous mangions tous ensemble et parlions beaucoup. Cela a changé depuis, car seule une de mes sœurs vit encore à la maison. Nous nous voyons moins, même si nous nous téléphonons souvent. Ma sœur aînée a deux enfants, j'ai le sport, la troisième sœur vit à Londres. Mais ma famille est hyper importante. Je suis contente que ma sœur Ditaji soit si souvent avec moi. Aux JO de Tokyo, par exemple, la famille n'avait pas le droit d'être là. Mais j'ai pu partager ma chambre avec elle, tout vivre avec elle. C'était précieux pour nous deux.

Les Jeux olympiques approchent donc à grands pas. Vos ambitions ont-elles changé avec le titre européen?
Non, mes objectifs restent les mêmes. Dès le début, je voulais me qualifier pour la finale du 200 m. C'est encore le cas aujourd'hui. Bien sûr, le grand rêve est de remporter une médaille. L'objectif est la finale. A ce moment, tout recommence à zéro et tout le monde a la même chance. Je dois alors fournir la meilleure course possible. Je ne peux pas influencer ce que font les concurrentes. Je souhaite que ces Jeux soient similaires à ceux de la dernière fois, avec deux finales, voire trois si je compte le relais.

Qui viendra à Paris vous soutenir?
Certainement mes parents, ma tante et mon oncle. Mes sœurs aussi, peut-être. Ditaji et moi avons quatre disciplines à disputer. Ce sera donc très intense.

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