Daniel Yule s'en prend au président de la FIS
«C'est fou qu'une personne intelligente ait des idées aussi stupides!»

Grâce à leur victoire en Coupe du monde, les Valaisans Daniel Yule et Ramon Zenhäusern sont candidats à la médaille d'or lors du slalom des Mondiaux. Interview croisée.
Publié: 19.02.2023 à 06:06 heures
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Dernière mise à jour: 19.02.2023 à 09:54 heures
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Marcel W. Perren

Commençons cet entretien par un petit quiz. Quand un Suisse a-t-il remporté pour la dernière fois la médaille d'or lors du slalom des Championnats du monde?
Daniel Yule: Je n'en ai aucune idée! Y a-t-il déjà eu un champion du monde suisse de slalom?
Ramon Zenhäusern: Je ne sais pas non plus. Mais c'était il y a plus de 20 ans.

C'était Georges Schneider, un Neuchâtelois, qui a triomphé aux Championnats du monde d'Aspen en 1950. Mais qui a remporté la dernière médaille suisse en slalom des Mondiaux?
DY: J'avais dix ans lorsque Silvan Zurbriggen a remporté l'argent à St-Moritz en 2003.
RZ: Exactement! Silvan est aujourd'hui une très bonne connaissance. Il m'a donné de préciaux conseils, surtout en ce qui concerne le matériel.

Vous souvenez-vous de votre première course de ski?
RZ: C'était lors d'une course OJ (ndlr: organisation jeunesse) à Fiesch. Mon papa transportait alors dans son sac à dos une vieille tenue de course jaune moutarde, légèrement raccourcie, qu'il avait reçue du grand Pirmin Zurbriggen. J'ai disputé la première manche avec des pantalons de ski normaux et un pull-over, et j'ai terminé neuvième ou dixième. Pour la deuxième manche, mon papa a sorti la combinaison de Pirmin. J'ai ainsi pu me hisser à la cinquième place. Plus tard, je suis souvent monté sur le podium des courses de jeunes avec le fils de Pirmin et son cousin Joel Müller.
DY: J'ai fait mes débuts en compétition à l'âge de cinq ans dans mon village de La Fouly, à l'occasion de l'Erika Hess Open. J'ai tout de suite compris que lors d'une course de ski, je devais aller le plus vite possible du départ à l'arrivée. Malheureusement, je n'ai pas compris que je devais aussi passer toutes les portes. J'ai donc manqué toutes les courses. À l'arrivée, j'étais sûr d'avoir gagné, persuadé qu'il était impossible de maîtriser ce parcours plus rapidement. Ma déception a été d'autant plus grande lorsque j'ai vu le classement. On peut donc dire que j'ai commencé ma carrière comme descendeur et que je suis ensuite devenu un spécialiste du slalom.

A Courchevel, le Haut-Valaisan et le Bas-Valaisan pourraient offrir à la Suisse sa première médaille d'or en championnats du monde de slalom depuis 73 ans.
Photo: Sven Thomann

Dans le groupe Future, vous avez tous les deux été coachés par Didier Plaschy. Quelle a été la séance d'entraînement la plus extraordinaire avec lui?
DY: C'était dans un camp à Zermatt. Le dernier jour, nous n'avons pas pu skier à cause des conditions météorologiques. Nous nous sommes d'abord entraînés sur le trampoline dans le gymnase, ce qui me plaisait. Ensuite, nous sommes allés à la Gemmi avec Didier. Arrivés en haut, il nous a donné l'ordre de descendre un chemin escarpé en sautant – toujours avec nos chaussures rythmiques. Lorsque nous sommes arrivés vers 17 heures sur le parking, j'étais sûr que la journée de travail était enfin terminée. Au lieu de cela, Didier nous a emmenés à Loèche, où il nous a ordonné de faire de la trotinette sur une jambe pour travailler notre équilibre. Bien entendu, nous avons dû mettre nos chaussures de ski pour cette tâche – par 25 degrés à l'ombre. Ramon a enchaîné comme une machine les exercices demandés, tandis que j'ai abandonné au bout d'un tour, complètement exaspéré. Mais ce qui m'a le plus énervé… Alors que je jurais comme un fou, Plaschy ne faisait que rire.
RZ: Didier a toujours attaché une grande importance à ce que nous nous déplacions le plus souvent possible sur la pointe des pieds. Pour encourager cela, il voulait faire un entraînement de condition physique en talons. En talons hauts, on ne peut en effet pas faire autrement que de marcher sur la pointe des pieds. Dans cette situation, j'ai eu beaucoup de chance que ces chaussures n'existent pas dans ma pointure, du 48. La manière dont Didier a procédé à la sélection pour faire partie du centre national de performance est également légendaire.

Comment ça?
RZ: Lors de cette sélection, Didier ne voulait pas du tout nous voir skier avec des skis normaux. Au lieu de cela, nous avons dû descendre d'une piste avec des skis de fond. Dans une neige de printemps, ça a été un vrai défi. Et cela a également entraîné une sélection naturelle. La moitié des aspirants ont quitté volontairement au bout d'une semaine. Et après deux semaines, encore la moitié… J'adorais ce genre de moments, c'était de vraies aventures.
DY: Rétrospectivement, je peux aussi dire que Didier Plaschy m'a beaucoup apporté. Il m'a endurci. Si tu survis aux entraînements avec lui, plus rien ne peut te choquer dans la vie.

Quelle qualité aimeriez-vous piquer à votre vis-à-vis?
DY: Le virage extrêmement rapide de Ramon. Je suis sûr qu'avec lui et Loïc Meillard, j'ai dans mon équipe les slalomeurs qui ont les plus grandes capacités au monde. S'ils skiaient tous les deux à une vitesse aussi constante qu'à l'entraînement, ils se disputeraient la victoire pratiquement à chaque course de Coupe du monde.
RZ: Je n'ai pas besoin de réfléchir longtemps: j'aimerais pouvoir réaliser ma performance en course exactement comme Daniel le fait. Son sang-froid dans les moments décisifs est vraiment incroyable. Surtout si l'on considère qu'il perd généralement beaucoup de temps à l'entraînement.
DY: Pour moi, c'est parfois déprimant de m'entraîner avec Ramon et Loïc. Même si je fais toujours de mon mieux à l'entraînement, je perds énormément de temps par rapport à eux. J'ai réalisé un seul meilleur temps à l'entraînement cet hiver, c'était en Autriche à Hinterreit, alors que je m'entraînais seul… J'ai du mal à me l'expliquer. Mais manifestement, certains de mes adversaires skient plus lentement en course en raison de la nervosité, alors que je peux augmenter mon niveau en compétition.

Daniel Yule s'est imposé à Kitzbühel cette année.
Photo: Sven Thomann

Le spécialiste autrichien de la descente Julian Schütter a écrit une lettre ouverte à la FIS. Il y demande à cette dernière de prendre des mesures de protection du climat. Environ 130 athlètes ont signé cette lettre. En faites-vous partie?
DY: Je l'ai signée. La lettre est bien formulée. Il y a quatre ans, à l'occasion des Mondiaux d'Åre, j'ai été pratiquement le seul à me plaindre publiquement lorsque le président de la FIS de l'époque, Gian Franco Kasper, a nié le réchauffement climatique. Bien que je n'aie cessé de me battre pour des améliorations pendant ces quatre années, rien n'a été fait. C'est pour ça que je suis heureux qu'avec Julian, un autre athlète investisse maintenant de l'énergie dans ce thème si important.
RZ: Je ne me suis penché que marginalement sur cette lettre. Je suis moi aussi à 100% d'avis que nous devrions mieux protéger notre climat – nous avons un problème à cet égard. Et j'essaie de faire ma part. Je fais probablement partie des skieurs qui voyagent le plus souvent en train. Mais je ne suis pas en mesure de montrer l'exemple sur ce sujet. Dans mon métier, je suis trop souvent obligé de prendre l'avion.
DY: Ce qui va se passer après les championnats du monde en raison du calendrier de la Coupe du monde est pour moi une folie absolue! Les skieurs de vitesse s'envolent pour la deuxième fois de l'hiver à l'autre bout du monde, et nous, les spécialistes du slalom, pour une seule course. Ces voyages ne correspondent plus à notre époque.
RZ: Cet exemple est précisément une raison pour laquelle je ne me sens pas apte à jouer un rôle de modèle en matière de protection du climat. Je n'apprécie pas non plus que nous nous rendions aux Etats-Unis pour un seul slalom. Mais en fin de compte, je participe à cet exercice. Il serait donc peu crédible que je me pose en défenseur du climat auprès du public.

Et Ramon Zenhäusern a fait de même à Chamonix.
Photo: AFP

Que pensez-vous de l'idée de Johan Eliasch d'organiser à l'avenir des courses de ski dans les montagnes d'Arabie saoudite ou dans un hall de ski à Dubaï?
DY: Je n'arrive presque pas à croire qu'une personne aussi intelligente et l'entrepreneur à succès qu'est Eliasch puisse avoir des idées aussi stupides. Je m'engage: le jour où des courses en Arabie Saoudite ou à Dubaï feront partie du calendrier de la Coupe du monde, j'arrêterai instantanément!
RZ: Je me réjouirais que notre sport suscite un intérêt mondial. Mais avec la meilleure volonté du monde, je ne peux pas m'imaginer que quelqu'un veuille voir des courses de ski en Arabie saoudite. Si nous voulons vraiment faire quelque chose pour notre climat, nous ne pouvons certainement pas organiser une course dans un hall de ski à Dubaï. Si l'on exploite un hall de ski dans une ville où règnent des températures de 40 degrés et plus, c'est certainement tout sauf écologique.
DY: Dans le cas d'Eliasch, il y a un autre aspect problématique: il n'est tout simplement pas possible qu'en tant que président de la FIS, il puisse toujours travailler pour l'entreprise Head. Le propriétaire de Manchester United ne peut pas non plus être président de l'UEFA. Il se murmure qu'Eliasch continue à payer de sa poche le salaire de certains athlètes de haut niveau de Head. Ce serait à peu près la même chose que si Infantino payait le salaire de Messi – quelque chose d'impensable! Et quand je vois Eliasch enlacer Pinturault, un coureur Head, dans l'aire d'arrivée, cela me fait tout drôle. Il ne m'a pas dit un mot lorsque j'ai gagné à Kitzbühel.

Le slalom des Championnats du monde se déroule ici sur une piste qui n'a encore jamais été au programme de la Coupe du monde. Que savez-vous de ce parcours?
DY: J'ai délibérément pensé le moins possible à cette piste. Il suffit que je sache ce qu'il en est lors de la reconnaissance. Si l'on y pense trop en amont, on ne fait que gaspiller de l'énergie. Cette piste est aussi un terrain inconnu pour la plupart des autres coureurs. Sauf pour Loïc, Marco Schwarz et Alexis Pinturault, qui ont déjà disputé le combiné ici. Mais pour eux aussi, la situation de départ sera très différente, car la piste sera beaucoup plus dure après la préparation. Pour moi, c'est plus important que tout le reste. Mon style de glisse et mon matériel fonctionnent tout simplement mieux sur une surface dure.
RZ: J'ai regardé vers cette pente à chaque fois que nous passions en voiture. Et bien sûr, j'ai aussi regardé le combiné. Je me réjouis que nous ayons une piste différente de celles de la Coupe du monde. Les douze premières portes sont vraiment raides, puis la pente devient moyenne. Le terrain est similaire à celui de La Thuile, dans le Val d'Aoste, où nous nous sommes entraînés ces derniers jours.

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