C'est du gâteau
En cuisine faites ce que vous voulez, mais suivez les recettes

Cuisiner au gré du hasard et des inspirations est à la mode, mais il y a tant à gagner à suivre les recettes à la lettre.
Publié: 15.05.2022 à 10:12 heures
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Dernière mise à jour: 01.06.2022 à 14:02 heures
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Fabien GoubetJournaliste Blick

Les lois régissant l’Univers sont complexes mais peuvent se résumer très succinctement: dans la vie, il y a les personnes qui suivent les recettes, et celles qui improvisent. La nature est ainsi faite.

Ces deux grands systèmes ont maintenu le cosmos en ordre pendant des milliards d’années, mais voilà que les sournois partisans de l’improvisation culinaire tentent de rompre l’équilibre. Référence culinaire, le «New York Times» a ainsi publié l’an dernier un «recueil de non-recettes», censé libérer les apprentis cuisiniers du carcan des recettes. Folie. Oui mais «c’est quand même un bel objet» s’est défendu notre rédacteur en chef, les joues empourprées.

Ce n’est pas le seul ouvrage à explorer ce continent, bien d’autres auteurs s’y risquent. On trouve même désormais des cours de «cuisine intuitive» qui enseignent aux apprentis l’art de la confiance culinaire en faisant fi des règles, des recettes, voire des ingrédients, nous apprend un article du Guardian.

Les gens, faites un effort, «read the fucking manual»!
Photo: Shutterstock

Cette capacité à se lancer à l’aveugle m’impressionne et mérite le respect. Tout comme ce refus de suivre quelques malheureuses consignes m’agace profondément.

D’accord, vous êtes le centre du monde, et après vos papilles, le déluge. Mais un apprenti boucher détaille-t-il ses carcasses à la tronçonneuse les yeux bandés «parce que c’est comme ça qu’il les aime»? Non, il suit des instructions logiques que des experts lui ont confiées.

Qu’y a-t-il de si insupportable à confectionner un plat dont le secret vous est transmis? Et surtout pourquoi s’étonner de trouver votre gratin aussi insipide, puisque vous avez fait n’importe quoi avec la recette?

Le malaise est profond.

La peste soit des recettes pourries

Je dois d’abord dissiper quelques malentendus. Osons avancer cette hypothèse: si les recettes ennuient autant les gens, ce n’est pas sous l’influence d’une injonction de libérer la palette divine de la créativité qui sommeille en eux. Non, c’est juste que leurs recettes sont nulles. Je ne leur jette pas la pierre: grand collectionneur de livres de cuisine, et inscrit sur beaucoup de sites de recettes, je constate que bon nombre d’entre elles sont un ticket en classe éco vers la déception.

Il y a les recettes qui se ratent sur les ingrédients: un légume absent de la liste vient vous narguer au beau milieu des instructions. Ou l’inverse: cette aubergine thaïe jamais utilisée, en dépit de l’avoir payée à prix d’or et d’être parti sous les quolibets de la caissière qui comptait vos pièces.

D’autres recettes sont imprécises, mal rédigées, ou bien conçues pour des experts, avec tout ce jargon culinaire. Je me suis maintes fois retrouvé coi devant de laconiques injonctions du genre «lutez la cocotte» (faut-il la faire sortir du ring? Pas pratique, les bords sont chauds) ou d’énigmatiques «affranchir une poêle» (c’est bien ma veine, la Poste vient de fermer).

Et puis enfin, lorsqu’on arrive à la fin, il y a le résultat, souvent décevant à bien des égards: aucune ressemblance avec la photo, assaisonnement inexistant ou inapproprié, proportions déséquilibrées… Autant de défauts qui transforment ce qui devait être un moment de fête en une corvée à mastiquer. Les engueulades ne sont alors jamais très loin.

Quelle misère. Et encore, ça c’est quand ces recettes ne sont pas franchement ignobles. Sur l’acropole de la cuisine française qu’est Marmiton.org, il y a d’innombrables ratages, mais les pires recettes sont retirées en catimini, expliquait son directeur auprès de Slate. Pas sur Tiktok, où des lasagnes de ramens ou encore de la barbe à papa aux cornichons resteront pour l’éternité, prêts à dégoûter d’imprudents internautes.

La chasse aux bonnes recettes

Rien d’étonnant, compte tenu de cette fort médiocre littérature, que les cuisiniers en herbe se détournent des livres et tentent à peu près n’importe quoi. Il faut bien se nourrir après tout.

Comment trier le bon grain de l’ivraie et mettre de côté les bonnes recettes? Pas de secret: il faut multiplier ses sources, échanger par le bouche-à-oreille… Et bien sûr cuisiner chaque jour.

Personnellement, je me fie beaucoup aux livres de chefs ou auteurs réputés, dont les recettes sont généralement rigoureusement testées. Je fonctionne aussi beaucoup avec les photos. Si mon nerf optique est titillé, probablement que mon palais le sera lui aussi. Je constate aussi que les livres anglo-saxons sont souvent plus didactiques, plus amusants et de manière générale mieux réussis que ceux en français.

Quelle que soit votre approche, constituer sa propre «recettothèque» est un processus sans fin, l’œuvre de votre vie de cuistot que vous léguerez à votre descendance.

Respectez les recettes

Allons encore plus loin: avoir une bonne recette ne suffit pas. Encore faut-il la suivre à la lettre. Il y a plusieurs raisons d’ordre pratique à cela. D’abord parce que cela vous assure de passer à table dans le temps indiqué, au lieu de laisser votre famille en hypoglycémie pendant que vous psalmodiez des incantations mystiques au-dessus du plan de travail.

Ensuite parce que les bonnes recettes le sont pour une simple raison. Elles ont été conçues, testées, adaptées et rédigées par des experts, parfois de grands chefs. En respecter les instructions permet d’acquérir des gestes techniques, de comprendre ce que l’on est en train de faire, et pourquoi. Autant de précieuses connaissances que l’on peut ingérer pour les appliquer plus tard, pourquoi pas en improvisant, une fois devenu plus expérimenté.

Les recettes sont avant tout une rencontre

Mais d’une manière plus importante encore, suivre une recette à la lettre va bien au-delà de la production d’un plat. C’est aussi le vertige d’être le dépositaire du savoir culinaire qui a permis de définir ce qu’est une blanquette de veau ou des spaghettis carbonara qui seront bientôt sur votre table. En ce sens, ces précieux textes sont un lien tissé avec une histoire et une culture culinaires, et plus directement avec le rédacteur de la recette.

Arrêtez de ricaner, je ne plaisante pas. Pour vraiment comprendre quelqu’un, il faut mettre de côté ses a priori, oublier ses goûts et ses préjugés. Il en va de même pour cette recette que vous comptez piétiner.

Cette frénésie de tout adapter est une réalité, à en juger par les commentaires sur Marmiton: «J’ai adoré ce poulet rôti aux pommes de terre, j’ai juste changé le poulet par du chocolat et les pommes de terre par des prunes et j’ai fait une tarte.»

D’accord, tel est votre goût, vous cuisinez ce que vous voulez. Mais en tordant la recette, vous manquez une occasion de comprendre la personne qui a pris du temps et réfléchi pour vous proposer de goûter à sa cuisine, son histoire et sa culture. Et c’est quand même dommage.

Pour terminer cet article sur quelques conseils, voici les recommandations du New York Times (où subsistent des gens qui suivent les recettes, ouf!)

Choisissez de bonnes recettes faites pour être suivies

Comme évoqué ci-dessus, collectionner les bonnes recettes prend du temps. Le quotidien donne un conseil intéressant: préférez les recettes d’auteurs reconnus, qui sont destinées à être suivies à la lettre, plutôt que les anonymes qui sont plus souvent de simples lignes directrices.

Autre conseil: mettez l’accent sur celles qui ont les meilleures notes ou, si vous êtes plutôt porté sur les livres, celles qui sont testées (pour savoir si c’est le cas, on trouve généralement les noms des testeurs dans les remerciements)

Laissez-vous surprendre

Suivre des recettes, c’est s’éloigner de sa zone de confort, avec de nouvelles techniques et de nouveaux ingrédients. Et c’est tout de même plus excitant de découvrir de nouveaux plats que de revenir toujours aux mêmes gimmicks.

Cherchez tous les ingrédients, même les plus rares

La chasse au légume ou au condiment tricky fait partie du plaisir de la découverte des autres cultures culinaires. Que ce soit en ligne ou dans les rayons d’une épicerie exotique, vous découvrirez forcément de nouveaux ingrédients, élargirez votre horizon culinaire voire ferez de sympathiques rencontres.

Lisez bien la recette, et suivez-la à la lettre

Avant d’émincer quoi que ce soit, prenez le temps de lire la recette plusieurs fois. Ces petits commentaires laissés en exergue sont une excellente porte d’entrée dans l’univers du rédacteur. Et cela vous permet de mieux visualiser mentalement ce que vous allez faire dans les minutes qui viennent.

Surtout, résistez à la tentation de changer quoi que ce soit. Dans son dernier livre, le chef Gordon Ramsay propose une superbe tarte à la rhubarbe sucrée avec de la pâte d’amande râpée. J’ai été tenté de la remplacer par du simple sucre, mais j’ai finalement suivi ses instructions et j’ai découvert une incroyable combinaison de saveurs, avec une rondeur de la pâte qui répond parfaitement à la rhubarbe acidulée. Sans cela je serais certainement passé à côté du plus important élément de cette tarte: la gourmandise.

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