Protocole expérimental inclus
Comment éviter que les pommes brunissent?

C'est quoi, cet affreux marron qui recouvre vos magnifiques quartiers de pomme? On vous explique tout, et on vous dit comment l'éviter, expériences scientifiques (ratées) à l'appui.
Publié: 11.11.2023 à 12:21 heures
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Fabien GoubetJournaliste Blick

Ô rage! Ô désespoir! Ô brunissement ennemi! Vous préparez de beaux quartiers de pomme pour vous ou votre progéniture, et voilà que survient le redouté phénomène. Vos belles tranches dorées se transforment inéluctablement en de vulgaires semelles marronnasses toutes flétries, plus du tout appétissantes. À quoi est due cette petite mort, et comment la prévenir? C'est ce que nous allons examiner.

À quoi est dû le brunissement des pommes?

Comme de nombreuses espèces végétales, la pomme contient des polyphénols. Ces molécules «sont notamment responsables de la couleur et de la saveur des fruits, détaille Andreas Bühlmann, du centre fédéral de recherche agronomique Agroscope.

Or, poursuit l'agronome, lorsque la pomme est coupée, sa chair est exposée à l'oxygène. «Les polyphénols sont alors oxydés par des enzymes telles que les polyphénol oxydases et les polyphénol peroxydases, ce qui conduit finalement à la formation d'un pigment brun ou noir», la mélanine, d'où le changement de couleur.

Sel, citron, chaleur ou encore couteau bien aiguisé: le brunissement des fruits n'est pas une fatalité.
Photo: Shutterstock

Ce phénomène porte un nom: le brunissement enzymatique. Il n'y a pas que la couleur qui se transforme: la saveur, l'odeur, la conservation et les propriétés nutritionnelles également. À noter que parfois, ce brunissement est recherché, comme c'est le cas dans le thé ou certains fruits secs, où il intensifie certaines saveurs.

Quels aliments brunissent?

Il n'y a pas que les pommes. Les bananes, les champignons, les avocats, les pommes de terre, les raisins, les olives, les figues, le cacao ou encore les poires sont aussi sujets à cette réaction, pour ne citer que les plus courants. Ce sont principalement des espèces végétales, mais pas uniquement: les crevettes y sont pareillement sensibles.

Peut-on l'empêcher et comment?

Maintenant qu'on a identifié la réaction chimique responsable, on peut essayer de l'inhiber. L'industrie agro-alimentaire a déjà mis au point un certain nombre de parades. Il faut dire que le brunissement entraine chaque année des pertes considérables: 50 millions de tonnes en 2019 rien que pour les bananes, sur une production annuelle de 117 millions de tonnes, d'après des chiffres d'une étude de l'Université de Floride. Les industriels combinent généralement plusieurs méthodes qui altèrent le pH, la température, et la disponibilité de l'oxygène, autant de paramètres qui ralentissent la réaction de brunissement enzymatique.

Tout cela est fort technique, alors on va vite se calmer et faire quelques essais à base de techniques de grand-mères, mieux adaptés à nos petites cuisines. Parmi les remèdes les plus connus se trouvent le jus de citron, l'eau salée, et la chaleur.

Quelle est la meilleure méthode pour éviter que les fruits brunissent?

J'ai procédé à une petite expérience. J'ai immergé des quartiers de pomme mystère (rien d'indiqué sur l'étal du marchand à qui je l'ai achetée), de calibres similaires, dans de petits ramequins remplis d'eau, de jus de citron dilué (½ citron pour 10 cL d'eau environ), ou d'eau salée (¼ de cuillère à café pour 10 cL). J'ai ensuite placé une feuille d'essuie-tout à la surface, de manière à complètement immerger les quartiers dans l'eau et limiter ainsi l'action de l'oxygène.

Après 20 à 30 minutes.
Photo: Blick
Après 2 heures.
Photo: Blick

En guise de contrôle, j'ai placé deux quartiers de pomme dans une coupelle laissée à l'air libre. Puis j'ai pris des photos toutes les heures afin de constater des différences de coloration.

Conclusion de l'expérience, quatre heures plus tard, les quartiers de pomme laissés à l'air libre n'avaient pas bruni d'un iota. Rien, nul, que pouic. Les quartiers immergés non plus, c'est déjà ça. J'étais un peu déçu, forcément. Probable que cette pomme suspecte, sans doute élevée en fut de glyphosate, était particulièrement peu sujette au brunissement enzymatique. J'imagine des archéologues la retrouver toujours dans le même état dans quelques siècles.

Après 4 heures. Non, les pommes dans l'eau salée ne se sont pas désintégrées, je les avais simplement sorties pour les photographier de plus près.
Photo: Blick

Expérience, deuxième essai

Ces 3 variétés de pomme n'ont pas bruni d'un iota. Entre ça et ce moustique qui me nargue en plein mois d'octobre, je suis humilié.
Photo: Blick

Pas découragé, j'ai réitéré l'expérience avec trois autres variétés de pomme. Même résultat scandaleux. Les pommes version 2023 auraient-elles été sélectionnées pour leur capacité à ne plus brunir?

L'hypothèse n'est pas farfelue, comme me l'explique Andreas Bühlmann: «Les pommes que nous consommons de nos jours ont tendance à contenir de faibles niveaux de polyphénols, car ils donnent des saveurs amères et astringentes, tandis que certaines variétés anciennes peuvent en contenir beaucoup plus». Puisque nous préférons tous les pommes sucrées à celles amères, notre goût ainsi que les sélections des cultivateurs ont abouti, de manière consciente ou non, à la présence de variétés moins riches en polyphénols qui brunissent moins.

Il existe d'ailleurs aux États-Unis et au Canada une variété de pomme résistante au brunissement enzymatique: l'Arctic. Mais il s'agit d'un OGM, donc introuvable dans nos contrées.

La pomme OGM Arctic a des gènes codant la production de polyphénol oxydases inactivés: elle ne brunit plus.
Photo: DR

Autre thèse avancée par l'expert: mon couteau santoku utilisé pour découper les quartiers était peut-être trop aiguisé. «On sait que plus le couteau est tranchant, moins les cellules sont blessées et donc moins de polyphénols sont exposés à la réaction d’oxydation». Je suis flatté, car j'entretiens mes lames avec une minutie qui frôle le trouble obsessionnel compulsif. Bravo Fabien, mais l'expérience reste un échec.

Heureusement, le scientifique relate les résultats d'une expérience similaire menée par l'une de ses collègues. Sur cette photo ci-dessous, fournie par Andreas Bühlmann, tous les morceaux de pommes datent de moins d’une heure.

Les variétés de pomme brunissent à des vitesses différentes. les Gala beaucoup plus vite que les Granny Smith par exemple.
Photo: DR

La Granny Smith, la pomme à peau verte, brunit très peu, tandis que les Gala (peau rouge) bronzent très fortement. «Cela dépend d'une part de la quantité de polyphénols dans les variétés - qui peut varier jusqu'à un facteur 3 - et d'autre part de la quantité d'oxydases et de peroxydases, qui peut également varier fortement selon les variétés», explique-t-il. L'expérience s'arrête hélas ici: aucune méthode de lutte contre le brunissement n'a été testée.

Bon, et j'en fais quoi, de mes pommes?

Reste à interroger l'expert sur la meilleure technique selon lui. Andreas Bühlmann écarte d'office les solutions qui ne font selon lui aucun sens, telles que les pommes vendues dans un sac plastique hermétique, ou les variétés OGM.

«Si vous le souhaitez, vous pouvez ralentir le brunissement de différentes manières au quotidien. Le jus d'ananas ou de citron inhibe les polyphénol oxydases, ce qui ralentit la réaction. Les antioxydants tels que l'acide ascorbique [la vitamine C, présente dans le citron] aident à absorber l'oxygène et inhibent aussi davantage la réaction.» De mon point de vue, le problème de cette méthode, c'est qu'elle acidifie nettement le goût des pommes, même en diluant le jus de citron. Enfin, tant que ça fonctionne…

Andreas Bühlmann cite également la température, qui «dénature les enzymes qui ne sont alors plus actives». Quelques recherches semblent corroborer cette affirmation: des quartiers de pomme pendant une minute dans de l'eau bouillante conservent bien leur couleur d'origine. Mais ils perdent aussi leur croquant et leur fraîcheur.

L'expert ne dit mot sur le sel, alors j'ajoute mon grain. Lors de mes expériences, j'ai constaté que les pommes immergées quelques minutes dans de l'eau salée ne présentaient qu'un infime goût de sel, qu'on peut facilement éliminer en rinçant les quartiers sous un peu d'eau froide. Mieux, les quartiers ainsi rincés n'avaient pas plus bruni que les autres plusieurs heures plus tard. Cette solution reste donc intéressante (et bien moins chère à mettre en œuvre que le jus de citron): laissez tremper vos quartiers 10 minutes dans de l'eau légèrement salée avant de les rincer et de les stocker, et le tour est joué.

Cette solution me semble donc la plus efficace. Du moins si on élimine l'astuce du couteau aiguisé…

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