J'ai testé pour vous
Le meilleur job à Paléo? Goûteur mystère, évidemment

Si vous vous régalez sur les stands à Paléo, c'est aussi grâce à eux: une cinquantaine de clients mystères qui évaluent la qualité de l'offre culinaire du festival. Et contribuent ainsi à l'élever.
Publié: 04.07.2023 à 13:07 heures
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Dernière mise à jour: 12.07.2023 à 10:05 heures
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Fabien GoubetJournaliste Blick

Une fois n'est pas coutume, commençons par la fin. 22h45: après avoir mangé une raclette en compagnie de deux membres de l'équipe des goûteurs de Paléo, je m'apprête à rentrer chez moi.

Mais pour les deux compères, la soirée est loin d'être terminée: hamburger puis sandwich au magret de canard attendent encore le premier, quand le second va attaquer un resto ukrainien et peut-être une autre raclette. Ou une planchette, il verra bien. Tel est le quotidien des goûteurs mystères de Paléo, qui écument chaque stand aussi méticuleusement que méthodiquement pour s'assurer que la qualité est au rendez-vous.

Rendez-vous m'était donné devant un stand très très suisse qui était à leur menu du jour, afin de me fournir un aperçu de leur travail et de me faire comprendre comment Paléo est devenu «un festival de bouffe avec des petits stands musique par-ci par-là», pour paraphraser Yann Marguet.

Le temps d'une raclette, je suis devenu moi aussi un goûteur mystère de Paléo.
Photo: Fabien Goubet
Articles Paléo

Cet article a été publié l'année dernière dans le cadre de notre couverture du festival Paléo 2022. Le contenu a été mis à jour, mais certaines personnes peuvent avoir changé de fonction depuis la publication initiale.

Cet article a été publié l'année dernière dans le cadre de notre couverture du festival Paléo 2022. Le contenu a été mis à jour, mais certaines personnes peuvent avoir changé de fonction depuis la publication initiale.

Un travail de rêve

Mes deux rencards (appelons-les Maïté et Jacqueline*, pour garantir leur anonymat) font partie d'un jury d'une petite cinquantaine de goûteurs dont huit gloutons, des ceintures noires neuvième dan de dégustation.

Maïté et Jacqueline disposent toutes deux d'une certaine expérience du monde de la restauration et officient ici depuis une vingtaine d'années. Parmi leurs collègues, d'autres spécialistes tels que des ex-inspecteurs en hygiène alimentaire, mais aussi nombre de Monsieur et Madame Tout-le-monde.

Leur travail de rêve consiste à manger chaque soir environ quatre plats chacun, davantage encore pour les plus gloutons. Puis de les noter de 1 à 10 sur de petites fiches, selon des critères pondérés: décoration du stand, accueil par le personnel, propreté des lieux, qualité du plat et enfin le rapport quantité/prix. Les fiches sont ensuite centralisées, leur contenu saisi informatiquement et les moyennes finales calculées.

En-dessous de 6, le goûteur doit justifier sa note. Un feedback sera adressé au stand dès le lendemain.
Photo: Fabien Goubet

Les stands sur le grill

Bon, c'est pas tout ça, mais c'est l'heure de manger. Nous nous dirigeons tous trois vers le comptoir pour y commander quelque chose. «C'est toi qui vas faire la notation alors observe bien tout ce qui se passe», me dit Maïté. Nous commandons chacun une portion de raclette. Je scrute toute ce qui se passe en cuisine l'air de rien, avant de repartir avec mon assiette chaude, prêt à remplir ma petite fiche de ma plume impitoyable.

  • Déco: bof, c'est classique, un simili-chalet avec des drapeaux suisses, d'accord on sait où on est mais ça mériterait un petit rafraîchissement. C'est un 6.
  • Propreté: correcte, mais c'est le même personnel qui manipule les terminaux et la nourriture. Allez, 6.
  • Accueil: un peu nerveux, mais il s'est vite amélioré et nous avons été rapidement servis avec le sourire. Ce sera 8.
  • Goût: la raclette est délicieuse, sa religieuse croustillante, le fromage a du caractère, il est bien affiné, les pommes de terre sont chaudes. Un joli 9.
  • Le rapport quantité-prix récolte un 9 pour cette raclette vendue 8 francs.

Nous sommes globalement d'accord sur les notes. Elles disent qu'elles veulent m'engager. Je leur réponds que je réfléchirai.

Au verso, un petit aide-mémoire aide à mettre la note la plus juste.
Photo: Fabien Goubet

Des notes épicées

Je rends la petite fiche. Des stands tels que celui-ci sont visités trois fois. En cas de pépin (une note inférieure à 6), un feedback leur est adressé dès le lendemain par une autre équipe de la régie des stands. Cette échoppe suisse sera vraisemblablement prévenue qu'on attend d'elle de mieux séparer l'encaissement et la manipulation des terminaux. Pour la déco, ce sera plutôt l'année prochaine, évidemment.

Cela peut paraître sévère, mais ces feedbacks rapides permettent de corriger bien des problèmes. L'attente était-elle trop longue? L'accueil peu souriant? Les plats un peu froids? Tout défaut, même mineur, est immédiatement remonté. «Nos observations ne sont pas faites pour les enfoncer, mais pour les aider à s'améliorer, précise Jacqueline. Pas mal de choses peuvent se régler rapidement.» Et lorsque les défauts s'accumulent sans être résolus, Paléo peut mettre fin à la collaboration.

Ce système permet d'élever le niveau. En début de festival, les «moins bons» stands de l'édition précédente sont inspectés en priorité, pour s'assurer de leur progression. Et ça fonctionne, à en croire Jacqueline et Maïté. Les notes moyennes progressent chaque année, elles sont désormais rarement «inférieures à 6».

La qualité, la variété, les prix pratiqués ou encore l'hygiène (par ailleurs vérifiée par de «vrais» inspecteurs qui effectuent en douce des prélèvements dans des pipettes): tout a été tiré vers le haut grâce à ce système qui entretient en permanence une compétition contre soi, une volonté de mieux faire. «Avant, l'offre alimentaire se résumait à des kebabs et de la street food asiatique, c'était peu varié et pas toujours très bon. On s'est séparé des moins bons, et aujourd'hui on a pu introduire une variété et une qualité incroyables», se réjouit Maïté.

La paella-gate, sombre affaire

Fins connaisseurs du marché, des fournisseurs et de leurs tarifs, les pros de la restauration présents parmi les goûteurs repèrent immédiatement les stands qui pratiquent des prix abusifs, affirme Jacqueline, qui se souvient d'un stand de paella à qui Paléo avait dû réclamer des explications: «Après une excellente première saison, il était revenu avec les mêmes tarifs, mais chaque assiette contenait moitié moins de poulet, et la crevette auparavant présente avait disparu. Cela ne nous semblait pas normal.»

En vous promenant dans les allées du festival, prêtez attention aux odeurs. Là où ça sent souvent la friture et rien d'autre dans d'autres événements, les travées de Paléo sont une tornade olfactive et salivante. Odeurs, déco, saveurs, authenticité: plus que de la street food, c'est toute une expérience gastronomique qui est proposée.

«L'idée derrière tout cela, c'est de guider les gens, de leur donner des valeurs sûres. On veut que toute personne qui fréquente le festival, où qu'elle s'arrête, soit satisfaite de son repas», décrit Maïté. Grâce à ces braves gourmands qui donnent de leur personne, le Paléo a pu élever son niveau gastronomique et peut se vanter d'être un festival où l'on mange très bien.

On lorgne aussi les autres festivals

Et cela ne s'arrêtera peut-être pas là, car ces goûteurs, en visitant d'autres festivals, reviennent avec des idées qui seront peut-être un jour développées ici, sous des formes différentes. «J'ai mangé un plat incroyable au Hellfest, servi dans une assiette faite en pain. À la fin, il n'y a aucun déchet. C'est intéressant comme démarche», illustre Maïté, à deux doigts d'avoir redécouvert le sandwich. Elle cite également les shows culinaires pratiqués dans certains festivals à l'étranger, tel le Big Feastival au Royaume-Uni, événement où artistes musicaux et chefs se partagent le line up, entre concerts et shows culinaires à la gloire de la bonne bouffe.

Mes hôtes s'en vont manger ailleurs. C'est pas trop fatigant au fait? «Ho, on se lève parfois avec la gueule de travers à la Picasso, mais quand votre job c'est de faire plaisir aux gens, ça donne la banane», sourit Maïté.

* non, cet astérisque ne sert à rien

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