Tomates cerises, parmesan...
L'umami, une saveur aussi subtile que controversée

La «cinquième saveur» régale autant qu'elle divise. Plongée dans son histoire, avec en bonus nos astuces pour s'amuser avec en cuisine.
Publié: 17.04.2022 à 10:45 heures
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Fabien GoubetJournaliste Blick

On la présente souvent comme la cinquième saveur, aux côtés du sucré, du salé, de l’acide et de l’amer. L’umami est une saveur subtile, difficile à décrire. Les autres sont plus clairement identifiables. Le sucre est sucré, le sel est salé, le citron est acide, et la gentiane est amère, c’est abusé. À la fois neutre et puissant, l’umami est… une «essence de délice», traduction littérale du mot japonais proposé en 1908 par Kikunae Ikeda, chimiste japonais ayant isolé la substantifique moelle de l’umami: l’acide glutamique, libéré lors de l’infusion de feuilles d’algues konbu dans les bouillons dashi.

Un goût d’enfance

Bon d’accord, mais en bouche, ça donne quoi exactement cet umami? «La saveur umami n’est pas aussi flagrante que les autres saveurs. Elle s’exprime par une certaine rondeur, une légère acidité et une longueur en bouche prononcée. C’est une sensation bizarre qui donne un sentiment d’harmonie et de bien-être», décrit Kenji Steiner, le chef du restaurant Doki Doki à Lausanne. A moitié japonais, le chef a grandi dans un environnement culinaire umami, même si le mot est venu bien plus tard. Sa mère ajoutait ainsi quelques fines lamelles d’algue konbu dans des pickles de chou, «et le plat, pourtant assaisonné avec du sel, du soja et du citron, changeait complètement», raconte-t-il.

De par sa découverte, l’umami est historiquement associé à la gastronomie japonaise, avec des ingrédients phares tels que les bouillons, la sauce soja ou la pâte miso. Mais on trouve cette saveur dans de nombreux produits en dehors de l’archipel. Les tomates cerises, le parmesan, le roquefort et plus largement les sources de protéine animale revêtent de telles notes. Figurez-vous que le lait maternel serait très umami, de quoi assurer un petit goût de reviens-y pour bébé.

Photo: Getty Images
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Autrement dit en Europe comme dans la famille de Kenji Steiner, on cuisinait de l’umami depuis longtemps sans avoir de mot pour le dire, tels des Monsieur Jourdain du Malade Imaginaire qui faisaient de la prose sans le savoir. «Les cuisiniers français tels qu’Auguste Escoffier parlaient de rondeur, de corps ou de volume, les allemands de würzig… il n’y avait pas encore le vocabulaire actuel mais la saveur existait bel et bien» rappelle Nicolas Godinot, neuroscientifique spécialiste de l’olfaction et conservateur au musée de l’Alimentarium à Vevey.

L’acide glutamique isolé par Kikunae Ikeda est un des 21 acides aminés, les briques élémentaires des protéines. «De nombreux aliments contiennent des protéines et donc de l’acide glutamique, mais pas forcément sous forme libre», précise Nicolas Godinot. Or c’est sous cette forme que s’exprime la saveur. Pour libérer l’acide, il faut donc travailler le produit. Crues, les tomates cerises n’ont que très peu de saveur umami, qui s’exprime davantage après cuisson ou fort mûrissement. Idem pour le parmesan, fromage à long affinage où bactéries et levures font le travail à notre place. Kenji Steiner explique faire ressortir l’umami de sardines niboshi en les faisant infuser, entre autres techniques.

Baratin à la mode ou saveur addictive?

L’histoire de l’umami est chaotique. Il a fallu des décennies avant qu’il ne soit formellement établi en 1990 que la saveur était bien une saveur fondamentale, et non une combinaison d’autres saveurs. «Entre les années 1960 et 1990, certains y voyaient une association de sucré et de salé», raconte Nicolas Godinot. Puis dans les années 2000, le fonctionnement de récepteurs spécifiques de l’umami, situés dans les papilles gustatives, ont été documentés dans divers travaux, notamment par des scientifiques de l’université de Miami, ville dont le nom est un quasi anagramme d’umami, soit dit en passant.

Malgré tout, certains scientifiques ne se disent toujours pas convaincus. Hervé This, physico-chimiste français spécialiste du goût, n’y voit par exemple que du «baratin» poussé par l’industrie agro-alimentaire.

Ayant perçu le potentiel commercial de sa découverte, Ikeda s’est en effet associé dès 1909 à un partenaire pour fonder la firme Ajinomoto afin d’industrialiser la production de monoglutamate de sodium (MGS), un sel d’acide glutamique.

«La saveur umami n’est pas celle du monoglutamate de sodium, puisque l’ion sodium contribue puissamment à la saveur, et que l’infusion des algues konbu libère également de l’alanine, un autre acide aminé qui possède sa propre saveur», assure Hervé This, pour qui il faudrait plutôt parler des saveurs des acides aminés et non pas se limiter à quatre ou cinq saveurs fondamentales.

On trouve aujourd’hui du MGS Ajinomoto en Suisse, mais il reste moins populaire que l’arôme liquide de Maggi ou l’Aromat de Knorr, qui sont des mélanges de monoglutamate de sodium et d’autres ingrédients. Si vous voulez vous amuser avec l’umami, on vous déconseille toutefois d’utiliser ces produits. D’abord parce que vous risquez d’en mettre trop, et dans tous vos plats, sans aucune raison. Vous avez entendu parler du «syndrome du restaurant chinois»? Sous cette dénomination fort peu amène se cache un ensemble de symptômes qui surviennent – très rarement – après que certaines personnes ont mangé un repas asiatique riche en glutamate. La molécule a longtemps été suspectée de déclencher une forme de réaction allergique (rougissements, brûlures dans le corps, douleurs thoraciques…), mais aucune étude rigoureuse n’a formellement établi de lien de cause à effet.

Toujours est-il que dans les années 1970 et 1980, bien des restaurants asiatiques usaient et abusaient du condiment dans la totalité de leurs plats, qui finissaient par avoir tous le même goût. Et que d’autres expériences montrent que des souris, même bien nourries, ne peuvent s’empêcher de s’abreuver de bouillon dashi, indice suggérant l’existence d’une forme d’addiction à l’umami.

Bref pour toutes ces raisons, évitez ces poudres et sublimez vos produits afin d’en faire ressortir la saveur umami.

Des tomates cerises assaisonnées d’un peu d’huile d’olive et de sel et rôties pendant 45 minutes à 180°C (avec un peu d’eau dans le fond du plat) relèveront leur saveur umami, promis juré. Si vous partez sur un bouillon de volaille, faites revenir quelques légumes (carotte, oignon) dans de l’huile et ajoutez une poignée de champignons shiitaké, connus pour leur saveur umami, avant d’ajouter votre volaille. Ne mettez pas de sel et dégustez la subtile saveur umami de votre bouillon.

Si vous avez plutôt soif, quelques gouttes de sauce Worcestershire dans un Bloody Mary relèvera agréablement votre cocktail… à base de jus de tomates. Il y a de l’umami partout!


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