Un business risqué
Pourquoi tant de restos végans ferment en Suisse romande?

Ces dernières années, nombre de restos végans de Romandie ont fermé leurs portes. Aspects culturels, financiers ou liés aux villes, les causes sont multiples.
Publié: 06.05.2023 à 12:33 heures
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Dernière mise à jour: 07.05.2023 à 10:05 heures
Amal Safi

Encore un resto végan qui a baissé le rideau. Le Bliss, adresse fribourgeoise exclusivement végane installée dans une ancienne boucherie depuis 2018, a fermé le 31 mars dernier.

Même sort pour le Vert’igo by Anna à Lausanne et sa cuisine végétale contemporaine, qui a rendu son tablier en octobre dernier. Et qui se souvient du Bad Hunter? Cette adresse végane branchée qui avait fait mouche au cœur du quartier du Flon, n’aura duré que deux ans. À sa place se trouve aujourd'hui l’Officine, un bar-restaurant de style brasserie-chic qui a remis viande et poisson au menu.

Les adresses véganes souffrent-elles en Suisse? En Romandie peut-être, mais en tout cas pas de l'autre côté de la Sarine. Alors que certains établissements ferment ici, d’autres fonctionnent du tonnerre là-bas, parfois depuis plus de 120 ans!

De plus en plus de restos végans baissent le rideau en Suisse romande.
Photo: Shutterstock

Le Hitl est une institution à Zurich depuis 1898. Un énorme buffet gourmand dans une ambiance sophistiquée, avec décoration néon et mur végétal. Dans un registre similaire, Tibits lancé au début des années 2000 est désormais bien implanté dans neuf villes suisses-alémaniques, de Lucerne à Bâle, en passant par Winterthour ou Berne, et depuis 2018 à Lausanne, où il occupe l’ancien buffet de la gare.

Un rösti-graben du végétarisme

Amoureux de la cuisine végétale, Pablo Reyes Del Canto, propriétaire du restaurant Comac et du Perroquet bar à Lausanne, a exercé pendant neuf ans en tant que chef dans des établissements mixtes à Berne et à Zurich. Selon lui, «les Suisses alémaniques ont une culture végétarienne plus ancienne. Ils sont plus conscients des enjeux écologiques et de respect de l’animal que les Romands, qui eux sont plus latins, traditionnels et moins curieux à tester de nouvelles propositions».

Après avoir travaillé de l'autre côté de la Sarine, Pablo reyes Del Canto estime qu'il y a d'importantes différences culturelle entre Suisse romande et Suisse alémanique.
Photo: Amal Safi

Le problème se résumerait-il donc à une question culturelle? «Dans les restaurants où je travaillais, comme le Muesmatt ou le Fischerstübli à Berne, plus de 70 à 80% des plats vendus étaient des mets végétariens. Beaucoup de nos clients nous disaient ne manger de la viande qu’une fois par semaine et que cela leur suffisait amplement.»

Le 100% végan reste une micro-niche

Parmi les difficultés auxquelles sont confrontés les restaurants végans figure leur maigre clientèle potentielle. D’après un sondage de Swissveg mené en 2022, un groupe d’intérêt créé en 1993 et réunissant personnes véganes et végétariennes de Suisse, les personnes exclusivement végétariennes (véganes incluses), ne représenteraient que 5% de la population.

La part des personnes qui se disent «flexitariennes» (qui mangent de la viande de manière très occasionnelle, et donc a priori ouvertes à ce type de gastronomie) serait de 24%, avec une majorité de femmes et de jeunes de moins de 34 ans.

Des réussites même en Romandie

Autre obstacle, le végétarisme reste de manière générale un phénomène de société plus répandu dans les grandes métropoles multiculturelles que dans les agglomérations plus modestement peuplées.

La preuve à Genève, chez Alive, une affaire qui tourne depuis plusieurs années. Ancienne pizzeria transformée par ses propriétaires en un espace bien-être, avec cours de yoga et pilates, magasin de superfood et offre de «life therapy», l’espace dispose d’une cuisine qui propose des plats présentés comme sains, avec pad thaï, brunch ou dessert du moment, totalement végans.

Certes, le public cible est plutôt une clientèle très sensible à la culture végan. Mais il existe aussi des restaurants végans plus accessibles à la population générale.

«On ne peut pas décliner le végan à l'aveugle»

La cantine décontractée Ou bien encore, située dans le quartier arty des Bains, sert une cuisine exclusivement végétale depuis bientôt neuf ans. On y croise une clientèle d'expatriés anglophones, de touristes, mais aussi de personnes actives du quartier qui cherchent un coin de terrasse ensoleillée pendant leur pause midi. Le restaurant peut compter sur une base de clientèle plutôt large, que des établissements dans de plus petites villes auraient du mal à réunir.

Et pour que les clients reviennent, l'équipe des tenanciers Delphine et Edouard Rouviere font évoluer leur carte en permanence. Les recettes changent, s'améliorent, des plats moins chers apparaissent pour rester accessibles à tous les budgets. On y trouve ainsi désormais des mets à partir de 16 francs, loin du cliché du restaurant végan hors de prix.

Viennoiseries et pâtisseries dignes d’un coffee shop new-yorkais, hamburgers, tartines, soupes ou pancakes: les plats sont simples, abordables, et le succès est là. Comme le dit Julien, un employé de la maison, «la restauration végane n’est pas un concept qu’on peut décliner à l’aveugle, sinon c’est du fast-food, mais bien un savoir-faire culinaire, et une adaptation constante à la clientèle et à ce dont elle a envie». Plus que des contraintes liées à l’absence de produits d’origine animale, tenir un resto végan est un exercice périlleux. «C’est le savoir-faire en cuisine, la capacité de créer des repas savoureux, sains, avec des produits de bonne qualité tout en parvenant à conserver des marges intéressantes» qui sont les conditions pour durer, conclut Julien.

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