Un mois de lutte... en douceur
«Le consommateur ne se rend pas compte de la quantité de sucre qu'il ingurgite!»

Durant tout le mois de mai, une action permettra aux Romandes et Romands d'y voir plus clair dans leur consommation de sucre. Une diététicienne nous explique l'importance de la prévention face à ce véritable problème de santé publique en Suisse. Interview.
Publié: 19.04.2023 à 09:01 heures
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Dernière mise à jour: 29.04.2023 à 09:59 heures
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Thibault GilgenJournaliste Blick

«Vous aimez bien tout ce qui est bon? C’est très mauvais!», clamait une bonne sœur dans «La grande vadrouille». L’adage est bien connu et les professionnels de la santé veulent faire passer le message. Pendant tout le mois de mai, ils vont déclarer, en douceur, la guerre au sucre. Partout en Suisse romande, l'action intitulée Maybe Less Sugar va rythmer le printemps avec des activités ciblées sur sa présence toujours plus préoccupante dans nos aliments et nos organismes.

Piloté par DiabèteVaud, le projet a pour objectif d’informer sur un mal caché qui nous guette toutes et tous: les sucres industriels. En Suisse, ce sont 110 grammes qui sont ingurgités par personne chaque jour. Avoir conscience de l'existence du problème est une chose, mais savoir où il se trouve en est une autre. Où se cachent ces fameux sucres ajoutés? Quelle quantité en absorbe-t-on? Pourquoi et comment les diminuer? Des tables rondes, conférences ou ateliers seront proposés pour permettre aux consommateurs d’y voir plus clair et de se tenir informés. Ceux-ci sont aussi invités à s’inscrire sur le site Internet de la manifestation pour participer aux événements et découvrir leur consommation personnelle, via un calculateur en ligne.

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Maybe Less Sugar a été lancé ce 28 avril dans les gares de Suisse romande et marquera sa présence dans divers rendez-vous, comme les 20km de Lausanne ou le Miam Festival. Il faut dire que derrière un design fruité et alléchant se cache une vraie inquiétude, celle de ne bientôt plus pouvoir combattre efficacement les pathologies graves liées à la consommation de sucre dans la population. Céline Blanc, diététicienne à Lausanne, partage comme ses confrères ce constat et tire la sonnette d’alarme. Interview.

L'action de prévention Maybe Less Sugar entend informer et lutter contre la surconsommation de sucres industriels partout en Suisse romande pendant le mois de mai.
Photo: Getty Images
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Céline Blanc, vous êtes diététicienne pour les CMS lausannois (ndlr: les centres médico-sociaux, chargés des soins à domicile). Quelle est votre mission quotidienne?
En tant que professionnels de la santé, notre objectif est de nous assurer que nos clients couvrent leurs besoins nutritionnels et qu’ils se nourrissent de manière saine et équilibrée. Nous allons aussi veiller à différentes pathologies. Dans le cas des soins à domicile, nous avons souvent affaire à des cas de dénutrition, c’est-à-dire que l’alimentation de nos bénéficiaires est insuffisante, qu'elle ne couvre pas les besoins de l’organisme. Mais cela peut aussi être du diabète, des problèmes cardio-vasculaires, des situations de surpoids ou d’obésité notamment. Nous faisons tout pour que nos clients couvrent leurs besoins nutritionnels et qu’ils soient en bonne santé. Axée sur le sucre, l'action de prévention prévue pendant le mois de mai a exactement le même but auprès de l'ensemble de la population.

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«Il sera difficile de trouver des solutions sur le sucre si nous se sommes pas tous partenaires»
Céline Blanc, diététicienne
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Vous parlez des pathologies: on apprenait justement en mars dans «24 heures» que les problèmes de santé liés au sucre augmentaient fortement en Suisse. Rien qu’à Lausanne par exemple, le taux de diabète, de surpoids ou d’hypertension a explosé en l’espace de 20 ans. C’est inquiétant, non?
C’est certain! Toutes ces maladies chroniques qu’on appelle «non transmissibles», comme l’obésité, le diabète de type 2 ou les maladies cardio-vasculaires, augmentent fortement dans toute la population. Certaines actions sont entreprises pour tenter de freiner ce phénomène et il est important d'informer sur le sujet, d'où la pertinence d'une action comme Maybe Less Sugar. Car on observe une vraie problématique, dans toutes les tranches d’âges, aussi bien chez les enfants que chez les adultes.

Quelles sont les causes de cette augmentation? Le sucre n'est tout de même pas responsable de toutes les pathologies à lui tout seul?
Le sucre peut être mis en cause, c’est certain. Mais il n'est évidemment pas le seul. Je pense qu’il y a une multitude de facteurs qui expliquent l’augmentation de ces pathologies. Nous sommes une population de plus en plus sédentaire, à tout âge de la vie, ce qui favorise logiquement les maladies que nous venons d'évoquer. Notre alimentation joue bien sûr un rôle très important. Nous mangeons de plus en plus de produits ultra-transformés – des produits industriels riches en graisse, en sucre et en sel – qui favorisent les pathologies. Il y a aussi des facteurs environnementaux. Mais il est clair que le sucre joue un rôle central et que ce sujet est très débattu en ce moment.

Fin février, le Parlement a aussi rejeté deux initiatives qui visaient à réduire le sucre dans les produits industriels. Cette décision est-elle compréhensible pour vous?
Cette décision est très regrettable. Nous avions là deux initiatives intéressantes, qui pouvaient réellement faire évoluer les choses, ou du moins permettre d’effectuer un premier pas. Notre mission, en tant que professionnels de la santé, aurait pu être facilitée par une aide venant de l’État. Avec ce refus, on reste malheureusement figé dans nos problématiques actuelles. Je pense vraiment qu’il sera plus facile d’endiguer ces maladies et de progresser sur ces sujets si nous sommes tous partenaires.

Les professionnels de la santé manquent-ils de moyens pour lutter contre le diabète ou les maladies cardio-vasculaires notamment?
Il existe quand même des outils qui ont été mis en place. On met beaucoup l’accent sur la prévention, et Maybe Less Sugar en est un très bon exemple. Maintenant, tant que l’État ne va pas dans le sens des soignants, les choses vont être un peu compliquées. On voit bien avec ces initiatives refusées que l’économie passe probablement avant la santé en Suisse. Tant que l’on garde cette vision, il sera difficile d’avancer. Mais notre travail de diététicien est précisément de lutter contre la malnutrition et de se battre contre les problématiques qui touchent notre métier. Le thème du sucre est central et nous avons des outils à disposition, à notre échelle. Ceux-ci sont malheureusement à portée individuelle, voire pour de petites collectivités, mais pas à portée nationale.

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«80% des produits que l'on trouve en supermarché sont ultra-transformés»
Céline Blanc, diététicienne
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L'événement a pour but de faire prendre conscience que le sucre est partout. Mais il est en grande partie caché. N'est-ce pas là le vrai piège pour le consommateur?
Quand on sait qu’en rentrant dans un supermarché, 80% des produits que l’on trouve sont des produits industriels, ultra-transformés, donc riches en sucre et en graisses, on peut dire que le sucre est un énorme problème! Le consommateur ne se rend absolument pas compte qu’il ingurgite quantité de sucre lorsqu’il mange une sauce tomate en boîte, des sodas, des yogourts aux fruits ou moka, pour ne citer que quelques exemples. Il est en effet caché absolument partout et il est très difficile d'en connaître la teneur exacte dans les différents produits.

Sommes-nous pour autant prêts à changer nos habitudes de consommation?
Je pense que certaines personnes sont prêtes à le faire. Pour d’autres, cela risque d’être compliqué. En effet, le sucre est un substance addictive et certains personnes y sont accros. Il faudra que la population accepte de modifier ses habitudes de consommation et que les industriels réduisent de manière progressive la teneur en sucre de leurs produits afin que la population s’y habitue progressivement.

L’instauration du nutri-score, cette palette de couleurs sur les emballages permettant soi-disant au consommateur de s’y retrouver, a fait beaucoup parler ces derniers temps également. Est-ce tout de même un moyen d'avoir une bonne vision du sucre que l'on ingurgite?
Si le nutri-score permettait vraiment de simplifier la lecture des étiquettes pour les consommateurs, ce serait une très bonne chose. Mais je ne suis pas certaine que ce soit les cas. Il manque plusieurs outils pour comprendre une étiquette nutritionnelle, cela ne suffit pas de s’arrêter à une couleur rouge ou jaune. Ces nutri-scores sont basés sur des critères liés à des catégories de produits. Mais il faut aller plus loin dans la réflexion. Une huile est par exemple rouge parce qu’elle est riche en graisses. C’est en même temps tout à fait normal qu’elle le soit. Cela ne nous dit rien de plus. Encore une fois, cela sert à comparer des produits de même catégorie, mais le consommateur ne le sait pas forcément et il en ressort encore plus confus. C’est un ajout de plus sur la quantité d'informations présentes sur l'emballage et je ne pense pas qu’il permette de s’y retrouver davantage qu’auparavant.

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«Une partie de la population n'a pas accès à la prévention»
Céline Blanc, diététicienne
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Les personnes qui souffrent de différentes pathologies sont-elles forcément condamnées à être perdues et désemparées face à cette problématique, ou existe-t-il quand même des moyens de rester lucide sur ce que l’on consomme?
En consultant des professionnels, il y a tout de même une bonne chance d’être au clair sur ce que l’on consomme. Plus généralement, beaucoup de personnes ont accès à des informations via des concepts de prévention ou d’éducation qui permettent de faire les bons choix alimentaires. Mais une partie de la population n’a malheureusement pas accès à cela et se retrouve totalement perdue. Si on parle d’obésité ou de diabète de type 2 par exemple, c’est plutôt cette population-là que l’on aurait envie d’atteindre, car c'est elle qui est le plus à risque.

Quel est l'enjeu pour l'avenir? Doit-on passer par une législation ou trouver une autre voie, par défaut?
Je pense que sans lois et sans passer par l’État, cela va être compliqué. On a pu observer chez nos voisins européens une diminution rapide des achats et de la consommation des produits sucrés dès qu’une taxe sur les boissons sucrées était instaurée (ndlr: ce qui n’est pas le cas en Suisse). Le Portugal a même pu démontrer déjà une réduction de la prévalence de l’obésité pédiatrique. On voit donc que ces mesures ont un impact fort. Sans ces décisions, on peut bien sûr mener un travail pour améliorer la situation, mais c’est beaucoup plus long et difficile. Il va falloir mettre en œuvre énormément de choses.

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