Promesses et paris risqués
Comment les crypto-influenceurs gagnent leur vie sur le dos des néophytes

Les crypto-influenceurs gagnent de l'argent, quel que soit le cours des cryptomonnaies, en abusant souvent de l'ignorance des nouveaux investisseurs. Blick a passé leurs techniques de vente à la loupe avec un expert du secteur.
Publié: 29.10.2022 à 06:41 heures
Nicola Imfeld

L’investissement dans les cryptomonnaies est à double tranchant: vous pouvez gagner comme perdre beaucoup d’argent d’un coup. Dans ce monde, il y en a toutefois qui sortent toujours gagnants: les crypto-influenceurs. Suivis par une large communauté sur les réseaux sociaux, comme YouTube, TikTok ou Instagram, ces derniers conseillent leurs abonnés et leur promettent monts et merveilles dans la jungle du crypto-investissement.

Christopher Jaszczynski (alias MMCrypto) est l’un de ces influenceurs d’un nouveau genre. Avant de s’intéresser au secteur des cryptomonnaies, et plus particulièrement au bitcoin, fin 2017, cet Allemand était chauffeur de taxi. Désormais, il partage ses conseils d’investissement à plus d’un demi-million de personnes sur sa chaîne YouTube, dont les vidéos postées fréquemment sont vues chacune entre 50’000 et 100’000 fois. Ses suggestions sont parfois partagées avec des agences de presse allant de «Forbes» à CNBC.

Fausses promesses

La mise en scène et la promotion de ses vidéos sont d’ailleurs toujours la même: un titre aguicheur en lettres capitales avec une miniature tout aussi accrocheuse. Extraits choisis de titres, à l’origine en anglais et traduits pour cet article: «ACHETER DES BITCOINS MAINTENANT?!», «NE VENDEZ PAS DE BITCOINS MAINTENANT», ou encore «BITCOINS: JE N’EN CROIS PAS MES YEUX».

Christopher Jaszczynski est un crypto-influenceur à succès, mais aux méthodes douteuses.
Photo: Instagram/chrismmcrypto

Dans ses vidéos prises en mode selfie, Christopher Jaszczynski crie sur celui ou celle qui les visionne en lui assénant des pronostics plus ou moins périlleux sur le cours du bitcoin. Fin août, alors qu’il se trouvait à Dubaï, l’ex-chauffeur de taxi annonçait à ses abonnés que le bitcoin ne devait pas descendre en dessous des 19’200 dollars. Trois jours plus tard, il prédisait encore de «bonnes nouvelles». Sauf qu’en septembre, ce même bitcoin chutait de 5%, affolant les crypto-investisseurs.

Plus d'un demi-million de personnes suivent la chaîne YouTube de Christopher Jaszczynski. Ses vidéos comptabilisent entre 50'000 et 100'000 vues en moyenne.
Photo: Instagram/chrismmcrypto

Le modèle commercial des crypto-influenceurs

La réalité des aléas du cours ne semble pas inquiéter outre mesure le crypto-influenceur. Ainsi, ce dernier pensait que le bitcoin allait franchir la barre des 300’000 dollars. Au lieu de ça, la valeur de la monnaie virtuelle est passée de plus de 69’000 dollars à 19’000 aujourd’hui. Le seul gagnant de cette chute vertigineuse? Christopher Jaszczynski, qui a continué de gagner de l’argent grâce à l’engagement généré sur ses vidéos et ses posts sur les réseaux sociaux.

Concrètement, comment cela se passe-t-il? Le crypto-influenceur gagne sa vie en proposant des liens de recommandation pour des bourses de cryptomonnaies, ajoutés dans la description de ses vidéos. Ces liens redirigent les abonnés et les utilisateurs vers Binance, l’une des plus grandes bourses de cryptomonnaies du monde ou encore d’autres crypto-marchés comme Phemex et Bitget.

Pour tout utilisateur qui clique, s’inscrit et négocie sur ces plateformes via les liens proposés par Christopher Jaszczynski, ce dernier gagne de l’argent. Et ce, quelle que soit la tendance du cours des cryptomonnaies.

«Il y a beaucoup de mauvais exemples de personnes qui veulent se faire de l’argent rapide au détriment de leurs abonnés en faisant des prévisions et des recommandations éhontées», alerte l’expert en crypto Julian Liniger. Le très connu Christopher Jaszczynski est un exemple qu’il qualifie de «tristement célèbre».

«Beaucoup de gens veulent se faire de l'argent facile au détriment de leurs followers en faisant des prévisions et des recommandations hasardeuses», dénonce le crypto-expert Julian Liniger.
Photo: Zvg

«Alarmisme et pronostics exagérés»

«Les gens qui ont un peu d’expérience et qui s’intéressent à lui et au sujet de manière différenciée arrivent vite à la conclusion qu’il profite de la confiance et de l’instabilité émotionnelle de ses abonnés inexpérimentés. Et ce, en faisant des pronostics alarmistes complètement exagérés et en émettant des recommandations douteuses, afin de s’enrichir lui-même rapidement et à grande échelle», dénonce l’expert de 29 ans.

Christopher Jaszczynski n’est pas le seul à abuser de l’intérêt et de l’ignorance de ses abonnés. De nombreux charlatans de ce genre existent: «L’une de leurs marques de fabrique est l’utilisation d’un visage choqué sur les photos de miniature de leurs vidéos, ce qui permet d’attirer l’attention de leur communauté. Ces tactiques sont également connues dans les systèmes pyramidaux», détaille encore Julien Liniger.

Le commerce de bybits est particulièrement dangereux. Christopher Jaszczynski a fait une forte publicité pour cette cryptobourse basée à Singapour. Celle-ci permet aux utilisateurs de négocier des actifs empruntés, soit de l’argent qu’ils ne possèdent pas. Le rendement est supérieur à la moyenne. Mais si le cours du bitcoin prend une mauvaise direction, c’est toute la fortune accumulée qui risque de s’envoler. «Ce type de trading n’est définitivement pas recommandé pour les investisseurs de détail inexpérimentés, avertit l’expert. Dans le pire des cas, ils risquent le surendettement.»

Malgré les tentatives de contact, Christopher Jaszczynski a ignoré toutes les demandes de Blick.

La Suisse aussi a ses crypto-influenceurs

En Suisse aussi, un crypto-influenceur très suivi se démarque du lot. Son pseudo: SunnyDecree. Son vrai nom n’est pas encore connu. Près de 35’000 personnes suivent sa chaîne germanophone sur YouTube. Après plusieurs mésaventures, pour certaines très médiatisées, il a fermé sa chaîne anglophone, qui comptait plus de 150’000 abonnés.

SunnyDecree a fait la une des journaux nationaux après avoir insulté la journaliste économique Patrizia Laeri dans un live du site. Il a suggéré, non sans une certaine vulgarité, que l’animatrice avait réussi grâce à des faveurs sexuelles. La cause de son ire sexiste? Le partage d’un article mentionnant l’importante consommation énergétique des cryptomonnaies de la part de Patrizia Laeri.

La Suisse aussi a ses crypto-influenceurs. L'un des plus connus est SunnyDecree, dont le vrai nom est inconnu. Il compte près de 35'000 abonnés sur YouTube.
Photo: Instagram/sunnydecree

Depuis, les choses se sont apaisées pour le Suisse. Comme Christopher Jaszczynski, il gagne sa vie avec des liens subventionnés. Contrairement à son homologue allemand, SunnyDecree ne joue plus sur le sensationnalisme et sur les pronostics extrêmes. «Il est un bon exemple d’influenceur qui mise en premier lieu sur l’information et l’éducation et non sur l’alarmisme», pointe Julien Liniger.

«Ta vie va changer pour toujours»

Pour les négociateurs de cryptomonnaie en herbe, les crypto-influenceurs extrêmes comme Christopher Jaszczynski ne sont pas le seul danger. Des personnes ayant quelques centaines d’abonnés sur des plateformes comme Instagram peuvent être tout aussi actives et trompeuses que les grands influenceurs. Elles écrivent de manière ciblée aux gens pour leur donner envie de négocier des cryptomonnaies.

Laura K.* est l’une d’entre elles. Pendant l’été 2021, elle a publié sur Instagram une photo d’elle à Dubaï: «Travailler quand et où tu veux? Tout en gagnant beaucoup d’argent? Toi aussi, tu peux le faire! Inscris-toi et réalise tes rêves», peut-on lire en description. Une fois le cliché en ligne, Laura K. va scruter les gens qui ont «aimé» sa publication pour les contacter avec un message privé de ce genre: «Je vois que tu es intéressé par une vie de liberté? Donne-moi 15 minutes de ton temps et ta vie changera à jamais.»

Après un bref échange, Laura K. invite à un appel vidéo. Là, elle ouvre une présentation PowerPoint. L’une des premières diapositives est dirigée contre les banques. «Ton argent n’est pas en sécurité. En cas de crise, les banques ont la possibilité de retenir ton argent», avertit-elle. Une déclaration déjà démentie par le passé.

Une fois les banques dénoncées, Laura K. parle business et essaie de vendre un programme vidéo en ligne de «crypto-experts» (payant, bien entendu). «Après cette formation, tu sauras tout pour prendre ton envol», promet-elle.

Un programme à 750 francs

Le produit s’appelle MarketPeak. Il s’agit d’une plateforme de formation et de distribution basée à Dubaï. «L’objectif de MarketPeak est d’éduquer et de former la communauté dans les domaines de la finance et de la blockchain. En outre, MarketPeak offre à la communauté un plan de récompense très bien conçu et équitable», peut-on lire sur le site.

Pour acquérir le programme de formation, il faut acheter pour 750 francs la cryptomonnaie créée spécialement par MarketPeak. «Tu ne peux pas la vendre tout de suite. Mais ne t’inquiète pas, elle va augmenter quoi qu’il arrive, assure Laura K. avec conviction. Tu ne dépenseras donc pas d’argent, mais tu seras facilement dans le vert à la fin.»

L’expert en crypto Julian Liniger met vivement en garde contre ces pratiques: «La description de MarketPeak ressemble définitivement à une vente pyramidale.» Des milliers de ces coins auraient été émis avec des intentions frauduleuses et vendus avec des promesses d’immenses gains de cours. «Mais celles-ci ne se matérialisent jamais.»

Laura K. a gagné une commission

C’est ce qui s’est passé avec MarketPeak, le produit vanté par Laura K. Un an plus tard, la cryptomonnaie ne vaut même plus un seul centime et a chuté à -7100%. Les commentaires en ligne sont déchirants: «C’est une escroquerie! Pendant que quelques grands leaders s’amusent à Dubaï, des milliers de petits investisseurs ont perdu leur argent! Le coin ne vaut plus rien! Mais il y a encore quelques fous qui font de la publicité pour cette merde!»

Est-ce que MarketPeak était une pyramide de Ponzi illégale, déguisée en construction de marketing multiniveaux légale? Les experts juridiques ne s’accordent pas encore sur la question. Ce qui semble clair, c’est que Laura K. a gagné une commission lorsqu’elle a vendu le programme de formation. Et celui qui avait recruté Laura K. y gagnait également.

Les demandes de contact de Blick à MarketPeak sont aussi restées sans réponse. Tout comme les plaintes de nombreux utilisateurs et utilisatrices. Un an plus tard, Laura K. ne souhaite pas non plus s’exprimer. Elle était sans doute une victime de cette organisation au même titre que les personnes qu’elle avait elle-même recrutées.

*Nom connu de la rédaction

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